L.A
n°3, « Un rêve », Aloysius Bertrand
« Un
rêve » s'intéresse aux points communs entre le rêve et la poésie :
Comment le récit d'un rêve permet-il de rendre compte de ce qu'est la poésie pour A. Bertrand ?
Comment le récit d'un rêve permet-il de rendre compte de ce qu'est la poésie pour A. Bertrand ?
I. Un récit
poétique effrayant
A. Une apparence de récit
-
Commence comme un conte avec la formule liminaire « il était
nuit », qui rappelle les formules de contes.
-
Se poursuit en apparence selon un ordre chronologique avec les
connecteurs temporels « d’abord »,
« ensuite », « enfin » au
début des paragraphes 1 à 3.
Le
récit
se
déroule
en trois étapes :
-
1er
paragraphe : sorte
d’ekphrasis (=
terme qui signifie la description
d'un
tableau),
description
introduite par le verbe de perception « voir » :
suite
de trois tableaux qui dépeignent un lieu (une abbaye, une forêt,
une place), ayant en commun d’être dans l’obscurité.
-
2nd
paragraphe : le
poète rapporte désormais des bruits (« j’ai entendu ») :
série
auditive
placée sous le signe de
la peur.
-
3ème paragraphe :
ce
sont enfin des actions qui sont décrites, à travers des verbes :
« expirait »,
« se
débattait»,
« liait sur les rayons de la roue ».
-
On
a donc
l’impression
qu’il s’agit d’un récit d’anecdote, dont le poète a été
le témoin (verbes
de perception : « j’ai
vu, j’ai entendu »)
-
Les
temps du récit au passé : imparfait pour la mise en place du
cadre spatio-temporel (1er
paragraphe : « il était nuit » et passé simple
« ce furent d'abord »). Un cadre précis : « nuit »,
« abbaye », « forêt », « Morimont ».
-
Des personnages : « un moine », « une jeune
fille », « Dom Augustin », « Marguerite »
et « moi ».
-
Des actions : le moine qui « expirait », la jeune
fille qui « se débattait », et « moi que le
bourreau liait […] sur la roue ».
B. En réalité un
poème en
prose
-
Mais un examen plus attentif montre
une sorte de refrain : 3
x
répétitions
d’une
même tournure de phrase, placée
entre tirets :
« ainsi, j’ai vu, ainsi je raconte », « ainsi
j’ai entendu, ainsi je raconte », « ainsi s’acheva le
rêve, ainsi je raconte », qui
apparente ce texte à un poème. Autres marques de la poésie :
-
5
courts
paragraphes de longueur équilibrée, qui
s’apparentent à des strophes (chacune constituée d’une longue
phrase).
-
anaphore de « ce furent », l.1,
4 et 8.
-
rythme : des
alexandrins
cachés
(« une
forêt percée de sentiers tortueux » l.2,
« et
je poursuivais d’autres songes vers le réveil » l.17-18)
un
rythme souvent quaternaire en début de paragraphe : (« il
était nuit » / « ce furent ensuite » / « ce
furent enfin » / « Dom Austin ».)
-
des
assonances et des allitérations marquées, par exemple allitérations
en [r] :
« cris »,
« rires », « féroces, « frissonnaient »,
« ramée », « prière »… l.5-7) ou
assonance en [an] : « ardente », « amant »,
« blanche », « innocence », « entre »
(l.13-14)
-
des
rimes
intérieures (« une jeune fille qui se débattait » /
« et moi que le bourreau liait » l.9-10
ou
« le glas funèbre d’une cloche » / « des cris
plaintifs et des rires féroces » l.4 à 6)
C. Dans un univers gothique et effrayant
-
Ambiance
fantastique dès le 1er
paragraphe :
x
la
« lune »,
élément
maléfique
x
une
abbaye aux
« murailles
lézardées »
qui
fait penser aux châteaux hantés des contes fantastiques,
x
la
« forêt », lieu du mal
dans
les contes ou
les fables,
x
les
« sentiers tortueux »
suggèrent
à la fois la
« torture » et
un esprit tordu, malveillant.
x
le
Morimont
dont
la sonorité rappel la fonction (mont sur lequel a lieu la mort)
x
les
« capes »
et les
« chapeaux » suggèrent
une assemblée de vampires
- Cadre médiéval : le Morimont, les pénitents noirs, le
supplice de la roue, le cordelier.
-
Le
C.L de la mort très prégnant :
x
dans le 2ème §, les
noms
sont sont
systématiquement accompagnés
d’adjectifs
qui
en accentuent le caractère morbide :
« glas
funèbres », « sanglots funèbres », « cris
plaintifs », « rires féroces » « prières
bourdonnantes » ; les
sonorités appuient le sens : sifflantes maléfiques
(« funèbre »,
« sanglots »,
« cellule »,
« plaintifs »,
« féroces »,
« frissonnait »,
« feuille »,
« supplice ») ;
l’assonance
en [i] des cris stridents (« cris plaintifs et rires ») ;
allitération en [r] de la peur…
x
dans le 3ème §, la mort survient : « expirait »,
« agonisants », « pendue », + « tuée »
dans le 4ème §
-
La
nature semble vivante / les hommes sont dénaturés : « murailles
lézardées » (au sens premier : couvert de lézards)/
« grouillant de capes et de chapeaux » (métonymie qui
apparente les capes et les chapeaux à des insectes /
« frissonnait chaque feuille » (personnification suggérant la peur)/
« prières bourdonnantes » (référence
aux insectes)
II. Pour montrer que rêve
et poésie sont le miroir l'un de l'autre
A. l’incohérence
d'un
rêve / une forme qui mime l'univers onirique
-
Le
titre annonce le sujet : « un
rêve », le
mot « rêve » est repris ligne 8, et
la
fin du poème évoque « d’autres songes vers le réveil ».
Ce
poème
relate donc explicitement
un rêve.
-
Le
cadre est
propice
au rêve (ou au cauchemar) avec le C.L de la nuit : « il
était nuit » l.1, « la
lune » apparaît dans le rêve l.2, « les torches des
pénitents noirs » l.16 suggère qu’il fait nuit → La nuit
est
à la fois le thème du rêve, mais aussi le
moment et la condition même de l’écriture : le
noir de la nuit devient l’encre noire du poète. Au
mot « réveil », le poème s’achève d’ailleurs,
comme si le jour effaçait tout.
Le
texte dit le désordre du rêve
dans le désordre des mots :
-
les différents temps des verbes traduisent
le désordre, l’incohérence : imparfait
et passé simple dans le récit des trois premiers paragraphes, puis
curieux passage au futur dans le paragraphe 4, retour au passé dans
le dernier paragraphe, mais cette fois, au plus que parfait, comme si
l’action de ce § se déroulait avant toutes les autres, en dépit
de toute logique.
-
le
rêve ne comporte pas de structure : la typographie souligne les
sauts du rêve, le blanc qui sépare chaque paragraphe souligne
l’absence de logique d’un
paragraphe à l’autre.
-
Au
sein même des §, les idées sont fragmentées, séparées les unes
des autres par des tirets et des virgules, dans des phrases où la
syntaxe est malmenée (absence de propositions
principales,
d’énumérations
de groupes
nominaux). On
assiste à des sortes de flashs de rêves.
-
Abondance
des ruptures, anacoluthe (=
rupture de construction):
« Mais
moi,
la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée » l.15 :
comme
le rêve qui passe d’un univers à un autre sans aucune transition.
-
Un
C.L de la cassure, du heurt : « lézardées » l.2,
« percée » l.2, « brisée » l.15 : à
l’image de ce poème/ rêve
fragmenté.
=
ce
chaos, ce texte sans logique, tente
de reproduire l’incohérence du rêve.
B. Une
certaine logique se dessine pourtant / le
poème est
une tentative pour
comprendre le
rêve
On
peut lire ce poème comme une tentative de compréhension du rêve :
l'écrire, c'est se l'approprier, c'est mettre des mots dessus, dans
une recherche de sens.
-
Chaque paragraphe contient un fragment de l’histoire :
Les lieux (j’ai vu) | « Une abbaye aux murailles lézardées par la lune » | « Une forêt percée de sentiers tortueux » | « Le Morimont grouillant de capes et de chapeaux » |
Les bruits (j’ai entendu) | « Le glas funèbre d’une cloche, les sanglots funèbres d’une cellule » | « Des cris plaintifs et des rires féroces » | « Les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice » |
Les actions | « Un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants » | « Une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne » | « Moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue » |
Les personnages | « Dom Augustin le prieur défunt » | « Marguerite que son amant a tuée » | « moi » |
-
3 visions énoncées
en même temps : refuse une succession chronologique
et agence
plutôt des effets de surimpression et de simultanéité (d’abord
les décors, plus les bruits, puis les actions) : comme les
rêves qui se mélangent dans la tête du dormeur.
-
C’est au
quatrième paragraphe que
l’identité des personnages
est révélée grâce à leur nom : « Dom Augustin »
(= personnage historique, Augustin Calmet, fin XVIIè, début XVIIIè siècle, un moine qui a
notamment écrit un traité sur les esprits, les revenants et
vampires d’Europe de l’Est)
;
« Marguerite » est un personnage mythique (mythe de Faust :Marguerite,
l’amante de Faust, est condamnée à mort pour infanticide ;
Faust
avait fait un pacte avec le diable).
→
deux personnages liés
à la pureté ou à l’innocence, mais en
lien avec le mal.
C. Le
rêve : une métaphore de
la poésie ? OU
La dislocation de la fin du poème
Le
dernier paragraphe nous fait
comprendre
que pour A. Bertrand, le rêve est une métaphore de la poésie.
-
L’adversatif
« Mais » au début du 5ème paragraphe, marque une
opposition entre les
deux
personnages (Marguerite
et Dom Augustin) et
le poète. Lui
échappe à la mort, dans un renversement absurde :
au lieu d’avoir les membres brisés par le bourreau, c’est la
barre du bourreau qui est « brisée comme un verre ». Les
autres images sont tout aussi absurdes (« torrents de pluie »
et « la foule s’était écoulée avec les ruisseaux »),
ce qui est un élément commun au rêve et à la poésie : les
deux peuvent créer des images, des associations d’idées qui
parlent à l’imagination, en dehors de toute rationalité.
-
La
comparaison « brisée comme un verre » peut, par
homophonie, suggérer des vers brisés, une poésie fragmentée. Le
rêve se brise en même temps que le poème.
-
La
comparaison survient
précisément au moment où le poème se disloque,
et
tout paraît s’effacer avec la brisure du verre : les torches
s’éteignent, la foule s’écoule.
- les éléments aqueux ("torrents", pluie", "s'écoulait"...) alliés à la couleur noire des pénitents peut suggérer l'encre du poète. Encre qui coule, écrit, puis s'arrête.
- les éléments aqueux ("torrents", pluie", "s'écoulait"...) alliés à la couleur noire des pénitents peut suggérer l'encre du poète. Encre qui coule, écrit, puis s'arrête.
-
Le
dernier paragraphe
n'évoque
plus que le
« moi » du
poète. Ce
« moi », ici,
ne désigne plus le témoin
des
premiers paragraphes
(« ainsi j’ai vu, ainsi je raconte », etc.), ni
l’acteur
de son rêve (« et
moi que le bourreau liait », 3è §) ;
mais
le
rêveur et
poète qui
« poursuivai[t] d’autres songes vers le réveil ».
-
Le terme « songe » peut d’ailleurs à la fois désigner
le rêve et le poème, ou toute autre construction de l’imagination.
-
La
dislocation
de la fin du poème
est
parallèle à la dislocation de la fin du rêve : le
mot « réveil » achève aussi bien le poème que le rêve.
C/ bis (autres idées possibles) : Un récit qui donne lieu à interprétations personnelles
- Paradoxe : images frappantes de noirceur mais absence d'émotion de la part du poète (d'ailleurs absent au début du récit puisque simple témoin) = place laissée au lecteur ? Comme si le poète se contentait de livrer des images, mais qu'il laissait le soin au lecteur de construire son propre sens ?
- Antithèse entre le crime, la faute, et la pureté, la rédemption = le poète se nettoie d'un sentiment de culpabilité par l'écriture ?
C/ bis (autres idées possibles) : Un récit qui donne lieu à interprétations personnelles
- Paradoxe : images frappantes de noirceur mais absence d'émotion de la part du poète (d'ailleurs absent au début du récit puisque simple témoin) = place laissée au lecteur ? Comme si le poète se contentait de livrer des images, mais qu'il laissait le soin au lecteur de construire son propre sens ?
- Antithèse entre le crime, la faute, et la pureté, la rédemption = le poète se nettoie d'un sentiment de culpabilité par l'écriture ?
- On passe d’ailleurs d’un début de poème très sombre (dans la nuit, la forêt, les pénitent noirs, etc.) à la clarté et la blancheur : Dom Augustin et Marguerite, après leur mort, sont vêtus d’un habit symbolisant leur innocence (« en habit de cordelier » et « blanche robe d’innocence » l.12-13) et placés dans un lieu sacré et lumineux (« chapelle ardente » et « entre quatre cierges de cire »). Ils semblent sacralisés après avoir vécu le martyre. L’assonance en [an] souligne leur innocence.
- Quant au «je» du poète, il échappe à la mort, mais connaît lui aussi une forme de purification dans le dernier paragraphe, grâce à la présence de l’eau (« torrents de pluie », « ruisseaux ») qui efface tout et purifie tout, dans une dimension chrétienne (l’eau de la Bible = purificatrice)
Autres
plans possibles :
Quel
sens peut-on donner à de ce poème ?
I.
Un texte qui apparaît comme incohérent
A.
Un texte qui ressemble à un récit
B.
Un récit qui semble incohérent
C.
Des images terrifiantes mais sans émotion exprimée
II.
Le sens est à construire par le lecteur
A.
En réalité, un poème
B.
dont
le sens se dégage de manière verticale
C.
et
donne lieu à différentes lectures (rêve raconté de manière
finalement réaliste ; métaphore de la création poétique ;
révèle un sentiment de culpabilité/ mais rédemption du poète?)
En
quoi ce texte est-il tout en contrastes ?
I.
Un contraste dans la forme
A.
Récit
B.
ou poème
II.
Un contraste dans le récit
A.Cauchemar
B.
ou
simple description d’un rêve
III.
Un contraste dans l’organisation
A.
Incohérence
B.
ou forme de logique
Qu’est-ce
qui fait le
mystère
de ce poème ?
I.
Un poème hybride
A
.A la fois récit...
B.
...et
poème
II.
Un poème en
forme d’énigme
A.
Un puzzle...
B.
...dont
il faut rassembler les pièces
III.
Un
poème dont le sens n’est pas donné
A.
Une fausse piste : un registre fantastique mais dépourvu
d’émotions
B.
C’est au lecteur de trouver du sens (+ interprétation personnelle)
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