L.A
3 : Les enfants de la plaine
(p.96,
« Jusqu’à un an environ » à p.97 « ouvertes sur
leur faim »)
I.
Une description distanciée de la vie misérable des enfants de la
plaine
A.
Les
enfants de la
dépersonnalisation
à l’animalisation
Ils
sont indifférenciés, dépersonnalisés :
-
Pluriel
pour les désigner : « les enfants », « ils »
→ indifférenciés
-
Désignés par le terme générique « enfants », sans
connotation ni péjorative, ni méliorative, neutre.
-
N’ont pas de prénom, pas d’identité propre
-
Connecteur temporels (« jusqu’à un an », « jusqu’à
l’âge de douze ans », « ensuite », « à un
an ») + imparfait d’habitude (« vivaient »,
« rasait », « couvraient ») → fonctionnent
tous de la même façon sans
individualité.
-
leur tête est rasée :
on les dépersonnalise encore plus
Ils
sont ensuite animalisés :
-
tout un lexique les
assimile à des animaux : « accrochés »
dans un « sac » l.2, « nus » jusqu’à douze
ans, « s’épouiller » comme des singes, « leur
donner de bouche à bouche le riz préalablement mâché » et
la synecdoque des bouches ouvertes à la fin de l’extrait :
comme des oisillons
-
comparaison avec des singes l.28, comparaison implicite avec des
oiseaux l.33 « perchés sur les branches », comparaison
avec les chiens l. 42 : « s’emplissaient des même vers
que les chiens errants »
-
métaphore de la plaine
« infestée » l.55 par les enfants : les assimile à
des animaux nuisibles
B.
Leur vie
est indifférente et
leur mort banalisée
-
absence de tendresse
avec les parents : adverbe « loin » dans «les
lâchait loin d’elle » l.8 + restrictive « ne...que »
dans « ne les reprenant que pour les nourrir »
-
double négation : « on ne les pleurait plus », « on
ne leur faisait plus de sépulture » l.22 à 24 insiste sur le
fait que leur mort est indifférente aux vivants comme
si ces derniers s’étaient résignés (négation avec « plus »
suggère qu’un jour, sans doute, ils ont pleuré et fait des
sépultures).
-
répétition de l’adverbe « simplement » l.24 et 27 +
la précision temporelle « en rentrant du travail » :
comme si leur mort était un simple fait dans la vie de tous les
jours
-
« creusait un
petit trou devant la case » l.25 : description neutre et
factuelle, sans aucune émotion + imparfait d’habitude, comme si
tous les père de la plaine toujours, faisaient cela.
-
le verbe « mourir »
est omniprésent dans le texte : omniprésence et banalité de
la mort des enfants
-
épanorthose l.17-18 (=
figure de style qui consiste à corriger l’idée précédente) :
« Pour essayer plutôt d’en sauver quelques uns de la
mort » : comme si la mort était la norme, et la vie
l’exception. Idée confirmée par le pronom « quelques uns »
qui souligne la faible proportion des enfants restant en vie.
-
les hyperboles :
« il en mourrait tellement que », répété l.18-19 et 22
+ « la boue de la
plaine contenait bien plus d’enfants mort que » l.19 :
banalise encore ces
morts qu’on ne compte plus.
C.
La mort est présentée
comme un état de fait inéluctable
et immuable
-
Indications temporelles : « Il y avait mille ans » l.15,
« depuis longtemps déjà » l.22 : on
ne peut rien faire contre cela, c’est une fatalité éternelle.
-
adjectif « éternelle » l.39 : fatalité,
on ne peut rien y changer
-
Enumération des causes de la mort : « du choléra que
donne la mangue verte » l.30, « se noyaient dans le rac »
l.40, « mouraient d’insolation » l.41, « mouraient
étouffés » l.43, tout
cela résumé en « de
toutes les façons » l.60 :
il y a tellement de
causes différentes que la mort paraît inévitable.
-
La mer considérée
comme l’ennemi responsable du malheur : isotopie de
l’envahisseur « ne reculerait pas avant des siècles »
l.45 et qui « brûlait une partie des récoltes » l.48 =
« son mal fait » l.49 →
on ne peut rien y faire, et s’élever contre la mer, ce serait
comme construire des barrages contre elle : toujours voué à
l’échec.
-
autre responsabilité : les mangues vertes, le rac, le soleil,
les vers = c’est
toujours la nature qui
est mortifère, on
n’y peut rien.
II.
Pour susciter la compassion et l’indignation du lecteur
A.
La
mort ironiquement
présentée comme un
cycle
naturel
-
nombreuses répétitions, comme un cycle qui se répète
inlassablement :
-
La répétition lancinante du pronom indéfini pluriel « d’autres »
l.36, 39, 40, 42 pour donner un effet de masse, de répétition sans
fin de la mort.
-
répétition de
« année » dans « chaque année » l.32 puis
« l’année d’après » l.36 et encore « chaque
année » l.47 : recommence toujours
-
formules qui suggèrent
la répétition :« prenaient
la place de ceux-ci », « ces mêmes manguiers »,
« mouraient à leur tour » l.36 à 38
-
les mangues vertes //
les enfants encore jeunes = même cycle de vie et de mort → fait
passer la mort des enfants comme naturelle, comme s’ils n’étaient
que de simples mangues. D’ailleurs,
comparaison explicite l.27.
-
la formule
« retournaient simplement à la terre » l.26 est chargée
d’ironie, comme si les enfants n’étaient que de simples feuilles
mortes qui allaient se
transformer en humus.
D’ailleurs, cette
« terre » a été désignée auparavant (l. 19) comme de
la « boue », ce qui ruine l’effet sain et naturel du
retour à la terre.
B.
Compassion devant
la misère et
la faim
-
isotopie
de la petitesse et de la fragilité : « petit trou »
l.25, « petit » singes » l.28, « bouches
roses des enfants » l.64 par contraste avec la « mangue
verte » qui les fait mourir.
-
touches infimes de gaîté :
« chanter sur les buffles » l.21 et
« les mères en riaient » l.14, mais toujours
niée par autre chose : la comparaison de la l.19, où le nombre
d’enfants morts l’emporte sur ceux qui chantent ; le dégoût
et le dédain des Blancs.
-
pathétique avec
la
répétition
de l’attente insupportable et de la faim :
« impatience des enfants affamés » l.34,
et « attendaient, affamés » l.38
-
Image
horrifiante des enfants tellement affamés qu’ils « s’emplissaient
des mêmes vers que les chiens errants »
-
l’image presque oxymorique : « il y couchait son enfant
mort » l.26 accentue le sentiment de misère et de
fatalité
-
les
éléments qui devraient être associés à la joie sont constamment
détournés en éléments mortifères : la jolie mangue verte
donne le choléra, la baignade dans le rac aboutit à la noyade, le
soleil fait mourir d’insolation ou rend aveugle.
C.
Indignation
devant le cynisme
insupportable des
colons qui présentent
la mort comme un mal
nécessaire
-
Moquerie à l’égard
du Blanc qui « détournait la tête de dégoût » l.13 :
question rhétorique qui met évidence le décalage entre cette
préciosité (démonstratif péjoratif « ces dégoûts-là »
l.14) et la famine qui sévit dans la plaine. Décalage renforcé par
l’hyperbole « il y avait mille ans que c’était comme ça
qu’on faisait » l.15-16, qui
montre que les Blancs ne connaissent rien aux habitudes des
autochtones.
-
Symbole du Blanc qui
« détournait la tête » : refuse de voir la misère,
préfère s’offusquer
de l’animalité des autochtones.
-
Discrète mise en
question du manque d’instruction des autochtones : « mais
personne dans la plaine ne semblait le savoir » l.30, à moins
que, plus cyniquement encore, Duras ne
suggère qu’on cache
la vérité pour faire mourir les enfants trop nombreux.
-
formule péjorative
« naissaient toujours avec acharnement » l.51, formule
répétée plus brièvement l. 60 : « il en naissait
toujours » = mise en cause des enfants, comme s’ils étaient
responsables de leur propre mort.
-
modalité déontique (=
caractère obligatoire) dans la formule « il fallait bien qu’il
en meure » l.44 et répété l.51, comme
s’il n’y avait pas le choix.
-
Explication (connecteur logique « car ») prend la forme
d’une hypothèse (en « si ») cynique : donner les
enfants aux chiens l.56 et aux tigres l.58 pour se débarrasser
d’eux.
-
Hypothèse qui tourne à l’absurde, pour que le lecteur comprenne
que le narrateur tourne en dérision ceux qui les formulent :
« les tigres eux-mêmes auraient peut-être fini par ne plus en
vouloir » l.58
-
nombreux modalisateurs
signifiants qu’il s’agit d’un discours rapporté (discours
indirect libre), non pris en charge par le narrateur : « sans
doute » l.55, « peut-être » l.56-57, « qui
sait » l.58, « peut-être » l.59→ souligne la
bêtise et le mépris des colons blancs.
-
Par
opposition à
la famine évoquée auparavant, les blancs semblent croire que
la plaine et la forêt sont
pourvoyeuses de nourriture : énumérations l. 61, réduites par
le restrictif « ne … que » dans « ne donnait
toujours que ce qu’elle pouvait » l. 61 →
idée implicite : la nature, elle, fait son travail ; ce
sont les indigènes qui sont responsables en faisant trop d’enfants.
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