samedi 22 décembre 2018

Séquence Barrage, L.A 3 : Les enfants de la plaine


L.A 3 : Les enfants de la plaine
(p.96, « Jusqu’à un an environ » à p.97 « ouvertes sur leur faim »)

I. Une description distanciée de la vie misérable des enfants de la plaine

A. Les enfants de la dépersonnalisation à l’animalisation

Ils sont indifférenciés, dépersonnalisés :
- Pluriel pour les désigner : « les enfants », « ils » → indifférenciés
- Désignés par le terme générique « enfants », sans connotation ni péjorative, ni méliorative, neutre.
- N’ont pas de prénom, pas d’identité propre
- Connecteur temporels (« jusqu’à un an », « jusqu’à l’âge de douze ans », « ensuite », « à un an ») + imparfait d’habitude (« vivaient », « rasait », « couvraient ») → fonctionnent tous de la même façon sans individualité.
- leur tête est rasée : on les dépersonnalise encore plus

Ils sont ensuite animalisés :
- tout un lexique les assimile à des animaux : « accrochés » dans un « sac » l.2, « nus » jusqu’à douze ans, « s’épouiller » comme des singes, « leur donner de bouche à bouche le riz préalablement mâché » et la synecdoque des bouches ouvertes à la fin de l’extrait : comme des oisillons
- comparaison avec des singes l.28, comparaison implicite avec des oiseaux l.33 « perchés sur les branches », comparaison avec les chiens l. 42 : « s’emplissaient des même vers que les chiens errants »
- métaphore de la plaine « infestée » l.55 par les enfants : les assimile à des animaux nuisibles

B. Leur vie est indifférente et leur mort banalisée
- absence de tendresse avec les parents : adverbe « loin » dans «les lâchait loin d’elle » l.8 + restrictive « ne...que » dans « ne les reprenant que pour les nourrir »
- double négation : « on ne les pleurait plus », « on ne leur faisait plus de sépulture » l.22 à 24 insiste sur le fait que leur mort est indifférente aux vivants comme si ces derniers s’étaient résignés (négation avec « plus » suggère qu’un jour, sans doute, ils ont pleuré et fait des sépultures).
- répétition de l’adverbe « simplement » l.24 et 27 + la précision temporelle « en rentrant du travail » : comme si leur mort était un simple fait dans la vie de tous les jours
- « creusait un petit trou devant la case » l.25 : description neutre et factuelle, sans aucune émotion + imparfait d’habitude, comme si tous les père de la plaine toujours, faisaient cela.
- le verbe « mourir » est omniprésent dans le texte : omniprésence et banalité de la mort des enfants
- épanorthose l.17-18 (= figure de style qui consiste à corriger l’idée précédente) : « Pour essayer plutôt d’en sauver quelques uns de la mort » : comme si la mort était la norme, et la vie l’exception. Idée confirmée par le pronom « quelques uns » qui souligne la faible proportion des enfants restant en vie.
- les hyperboles : « il en mourrait tellement que », répété l.18-19 et 22 + « la boue de la plaine contenait bien plus d’enfants mort que » l.19 : banalise encore ces morts qu’on ne compte plus.

C. La mort est présentée comme un état de fait inéluctable et immuable
- Indications temporelles : « Il y avait mille ans » l.15, « depuis longtemps déjà » l.22 : on ne peut rien faire contre cela, c’est une fatalité éternelle.
- adjectif « éternelle » l.39 : fatalité, on ne peut rien y changer
- Enumération des causes de la mort : « du choléra que donne la mangue verte » l.30, « se noyaient dans le rac » l.40, « mouraient d’insolation » l.41, « mouraient étouffés » l.43, tout cela résumé en « de toutes les façons » l.60 : il y a tellement de causes différentes que la mort paraît inévitable.
- La mer considérée comme l’ennemi responsable du malheur : isotopie de l’envahisseur « ne reculerait pas avant des siècles » l.45 et qui « brûlait une partie des récoltes » l.48 = « son mal fait » l.49 → on ne peut rien y faire, et s’élever contre la mer, ce serait comme construire des barrages contre elle : toujours voué à l’échec.
- autre responsabilité : les mangues vertes, le rac, le soleil, les vers = c’est toujours la nature qui est mortifère, on n’y peut rien.


II. Pour susciter la compassion et l’indignation du lecteur

A. La mort ironiquement présentée comme un cycle naturel
- nombreuses répétitions, comme un cycle qui se répète inlassablement :
- La répétition lancinante du pronom indéfini pluriel « d’autres » l.36, 39, 40, 42 pour donner un effet de masse, de répétition sans fin de la mort.
- répétition de « année » dans « chaque année » l.32 puis « l’année d’après » l.36 et encore « chaque année » l.47 : recommence toujours
- formules qui suggèrent la répétition :« prenaient la place de ceux-ci », « ces mêmes manguiers », « mouraient à leur tour » l.36 à 38 
- les mangues vertes // les enfants encore jeunes = même cycle de vie et de mort → fait passer la mort des enfants comme naturelle, comme s’ils n’étaient que de simples mangues. D’ailleurs, comparaison explicite l.27.
- la formule « retournaient simplement à la terre » l.26 est chargée d’ironie, comme si les enfants n’étaient que de simples feuilles mortes qui allaient se transformer en humus. D’ailleurs, cette « terre » a été désignée auparavant (l. 19) comme de la « boue », ce qui ruine l’effet sain et naturel du retour à la terre.

B. Compassion devant la misère et la faim
- isotopie de la petitesse et de la fragilité : « petit trou » l.25, « petit » singes » l.28, « bouches roses des enfants » l.64 par contraste avec la « mangue verte » qui les fait mourir.
- touches infimes de gaî : « chanter sur les buffles » l.21 et « les mères en riaient » l.14, mais toujours niée par autre chose : la comparaison de la l.19, où le nombre d’enfants morts l’emporte sur ceux qui chantent ; le dégoût et le dédain des Blancs.
- pathétique avec la répétition de l’attente insupportable et de la faim  : « impatience des enfants affamés » l.34, et « attendaient, affamés » l.38
- Image horrifiante des enfants tellement affamés qu’ils « s’emplissaient des mêmes vers que les chiens errants »
- l’image presque oxymorique : « il y couchait son enfant mort » l.26 accentue le sentiment de misère et de fatalité
- les éléments qui devraient être associés à la joie sont constamment détournés en éléments mortifères : la jolie mangue verte donne le choléra, la baignade dans le rac aboutit à la noyade, le soleil fait mourir d’insolation ou rend aveugle.

C. Indignation devant le cynisme insupportable des colons qui présentent la mort comme un mal nécessaire
- Moquerie à l’égard du Blanc qui « détournait la tête de dégoût » l.13 : question rhétorique qui met évidence le décalage entre cette préciosité (démonstratif péjoratif « ces dégoûts-là » l.14) et la famine qui sévit dans la plaine. Décalage renforcé par l’hyperbole « il y avait mille ans que c’était comme ça qu’on faisait » l.15-16, qui montre que les Blancs ne connaissent rien aux habitudes des autochtones.
- Symbole du Blanc qui « détournait la tête » : refuse de voir la misère, préfère s’offusquer de l’animalité des autochtones.
- Discrète mise en question du manque d’instruction des autochtones : « mais personne dans la plaine ne semblait le savoir » l.30, à moins que, plus cyniquement encore, Duras ne suggère qu’on cache la vérité pour faire mourir les enfants trop nombreux.
- formule péjorative « naissaient toujours avec acharnement » l.51, formule répétée plus brièvement l. 60 : « il en naissait toujours » = mise en cause des enfants, comme s’ils étaient responsables de leur propre mort.
- modalité déontique (= caractère obligatoire) dans la formule « il fallait bien qu’il en meure » l.44 et répété l.51, comme s’il n’y avait pas le choix.
- Explication (connecteur logique « car ») prend la forme d’une hypothèse (en « si ») cynique : donner les enfants aux chiens l.56 et aux tigres l.58 pour se débarrasser d’eux.
- Hypothèse qui tourne à l’absurde, pour que le lecteur comprenne que le narrateur tourne en dérision ceux qui les formulent : « les tigres eux-mêmes auraient peut-être fini par ne plus en vouloir » l.58
- nombreux modalisateurs signifiants qu’il s’agit d’un discours rapporté (discours indirect libre), non pris en charge par le narrateur : « sans doute » l.55, « peut-être » l.56-57, « qui sait » l.58, « peut-être » l.59→ souligne la bêtise et le mépris des colons blancs.
- Par opposition à la famine évoquée auparavant, les blancs semblent croire que la plaine et la forêt sont pourvoyeuses de nourriture : énumérations l. 61, réduites par le restrictif « ne … que » dans « ne donnait toujours que ce qu’elle pouvait » l. 61 → idée implicite : la nature, elle, fait son travail ; ce sont les indigènes qui sont responsables en faisant trop d’enfants.




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