La
Nuit des Temps , LA n°2 : description d'une utopie
p.217,
de « le sous-sol fut creusé davantage en profondeur » jq'à la fin
du chapitre.
=
Description de la vie à Gondawa = une utopie (de Utopia, de
Thomas More, du grec u = non et topos = lieu) =
description du fonctionnement de sociétés parfaites et isolées en
un lieu souvent clos (cité, île, etc.). Elles permettent de
critiquer les sociétés réelles existantes mais servent également
de modèles. A l'inverse, les dystopies décrivent des mondes
sinistres et totalitaires.
Qui
: Narrateur externe, description rapportée par Eléa.
Quand
: Rapporté à l'époque du récit, de Simon, c'est à dire dans le
futur ; mais la société décrite ici existait il y a 900.000 ans.
Quoi
: Architecture de la cité (l. 1 à 26) ; puis l'économie sociale
(l. 29 à 56) ; puis le travail (l. 57 à 70 ; et enfin l'industrie
(l. 71 à la fin)
Où
: Gondawa, « à l'abri », dans « le sous-sol ».
Pourquoi
: « la surface était dévastée » après la guerre d'une heure
avec Enisoraï. Or « la sagesse conseillait de reconstruire à
l'abri » (lignes précédant l'extrait).
I.
La re-création d'un Eden
A.
Tout est (re)créé à partir de la nature :
-
utilisation d'éléments de la nature (C.L de la nature) : «
cavernes naturelles, les lacs et les fleuves souterrains » l.2-3 =>
harmonie hommes / nature)
-
découverte de nouveaux éléments de la nature : « l'énergie
universelle » (qui sera d'ailleurs un motif récurrent dans le
roman, et l'objet de toutes les convoitises)
-
amélioration de la nature : superlatifs « plus riche et plus belle
» l.7
-
re-création de la nature à l'identique : « lumière pareille à la
lumière du jour » l.8-9
-
création d'une nouvelle nature : « des espèces nouvelles furent
créées » l.10-11
-
les villes elles-mêmes sont fondues dans cette nature, elles sont
évoquées au milieu de ce foisonnement, à travers une gradation qui
est en même temps une métaphore empruntée à la nature : « les
villes enfouies devinrent des bouquets, des buissons, des forêts »
l.9-10
-
sur la terre = idem que sous la terre, les bâtiments sont fondus
dans la nature : au milieu des « forêts », « animaux », « cours
d'eau », « vallée », « plage » et « océan », on trouve des «
bâtiments ».
-
Les machines prennent les traits de vers de terre géant : «
machines molles et silencieuses », « rampaient », « faisant
disparaître devant elles la terre » l. 13 à 17.
B.
Tout est fait pour le bien-être et la protection des hommes
-
Une cité souterraine, retirée dans le coeur de la Terre = retour
vers l'antre originelle, l'utérus maternel : C.L de l'enfouissement,
de la protection « le sous-sol fut creusé », « profondeur » «
enfouies » // la sphère d'or, elle aussi enfouie sous terre = idée
de protection, de vie à l'abri de tout danger extérieur, de repli
sur soi, peut-être de régression, d'infantilité, d'endormissement
de la conscience (voir le mythe de la caverne de Platon par exemple,
avec l'aveuglante lumière qui pousse les hommes au meurtre pour ne
pas avoir à connaître l'insupportable vérité).
-
La surface est un « couvercle » (métaphore) : idée de protection,
de bouclier qui protège la cité enterrée.
-
Toute la surface est optimisée : « on en tira parti », « chaque
parcelle », « morceau de forêt » => rien n'est laissé à
l'abandon.
Utilité
de cette surface pourtant dangereuse (cf. début du chapitre : « la
sagesse conseillait de rester à l'abri et d'y vivre ») : y créer
un « centre de loisir » l.20, y « jouer » l.24, y avoir des
sensations fortes en vivant « une aventure » l.26 (chp lexical du
jeu et des loisirs) => Motif fréquent de la science-fiction : vie
sous terre pour échapper aux dangers de la vie en surface, suite à
une guerre apocalyptique par exemple.
-
Champ lexical du soin et de la solidité : « sauvegardée », «
soignée », « préservées », « roc », « acier »
-
Noter l'adjectif « silencieuses » l.13, qui sera repris plus loin =
monde de silence, comme enveloppé dans l'ouate, où tout est
assourdi, protégé.
Re-création
d'une nature améliorée, dans laquelle la flore tient une place
prépondérante = re-création d'un Eden sans dieu (où l'homme
serait le démiurge).
=>
cela pose la question des limites de cette architecture : les
citoyens risquent de s'y endormir, de s'y ennuyer. D'où la création
de grands parcs de jeux en surface ? La surface = une poche à
adrénaline dans un monde où tout devient trop facile ?
II.
L'économie sociale : un système égalitaire et prodigue
A.
Le système parfait de la clé
-
la clé, symbole de liberté ? Elle permet d'avoir accès à tous les
biens et services. On apprend qu'elle se place au majeur (l.39), le
doigt le plus long, symbole de puissance.
-
le système est universel : « chaque vivant », « chaque année »
-
il est égalitaire : CLde l'égalité : « une partie égale de
crédit », « il n'y avait pas pauvres, il n'y avait pas de riches »
l.50-51 (noter le parallélisme qui accentue l'égalité entre les
individus) ; « en respectant […] l'égalité des droits des Gondas
» l.54-55
-
il est prodigue et sans fond : « largement suffisant », « profiter
de tout », « chaque fois qu'un Gonda désirait qq chose », «
obtenir tous les biens qu'ils désiraient » + énumération l.37-38
: « qq chose de nveau, des vêtements, un voyage, des objets » =
énumération du nécessaire (vêtements) au superflu plaisant («
voyage »).
-
il est rationnel : « s'ordonnait » l.27, « la raison » l.28, «
calculée » l.32, « géré par l'ordinateur central » l.34, «
prévu à cet effet » l.40, « automatiquement » l.49
-
il est humain : efface le côté trop rationnel par « la joie »
l.28, répété l.88 : « joies ».
-
il est individualisé : « certains citoyens, d'une qualité
exceptionnelle » l.43, « en respectant […] l'inégalité de leurs
natures » l.55, « selon ses goûts et ses besoins » l.56 +
répétition de « chaque, chacun, un Gonda »... = prise en compte
de l'individu
-
Il est prudent, évite la prise de pouvoir en limitant l'«
accumulation des possibilités de paiement entre les mêmes mains ».
B.
Le travail à la carte
-
Absence marquée de hiérarchie, de patronat : « chaque Gonda devait
au travail », dans des usines qui fonctionnent « avec leur propre
cerveau » (personnification).
-
un engagement minimal : une demi-journée de travail tous les 5 jours
-
une organisation du temps flexible : « ce temps pouvant être
réparti par fragments »
-
un choix laissé aux citoyens : parallélisme de construction pour
marquer la liberté de choix : « il pouvait, s'il le désirait... il
pouvait, s'il voulait... »
-
un système de malus pour inciter au travail : pas de travail =>perte
de crédit, mais tout de même, « un minimum de superflu ».
-
énumération d'adverbes de quantité : « plus », « moins », «
davantage », « autant » =>société basée sur le calcul, la
raison, la proportionnalité entre le temps de travail et la somme de
crédit.
-
Mais toujours pas d'argent en jeu : « le travail n'était pas
rétribué »
-
Champ lexical de la liberté accentué par des répétitions : «
pouvant » l. 63, « pouvait » l.64 puis 65, « « s'il le désirait
» l.64 et « s'il le voulait » l.65, « choisissait » l. 66 puis
68.
-
A mettre en parallèle avec le champ lexical du travail : le nom «
travail » est répété 3 fois dans le paragraphe, et le verbe «
travailler » 4 fois + « usines », « main-d'oeuvre », «
production », « tâches ».
-
Une interrogation : si les usines fonctionnent « sans main d'oeuvre
et avec leur propre cerveau », pourquoi ont-elles besoin des hommes
pour accomplir « les tâches de la main et de l'intelligence » ?
Puisque visiblement, le travail des hommes n'est pas indispensable
(les usines semblant parfaitement fonctionner seules), pourquoi
l'auteur intègre-t-il le travail dans la cité ? Hypothèse :
Barjavel semble reprendre la théorie de Marx : le travail n'est une
aliénation que s'il comporte des contraintes comme la hiérarchie,
les horaires, la dépendance financière. En revanche, le travail «
pur », est libérateur et épanouissant. Le travail marxiste est une
« liberté créatrice » s'il appartient aux travailleurs eux-mêmes
et non pas à une caste supérieure.
L'époque
de Barjavel est bien marquée dans la description de cette utopie :
vers une société de loisirs, de liberté, d'indifférenciation
sexuelle dans la société et de refus du travail aliénant.
III.
L'industrie : des usines intelligentes
A.
des usines vivantes
Elles
sont la base de toute la société : elles sont évoquées dès la
l.28, puis l.71, et enfin, elles terminent la description de la cité.
Elles sont :
-
des cornes d'abondance, ce sont elles qui pourvoient aux moindre
désirs des citoyens : « fabriquaient tout ce dont les hommes
avaient besoin » l.29 , créent un « flot » d'objets + énumération
de qualificatifs: « multiple, divers et ininterrompu » l.86-87
-
discrètes : « silencieuses » l.28 et 33 , fondues dans
l'environnement naturel « posées au fond des villes » l.71, voire
cachées « dans leur plus grande profondeur » l.72, et en tout cas
en-dessous de la ville puisque la toute fin de l'extrait précise que
tout ce qui y est fabriqué « montait vers la ville souterraine ».
-
écologiques : « sans déchets » l.28-29 + chp lexical de la
nature.
-
vivantes : comme des cellules d'un seul corps auto-régulé sans
intervention humaine : « se raméfiait » », « bourgeonnante », «
résorbait » =>comparées à un arbre ? Evite le système
capitaliste où, dans les faits, il se passe la même chose
(élimination des « canards boiteux »), mais par le fait de
décisions humaines. Ici, sélection naturelle, donc meilleure selon
les valeurs de Barjavel (où le naturel semble être la valeur
primordiale).
-
Gratuites : elles ne consomment rien, aucune matière première.
Elles semblent vivantes, se nourrissant de l'« Energie Universelle
».
B.
Des usines divines
-
Supérieures au vivant : mais Barjavel prend soin de noter qu'elles
sont supérieures au vivant car la comparaison entre la conception
d'un enfant par une femme et la création d'objets par l'usine (l.81
: « ressemblait à ») est rapidement annulée par la conjonction de
coordination « mais » l.84.
-
Les termes en lettres majuscules soulignent la rupture dans la
comparaison : alors qu'une femme enfante à partir de « presque rien
», l'usine produit à partir de « rien ».
=>
supériorité de l'usine sur le vivant, supériorité de la machine
(voir encore les machines comparées à des vers de terre, l.12-15,
et qui réussissent à produire mieux que l'homme : « plus durs que
l'acier » l.17).
-
Finalement, sortes de divinités, substituts à dieu : elles
pourvoient aux « besoins des hommes » et à leurs « joies »
(termes religieux). Elles créent à partir de rien (cf. la Genèse,
Dieu crée à partir de rien) et sans l'aide des hommes. Elles
illustrent l'équation de Zoran qui prend ici la forme d'un acte de
foi scientiste : « ce qui n'existe pas existe ».
=>
gradation dans la description et la découverte des usines. Elles
apparaissent d'abord comme des usines classiques, pourvoyeuses de
biens pour la société de consommation qu'est Gondawa. Puis leur
fonctionnement montre qu'elles imitent le vivant, puis le dépassent,
le comblent de leurs bienfaits.
Conclusion
:
Description
d'une société parfaite, où le manque, la contrainte et la
souffrance n'existent pas. Tout est basé sur l'abondance et
l'harmonie nature /cité /machines /hommes.
Les
limites de cette utopie transparaissent : l'ordinateur central qui
gère les comptes des Gondas est aussi ce qui limite leur liberté
(il choisit un conjoint ; il désigne Eléa pour entrer dans l'oeuf ;
il connaît par coeur chaque habitant de la cité) ; le système des
clés crée aussi des exclus ; la société de consommation n'est
qu'une réécriture du « panem et circenses »
antique, pour anesthésier la population...
On
est étonné qu'il n'y ait aucune référence à une quelconque
système politique (hormis le terme « citoyens » l.59). On apprend
plus loin qu'il y a un Président (Coban) mais aucune mention du
système d'élection
NB.
Les implications et les failles du système :
-
Description d'une pure société de consommation, qui n'a pas de
frein à ses désirs.
-
L'argent n'existe pas en tant que tel, mais on trouve de multiples
termes y ayant trait : « crédit », « payait », « compte », «
valeur de la marchandise », « paiement », « richesse »
=>
la clé est le précurseur de notre économie virtuelle, plus de
billets ou de pièces, mais une autre forme de carte bancaire.
-
Il existe des citoyens « supérieurs », qui « recevaient un crédit
supplémentaire » ; cette supériorité est-elle basée sur la
fonction sociale (« directeur d'Université ») ou sur la qualité
intellectuelle (Coban étant un être supérieurement intelligent) ?
-
On apprend plus tard dans le roman qu'il existe des « sans-clé » :
ce sont les exclus du système, correspondant à nos actuels «
sans-abris » et « sans-papiers », ils vivent d'ailleurs à l'écart
de la cité, dans ses murs et ses escaliers abandonnés.
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