mercredi 4 octobre 2017

Séquence poésie : L.A 3 : "Un Rêve", A. Bertrand

L.A n°3, « Un rêve », Aloysius Bertrand

« Un rêve » s'intéresse aux points communs entre le rêve et la poésie : 
Comment le récit d'un rêve permet-il de rendre compte de ce qu'est la poésie pour A. Bertrand ?

I. Un récit poétique effrayant

A. Une apparence de récit
- Commence comme un conte avec la formule liminaire « il était nuit », qui rappelle les formules de contes.
- Se poursuit en apparence selon un ordre chronologique avec les connecteurs temporels « d’abord », « ensuite », « enfin » au début des paragraphes 1 à 3.
Le récit se déroule en trois étapes :
- 1er paragraphe : sorte d’ekphrasis (= terme qui signifie la description d'un tableau), description introduite par le verbe de perception « voir » : suite de trois tableaux qui dépeignent un lieu (une abbaye, une forêt, une place), ayant en commun d’être dans l’obscurité.
- 2nd paragraphe : le poète rapporte désormais des bruits (« j’ai entendu ») : série auditive placée sous le signe de la peur.
- 3ème paragraphe : ce sont enfin des actions qui sont décrites, à travers des verbes : «  expirait », « se débattait», « liait sur les rayons de la roue ».
- On a donc l’impression qu’il s’agit d’un récit d’anecdote, dont le poète a été le témoin (verbes de perception : « j’ai vu, j’ai entendu »)
- Les temps du récit au passé : imparfait pour la mise en place du cadre spatio-temporel (1er paragraphe : « il était nuit » et passé simple « ce furent d'abord »). Un cadre précis : « nuit », « abbaye », « forêt », « Morimont ».
- Des personnages : « un moine », « une jeune fille », « Dom Augustin », « Marguerite » et « moi ».
- Des actions : le moine qui « expirait », la jeune fille qui « se débattait », et « moi que le bourreau liait […] sur la roue ».

B. En réalité un poème en prose
- Mais un examen plus attentif montre une sorte de refrain : 3 x répétitions d’une même tournure de phrase, placée entre tirets : « ainsi, j’ai vu, ainsi je raconte », « ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte », « ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte », qui apparente ce texte à un poème. Autres marques de la poésie :
- 5 courts paragraphes de longueur équilibrée, qui s’apparentent à des strophes (chacune constituée d’une longue phrase).
- anaphore de « ce furent », l.1, 4 et 8.
- rythme : des alexandrins cachés (« une forêt percée de sentiers tortueux » l.2, « et je poursuivais d’autres songes vers le réveil » l.17-18) un rythme souvent quaternaire en début de paragraphe : (« il était nuit » / « ce furent ensuite » / « ce furent enfin » / « Dom Austin ».)
- des assonances et des allitérations marquées, par exemple allitérations en [r] : « cris », « rires », « féroces, « frissonnaient », « ramée », « prière »… l.5-7) ou assonance en [an] : « ardente », « amant », « blanche », « innocence », « entre » (l.13-14)
- des rimes intérieures (« une jeune fille qui se débattait » / « et moi que le bourreau liait » l.9-10 ou « le glas funèbre d’une cloche » / « des cris plaintifs et des rires féroces » l.4 à 6)

C. Dans un univers gothique et effrayant
- Ambiance fantastique dès le 1er paragraphe :
  x la « lune », élément maléfique
  x une abbaye aux « murailles lézardées » qui fait penser aux châteaux hantés des contes fantastiques,
  x la « forêt », lieu du mal dans les contes ou les fables,
  x les « sentiers tortueux » suggèrent à la fois la « torture » et un esprit tordu, malveillant.
  x le Morimont dont la sonorité rappel la fonction (mont sur lequel a lieu la mort)
  x les « capes » et les « chapeaux » suggèrent une assemblée de vampires
- Cadre médiéval : le Morimont, les pénitents noirs, le supplice de la roue, le cordelier.
- Le C.L de la mort très prégnant :
  x dans le 2ème §, les noms sont sont systématiquement accompagnés d’adjectifs qui en accentuent le caractère morbide : « glas funèbres », « sanglots funèbres », « cris plaintifs », « rires féroces » « prières bourdonnantes » ; les sonorités appuient le sens : sifflantes maléfiques (« funèbre », « sanglots », « cellule », « plaintifs », « féroces », « frissonnait », « feuille », « supplice ») ; l’assonance en [i] des cris stridents  (« cris plaintifs et rires ») ; allitération en [r] de la peur…
  x dans le 3ème §, la mort survient : « expirait », « agonisants », « pendue », + « tuée » dans le 4ème §
- La nature semble vivante / les hommes sont dénaturés : « murailles lézardées » (au sens premier : couvert de lézards)/ « grouillant de capes et de chapeaux » (métonymie qui apparente les capes et les chapeaux à des insectes / « frissonnait chaque feuille » (personnification suggérant la peur)/ « prières bourdonnantes » (référence aux insectes)


II. Pour montrer que rêve et poésie sont le miroir l'un de l'autre

A. l’incohérence d'un rêve / une forme qui mime l'univers onirique
- Le titre annonce le sujet : « un rêve », le mot « rêve » est repris ligne 8, et la fin du poème évoque « d’autres songes vers le réveil ». Ce poème relate donc explicitement un rêve.
- Le cadre est propice au rêve (ou au cauchemar) avec le C.L de la nuit : « il était nuit » l.1, « la lune » apparaît dans le rêve l.2, « les torches des pénitents noirs » l.16 suggère qu’il fait nuit → La nuit est à la fois le thème du rêve, mais aussi le moment et la condition même de l’écriture : le noir de la nuit devient l’encre noire du poète. Au mot « réveil », le poème s’achève d’ailleurs, comme si le jour effaçait tout.

Le texte dit le désordre du rêve dans le désordre des mots :
- les différents temps des verbes traduisent le désordre, l’incohérence : imparfait et passé simple dans le récit des trois premiers paragraphes, puis curieux passage au futur dans le paragraphe 4, retour au passé dans le dernier paragraphe, mais cette fois, au plus que parfait, comme si l’action de ce § se déroulait avant toutes les autres, en dépit de toute logique.
- le rêve ne comporte pas de structure : la typographie souligne les sauts du rêve, le blanc qui sépare chaque paragraphe souligne l’absence de logique d’un paragraphe à l’autre.
- Au sein même des §, les idées sont fragmentées, séparées les unes des autres par des tirets et des virgules, dans des phrases où la syntaxe est malmenée (absence de propositions principales, d’énumérations de groupes nominaux). On assiste à des sortes de flashs de rêves.
- Abondance des ruptures, anacoluthe (= rupture de construction): « Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée » l.15 : comme le rêve qui passe d’un univers à un autre sans aucune transition.
- Un C.L de la cassure, du heurt : « lézardées » l.2, « percée » l.2, « brisée » l.15 : à l’image de ce poème/ rêve fragmenté.
= ce chaos, ce texte sans logique, tente de reproduire l’incohérence du rêve.

B. Une certaine logique se dessine pourtant / le poème est une tentative pour comprendre le rêve
On peut lire ce poème comme une tentative de compréhension du rêve : l'écrire, c'est se l'approprier, c'est mettre des mots dessus, dans une recherche de sens.

- Chaque paragraphe contient un fragment de l’histoire :
Les lieux (j’ai vu) « Une abbaye aux murailles lézardées par la lune » « Une forêt percée de sentiers tortueux » « Le Morimont grouillant de capes et de chapeaux »
Les bruits (j’ai entendu) « Le glas funèbre d’une cloche, les sanglots funèbres d’une cellule » « Des cris plaintifs et des rires féroces » « Les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice »
Les actions « Un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants » « Une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne » « Moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue »
Les personnages « Dom Augustin le prieur défunt »  « Marguerite que son amant a tuée » « moi »

- 3 visions énoncées en même temps : refuse une succession chronologique et agence plutôt des effets de surimpression et de simultanéité (d’abord les décors, plus les bruits, puis les actions) : comme les rêves qui se mélangent dans la tête du dormeur.
- C’est au quatrième paragraphe que l’identité des personnages est révélée grâce à leur nom : « Dom Augustin » (= personnage historique, Augustin Calmet, fin XVIIè, début XVIIIè siècle, un moine qui a notamment écrit un traité sur les esprits, les revenants et vampires d’Europe de l’Est) ; « Marguerite » est un personnage mythique (mythe de Faust :Marguerite, l’amante de Faust, est condamnée à mort pour infanticide ; Faust avait fait un pacte avec le diable). → deux personnages liés à la pureté ou à l’innocence, mais en lien avec le mal.


C. Le rêve : une métaphore de la poésie ? OU La dislocation de la fin du poème

Le dernier paragraphe nous fait comprendre que pour A. Bertrand, le rêve est une métaphore de la poésie.
- L’adversatif « Mais » au début du 5ème paragraphe, marque une opposition entre les deux personnages (Marguerite et Dom Augustin) et le poète. Lui échappe à la mort, dans un renversement absurde : au lieu d’avoir les membres brisés par le bourreau, c’est la barre du bourreau qui est « brisée comme un verre ». Les autres images sont tout aussi absurdes (« torrents de pluie » et « la foule s’était écoulée avec les ruisseaux »), ce qui est un élément commun au rêve et à la poésie : les deux peuvent créer des images, des associations d’idées qui parlent à l’imagination, en dehors de toute rationalité.
- La comparaison « brisée comme un verre » peut, par homophonie, suggérer des vers brisés, une poésie fragmentée. Le rêve se brise en même temps que le poème.
- La comparaison survient précisément au moment où le poème se disloque, et tout paraît s’effacer avec la brisure du verre : les torches s’éteignent, la foule s’écoule.
- les éléments aqueux ("torrents", pluie", "s'écoulait"...) alliés à la couleur noire des pénitents peut suggérer l'encre du poète. Encre qui coule, écrit, puis s'arrête.
- Le dernier paragraphe n'évoque plus que le « moi » du poète. Ce « moi », ici, ne désigne plus le témoin des premiers paragraphes (« ainsi j’ai vu, ainsi je raconte », etc.), ni l’acteur de son rêve (« et moi que le bourreau liait », 3è §) ; mais le rêveur et poète qui « poursuivai[t] d’autres songes vers le réveil ».
- Le terme « songe » peut d’ailleurs à la fois désigner le rêve et le poème, ou toute autre construction de l’imagination.
- La dislocation de la fin du poème est parallèle à la dislocation de la fin du rêve : le mot « réveil » achève aussi bien le poème que le rêve.

C/ bis (autres idées possibles) : Un récit qui donne lieu à interprétations personnelles 


- Paradoxe : images frappantes de noirceur mais absence d'émotion de la part du poète (d'ailleurs absent au début du récit puisque simple témoin) = place laissée au lecteur ? Comme si le poète se contentait de livrer des images, mais qu'il laissait le soin au lecteur de construire son propre sens ? 


- Antithèse entre le crime, la faute, et la pureté, la rédemption = le poète se nettoie d'un sentiment de culpabilité par l'écriture ? 

On passe d’ailleurs d’un début de poème très sombre (dans la nuit, la forêt, les pénitent noirs, etc.) à la clarté et la blancheur : Dom Augustin et Marguerite, après leur mort, sont vêtus d’un habit symbolisant leur innocence (« en habit de cordelier » et « blanche robe d’innocence » l.12-13) et placés dans un lieu sacré et lumineux (« chapelle ardente » et « entre quatre cierges de cire »). Ils semblent sacralisés après avoir vécu le martyre. L’assonance en [an] souligne leur innocence.
- Quant au «je» du poète, il échappe à la mort, mais connaît lui aussi une forme de purification dans le dernier paragraphe, grâce à la présence de l’eau (« torrents de pluie », « ruisseaux ») qui efface tout et purifie tout, dans une dimension chrétienne (l’eau de la Bible = purificatrice)



Autres plans possibles :

Quel sens peut-on donner à de ce poème ?

I. Un texte qui apparaît comme incohérent
A. Un texte qui ressemble à un récit
B. Un récit qui semble incohérent
C. Des images terrifiantes mais sans émotion exprimée

II. Le sens est à construire par le lecteur
A. En réalité, un poème
B. dont le sens se dégage de manière verticale
C. et donne lieu à différentes lectures (rêve raconté de manière finalement réaliste ; métaphore de la création poétique ; révèle un sentiment de culpabilité/ mais rédemption du poète?)


En quoi ce texte est-il tout en contrastes ?

I. Un contraste dans la forme
A. Récit
B. ou poème 

II. Un contraste dans le récit
A.Cauchemar
B. ou simple description d’un rêve

III. Un contraste dans l’organisation
A. Incohérence
B. ou forme de logique

Qu’est-ce qui fait le mystère de ce poème ?

I. Un poème hybride
A .A la fois récit...
B. ...et poème

II. Un poème en forme d’énigme
A. Un puzzle...
B. ...dont il faut rassembler les pièces

III. Un poème dont le sens n’est pas donné
A. Une fausse piste : un registre fantastique mais dépourvu d’émotions
B. C’est au lecteur de trouver du sens (+ interprétation personnelle)




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire