La
Nuit des Temps, LA n°3 : L'envers du décor, p.300 à 302
De
p.300 « - Ils ne penseront pas tout de suite à l'Escalier » à
p.302 « souleva le coeur de Païkan »
Eléa
et Païkan sont en fuite : Eléa refuse d'obéir à Coban et d'entrer
dans la sphère d'or avec lui. Elle veut rester avec Païkan. Pour
échapper aux hommes de Coban et à la surveillance générale, ils
doivent disparaître
dans
les escaliers abandonnés de la cité : le « complexe de l'Escalier
»
Description
de la cité derrière la cité idéale = le monde des « sans » :
sans clé, sans couleur, sans domicile... = labyrinthe gris et
silencieux, coupé de la vie.
I.
Le complexe de l'Escalier, un monde sans vie, comme hors du monde et
du temps
A.
Un lieu de disparition et d'oubli
-
isotopie d'un autre monde, d'un ailleurs : l'Escalier avec une
majuscule : nom d'un autre monde, par opposition à la Surface
l. 23 ; « cet envers du monde » l.22
-
hyperbole l.2 : « personne ne l'utilise depuis très
longtemps » : lieu oublié, abandonné
-
Enfermement : « les portes ont été condamnées » l.3 = sarcophage
d'où l'on ne peut sortir qu'on pratiquant des « ouvertures
clandestines » l.66. Monde que l'on cherche à effacer, à oublier
-
Champ lexical de l'absence, du vide, de la disparition : « plus rien
» l.15, « tarit » l.46, « vidé », « creux », l.
7164-65, « envers du monde » l.22, « effaçant la trace […] de
leur vie » l.19, « disparaître » l.29
-
l.64-65 : « ce corps abandonné, vidé, ce squelette
creux » : personnification ou métaphore morbide :
délaissé par les vivants
-
Absence de couleur : tout y est gris, à tel point que ce gris
déteint sur les personnes qui y vivent (l. 71) : on ne les voit
plus, ils disparaissent.
-
l.73-74 : « le silence […] entrait en eux et les faisait
taire » : métaphore : le silence prend de la
consistance, comme s'il occupait tout l'espace → insistance
-
L'omniprésence de la poussière fait également penser à un monde
hors du temps : accumulation de poussière, lenteur des mouvements.
-
La poussière vampirise tout le reste, elle est animalisée (ou
personnifiée) l.72 : « la poussière du sol avalait le bruit », «
elle se regonflait lentement derrière eux » l.18
B.
Un monde complexe et protecteur
-
l.63-64 « le complexe de l'Escalier » : univers,
grand, immense
-
Complexe car plein de dédales et d'escaliers dans tous les sens :
accumulation d'indications spatiales l.54 à 58 (« gauche »,
« droite », « bas », « perpendiculairement »)
= part dans toutes les directions, immense , avec répétition du nom
« escalier » 3 fois dans le paragraphe + répétition de « un
autre » qui reprend le terme « escalier » l.54 + champ lexical de
l'escalier : « marches » l.52, « palier » l.54, « étages »
l.57.
-
l.54-56
verbes de mouvement :
« traversa »,
« prit », « tournait », bifurquait »,
« zigzaguait »
-
« profondeur » répété l.32-33
-
l.65 : « ce
squelette [...]
vivait de leur présence furtive » : antithèse / paradoxe
qui insiste sur la vie toujours présente dans cet univers.
-
Il est le
refuge des sans-clé : « trois hommes gris » l.5,
« groupe » l.6, « seuls ou par petits groupes »
l.63
-
Absence de bruit liée à la poussière = influence la voix (l.27,
Païkan chuchote instinctivement).
-
Mais douceur aussi car métaphores des « tapis aéré » l.21, «
doublure » l.22, « buvard » l. 28, « ouatait » l.38 «
s'enfonçaient dans l'épaisseur » l.60 = on finit par y laisser son
corps et son âme, par se faire absorber dans cet espace cotonneux.
-
Par opposition, l'extérieur apparaît comme : dangereux « plein de
gardes » l. 32 ; bruyant et coloré (« monde du bruit et de la
couleur » l.68 ; « les gens-de-la-couleur » l.79)
=
un monde à la fois ouaté et protégé, mais loin de la vie,
vampirisant ceux qui y vivent. Un monde qui fait penser aux Enfers de
la mythologie : monde souterrain, peuplé d'ombres, possédant même
des fleuves (p.284).
II.
Les sans-clé : des fantômes hors du monde
A.
Des fantômes oubliés de tous
-
Ils sont « personne » l.1-2 : le guide explique que «
personne » n'utilise plus l'escalier, or les lignes qui suivent
prouvent que tous les « sans-clé » les utilisent = ils sont donc «
personne ».
-
ils se fondent dans l'environnement, « gris sur gris » l.12 –
répétition du terme « gris » 8 fois dans le paragraphe l.5 à 26,
« à l'intérieur du gris dont ils avaient peu à peu pris la teinte
» l.87-89
-
ils sont minuscules : « un peu de » l.9, « de moins en moins
visibles » l.11, « de plus en plus petits » l.11, «
indiscernables » l.12, « point gris » l.14
-
ce sont des êtres de silence : « sans avoir dit un mot » l.8, «
sa voix qui était juste – tout juste assez forte » l.24, «
silencieux » l.62, « le silence » l.5, 28 et 73 « chuchotées »
l.78. Ils sont même désignés par l'adjectif substantivé «
silencieux » l.96, comme s'ils ne devenaient plus que ce silence, ce
rien.
-
ils sont en mouvement, comme de passage : « surgirent » l.5, «
mouvant » l.10, « un pas de côté » l.14, « se déplaçaient
sans hâte » l.62, « se faufilaient » l.67.
-
ils sont évanescents, n'impriment pas leur corps dans l'espace : C.L
de la discrétion « écrasé la poussière sans la déplacer »
l.17, « effaçant la trace de leurs pas [...] de leur vie »
l.18-19, « présence furtive » l.65
-
l.65-66 : « ils avaient pratiqué des ouvertures
clandestines, rouvert des portes » : métaphore du fantôme
traversant les murs.
B.
Mais ils semblent aussi inhumains, animalisés, à cause de leur
misère
-
bovins, curiosité impolie devant l 'inhabituel : l.6 à 8, les gris
« s'approchèrent, regardèrent Eléa et Païkan et repartirent sans
avoir dit un mot »
-
ils sont nombreux : « rencontraient, croisaient ou dépassaient
d'autres sans-clé » l. 61-62, « seuls ou par petits groupes » l.
62-63
-
Ils sont affamés, démunis, miséreux : « famine » l.79, « se
procurer l'indispensable » l.69
-
D'où l'illégalité, l'humiliation : « ouvertures clandestines »
l.66, « la mendicité ou la rapine » l.69-70, « ils étaient
réduits à » l.80, enfonce une lame dans les conduites d'eau pour
pouvoir boire (l.40) (lame qui annonce la mort des oiseaux-ronds)
-
Les gris tuent pour se nourrir : « manger des oiseaux-ronds » l.80
et « faisaient cuire des oiseaux-ronds » = rendu plus cruel par la
description vivante qui est faite de l'animal juste avant (l.82 à
87). // l'horreur d'Eléa lorsque Simon lui propose de la viande à
manger, p.196 : « Vous mangez de la bête ! »
-
hommes pré-historiques (nos hommes pré-historiques... se rappeler
que ce récit se passe il y a 900 000 ans), barbares : « accroupis »
l.96, « au-dessus d'un feu » l.97
=
apparaissent comme des animaux aux yeux (et au nez !) de Païkan et
Eléa : « souleva le coeur de Païkan » l.99
III.
Des personnages qui incarnent deux mondes
A.
Eléa et Païkan : des vivants au milieu des morts
-
Ils ne font que traverser ce monde qui leur est étranger et où ils
sont eux-mêmes considérés comme des étrangers : l.6 à 9 des
sans-clé les observent curieusement.
-
Ils représentent la vie : Eléa « rit » l.44 et produit de
multiples bruits lorsqu'elle boit = déchire le silence ambiant. Elle
a « la bouche ouverte », là où le monde se tait.
-
Eléa et Païkan forment un couple uni : « la main dans la main »
l.59 là où les hommes vivent « seuls ou par petits groupes »
l.62-63 = ils apparaissent comme des humains au milieu de bêtes.
Ils
sont d'ailleurs écoeurés par l'odeur de la nourriture des
sans-papier, considérés comme des barbares l.95 à 99 ; eux-mêmes
sont considérés comme des étrangers par les sans-clés qui les
dévisagent au début de l'extrait.
-
Ne sont pas habitués à cet environnement ni cette course : «
étourdis » l.75 + verbes de rapidité par rapport aux verbes de
lenteur qui caractérisent les sans-clés. +
« souleva le coeur
de Païkan » l.99
=
Couple mythique d'Orphée et Eurydice ; ou Dante aux Enfers, mené
par Virgile, son guide, dans un lieu hors du temps, sans lumière,
hanté des âmes des morts, mais un Dante accompagné de sa
bien-aimée Béatrice ? Ou encore Thésée et Ariane contre le
Minotaure (les soldats de Coban) ?
B.
Le guide : un guide spirituel
-
Son nom n'est jamais donné, comme si le fait d'être sans-clé ôtait
le droit à toute identité (sans-papier). Il est désigné par «
l'homme » l.24, « le sans-clé » l.35 ou « leur guide » l.76.
-
Il a une fonction de sauveur : il les conduit à travers les dédales
de la villes, il leur permet de sauter dans le lac de la 6ème
profondeur (p. 384) et d'échapper ainsi à Coban. Eléa et Païkan
sont derrière lui : « ils le suivirent » l.51, « descendaient
derrière lui » l.59, « suivaient leur guide » l.76
-
Il a une fonction de prophète, établit des pronostics sur la
capacité des gardes à les retrouver : « Ils ne penseront pas »
l.1, « ils auront de la peine » l.4
-
Il connaît précisément son environnement : « les portes ont été
condamnées » l.3, « il y a 30 000 marches » l.25, « celui le la
5è profondeur est plein de gardes » l.32 = phrases déclaratives,
purement descriptives = pas de réfutation possible, c'est lui qui
sait. Il utilise des chiffres précis (« 30 000 marches », « 300
étages », « 5è » ou « 6è » profondeur). Il découvre
d'ailleurs un conduit d'eau à demi-caché sous la poussière : « il
nettoya […] la poussière qui ouatait une sorte de cylindre »
l.37-39
-
Il est un « guide » qui délivre des explications, qui dévoile la
vérité sur l'envers du décors : « il leur expliquait tout »
l.76-77, « il disait » l.78, « il montra » l.81
-
Il connaît toutes les arcanes de ce monde donc
inspire
confiance : « avec une sûreté » l.57-58, « sans hésitation »
l.62-63
-
Il donne des ordres : présent d'injonction l.48 + impératif l.49
-
Il distribue l'eau et la nourriture : « sphérules de nourriture »
l.436 « double jet d'eau » l.40-41
-
Il est un guide spirituel : il entraîne Eléa et Païkan dans les
profondeurs = symbolique de l'initiation, de l'accès aux mystères
de la vie, de plongée dans nos origines ou notre inconscient,
d'introspection : « descendre sera plus facile » l.35, « 300
étages à descendre » l.49, « tombant », « descendant d'étage
en étage » « toujours plus bas » l.57-58, « s'enfonçaient »
l.60
-
Il incarne la course contre la montre, à travers ses rares paroles
et ses gestes : « dépêchons » l.49 + « courait » l.52, «
courant, sautant » l.75, « fonçait » l.76 + phrases hachées et
rythmées qui marquent la rapidité de la progression, l.51 à 58
=
Il est un sage qui ouvre les yeux d'Eléa et Païkan sur l'envers du
décors, de cette cité idéale dans laquelle ils ont été si
heureux. Il les aide, leur montre le chemin, les sauve ; il détient
le savoir, l'autorité et un désintéressement altruiste.
Cette
progression vers le bas // percée des chercheurs de l'EPI pour aller
trouver la sphère d'or ; annonciatrice de l'enfouissement des deux
amants dans la sphère // descente aux Enfers d'Eurydice puis
d'Orphée, symbole de l'amour ultime ou encore // La Divine Comédie,
l'enfer de Dante, Virgile le guide.
Conclusion
:
Un
lieu étrange, hors la vie et pourtant protecteur, bouclier contre
les gardes qui recherchent Eléa. Le sans-clé qui sert de guide fait
penser à un guide spirituel, sorte de Virgile qui mène les deux
amants vers d'autres sphères. = Métaphore de la progression de
l'âme ou dénonciation d'un monde qui crée des exclus ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire