mercredi 4 octobre 2017

Séquence poésie : L.A 4 : "Les Espaces du sommeil", R. Desnos

L.A n°4, Desnos, « Les espaces du sommeil »

I. Les « espaces du sommeil », lieu de tous les possibles

A. L’univers onirique de la nuit ou La nuit, un univers merveilleux et magique

  • Anaphore de « dans la nuit »  + le titre avec le terme « espaces » : la nuit est conçue plus comme un lieu que comme un moment.
  • Lexique de la nuit et du rêve : « nuit », « sommeil », « rêves » (plusieurs occurrences), « yeux clos »
  • Anaphore du présentatif « il y a »  + énumération (v.1 à 12) : description de ce qui peuple la nuit du poète, comme si celle-ci était plus un espace qu’un moment.
  • Univers merveilleux, univers de la fiction, univers du fantastique : « les forêts » et les « créatures de légende », « merveilles du monde » v.1 et 43 = référence aux contes ; il y a le pas du promeneur et celui de l’assassin et celui du sergent de ville » v.6-7 = référence à un récit policier : « d’étranges figures » v.19 ; « lumière blafarde » et « essieux qui grincent » v.27-28 = fantastique
  • Univers magique, lieu des illusions : C.L « mirage », « charme », « métamorphoses », « illusion »
  • Les deux références aux yeux fermés (« mes yeux clos » v.33 et « quand je ferme les yeux » v.20) provoquent le jaillissement d’images heureuses : les « floraisons » et le visage de la femme aimée → paradoxe qui rend la nuit toute-puissante.
  • La nuit rend aussi possible la réunion des contraires : antithèses « la grandeur et le tragique » v.2, « l’assassin » et « le sergent » v.6-7, le « crépuscule » et l’« aube » v.11-12 ; paradoxe : « quand je ferme les yeux, des floraison phosphorescentes apparaissent » v.20 ; propositions inverse : « toi [… ] que je ne connais pas, que je connais au contraire ».
  • deux termes concrets (« appartenir » et « posséder ») en lien avec deux termes de l’imagination (« volonté », « illusion ») dans « Toi qui m'appartient de par ma volonté de te posséder en illusion » = le seul fait de rêver rend réel un désir = nuit comme lieu de tous les possibles
B. Le sommeil, lieu immense et cosmique
  • Le titre « Les espaces du sommeil » : pluriel + métaphore spatiale = grandeur, immensité
  • Les cinq sens sont sollicités : l’ouïe est le sens plus sollicité (« Un air de piano, un éclat de voix./ Une porte claque. Une horloge. » ,« le chant du coq » v.18, « le cri du paon », « les bruits ») ; la vue (« lumière », «yeux », « figures » + description des « merveilles », des « forêts »...) ; le toucher (« heurtent », « frisson », « mains qui se serrent », « palpable ») ; l’odorat (« parfums ») → un univers total, complet.
  • Les accumulations et les hyperbates (figures de style consistant à prolonger une phrase par ajout d’éléments, ici, grâce à la conjonction de coordination « et ») donnent une impression de foisonnement : v.2« il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme », v.6-7 « il y a le pas du promeneur et celui de l’assassin et celui du sergent de ville et la lumière… et celle du... »
  • Anaphore de « Et » en début de vers, v.16, 24, 25 : accentue ce foisonnement
  • De nombreux éléments sont au pluriel : « les forêts » v.3, « les trains et les bateaux » v.10, « des pays inconnus » v.22, « les parfums » v.25, etc.
  • La nuit donne accès à des « espaces » multiples, au monde entier, au cosmos même :
    x le titre du poème : pluriel « les espaces ».
    x C.L du du déplacement, du voyage, comme si le rêve permettait n’importe quel voyage : « le pas du promeneur » v.6, « passent les trains et les bateaux » v.10, « pays inconnus que je parcours » v.22, « routes médusantes » v.28
    x répétition de « pays » dans « pays où il fait jour » (v.10) et « pays inconnus » (v.22),
    x « les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d’êtres » (v.40) : gradation (du plus grand au plus petit) : la nuit permet de tout embrasser.
  • Elle permet aussi un voyage dans le temps : « le chant du coq d’il y a 2000 ans » v.25, « les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l’aube » v.11-12
C. Un espace de beauté et de vie
  • Le nom « merveilles » est utilisé en début et en fin de poème (v.1 et 43)→ place importante accordée à ces merveilles (dans le sens de beauté extraordinaires)
  • Evocation de phénomènes naturels traditionnellement associés à la beauté : « le crépuscule » et « l’aube » v.11-12, des « floraisons » v.20, les « étoiles » et « la mer » v.40 ; des créations humaines également associées à la beauté, à l’art : « un air de piano » v.14 et des « feux d’artifice » v.21.
  • Des belles images : « l’âme palpable de l’étendue » v.24 ou « les parfums du ciel et des étoiles » v.25
  • La lumière et le feu éclairent le poème / la nuit par petites touches : « floraisons phosphorescentes » « feux d’artifice » « lumière du réverbère » « lanterne du chiffonnier » « étoiles » « parcs en flammes» «lumière blafarde » → la vie palpite dans la nuit
  • Caractère incantatoire et musical :
    • les allitérations (par exemple en [f] v.20-21 : « ferme », « floraisons », « phosphorescentes », « fanent », « feux »),
    • échos phoniques (« naissent », « disparaissent », « apparaissent », « renaissent » v.19 à 21)
    • ou sémantiques (« étoiles », v.25 et 40, « créatures » v.3 et 22, « merveilles », etc) ;
    • couplets et refrains
    • alexandrins : « moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse » v.17
  • Personnification de la nature : « les forêts s’y heurtent » v.3, « souffles du crépuscule » et « frissons de l’aube » v.11-12, « l’âme palpable de l’étendue » v.24, « le flot meurt sur les plages » v.35 tout vit
  • Souffle, respiration : hyperbole « des poumons de millions et millions d’êtres » + la métaphore « souffles du crépuscule » → tout semble respirer.

II. Un poème à la femme aimée

A. L’obsession de la femme aimée
  • Anaphore de “Il y a toi” : présence obsédante, qui remplit tout et se suffit à soi-même : phrase réduite au minimum, sans aucun complément. Puis « Toi qui » envahit le poème entre les vers 30 et 38.
  • Le contraste entre l’unique « toi » et le foisonnement et l’immensité de la nature rend ce « toi » encore plus fort, plus important : elle se distingue du reste du monde, du pluriel.
  • A partir du v.18, le « toi » prend de la consistance, elle est qualifiée par des adjectifs ou ppes passés  : « immolée » v.18, « belle et discrète » v.23, « insaisissable » v.31
  • Elle est perçue de manière fragmentaire : « ton visage » v.33, « ton gant » et « ta main » v.39
  • Anaphore lyrique : « Ô belle... » v.23 = exprime l’admiration, l’amour
  • Pluriel de « mes rêves » dans « présente dans mes rêves » v.30 : elle peuple régulièrement ses rêves.
  • Les parallélismes jour / nuit prouvent que l’obsession ne s’arrête jamais : parallélisme dans les expressions « dans la réalité et dans le rêve » v.31 et « aussi bien au rêve qu’à la réalité » v.34 + «Dans la nuit il y a toi. / dans le jour aussi »  v.45-46
  • C.L du ressac, du va et vient : « naissent à l’instant du sommeil et disparaissent » v.19 ; « apparaissent et se fanent et renaissent » v.20-21, « le mouvement ténébreux de la mer » v.40 + poème cyclique (« merveilles » répété + jour / nuit) → ça ne s’arrête jamais, la femme aimée revient sans cesse.
  • Explosion de l’amour dans la comparaison des « feux d’artifices » d’ailleurs qualifiés de « charnus » : cet adjectif suggère la chair, donc le désir. + « baisers » v.26 et « je baise ta main » v.39 = désir d’un amour sensuel, réel.
  • Fantasme de la possession visible dans la redondance « toi qui m’appartiens » et « ma volonté de te posséder » v.32
  • « Toi que j’attends » : sorte de rdv amoureux voué à l’échec avec la présence de l’horloge au v.15 (le temps passe, elle ne vient pas ?) + son [oi] qui martèle la présence de « toi » : « voix », « moi », « parfois »
B. insaisissable, source de souffrance
  • Polysémie du terme « espace » dans le titre « espaces du sommeil » : les vides, les blancs ?
  • Lexique de la dissimulation : « cachées dans les fourrés », « disparaissent », « espionne » = la femme lui échappe
  • Présence difficilement perceptible : « discrète » v.23, « s’y laisser deviner sans y paraître » v.30, « Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve » v.31 (parallélisme + le rythme binaire = insistance)
  • Verbes « rester » v.31 et « s’obstiner » v.30 au présent, comme un présent de vérité générale= permanence, pas de changement, elle reste toujours insaisissable,
  • v.11-12 + v.20-21 +v.27-28, forte allitération en [s] et/ou [f] (= des sifflantes) → insaisissable, comme un souffle
  • Difficulté à définir cette femme fuyante, ce caractère insaisissable, d’où contradiction : v.29 « toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire » ou restriction : « qui n’approche ton visage du mien que mes yeux clos » v.33
  • Curieux changement de personne dans les pronom du v.30 : le poète la tutoie toujours, excepté ici avec un passage à la 3ème personne : « s’obstine à s’y laisser » (alors qu’on attendrait « t’obstines à t’y laisser ») → effet de distanciation, éloignement de la femme.
  • Répétition du modalisateur « sans doute » (v.23 et 29), qui rend incertaine la présence de la femme.
  • Images de tristesse, de tourment, qui figurent la souffrance du poète :
    • la peur, le fantastique « lumière blafarde » (oxymore : joie niée par l’absence de la femme), « essieux qui grincent », « sinistrement » v.19 ;
    • la mort, le délabrement (qui surgissent d’éléments traditionnellement associés à la beauté) : « le flot meurt » (sur les plages), « des usines en ruines » (la corneille vole), « le bois pourrit » (sous le soleil ») ; « assassin », « parcs en flamme » ; « des mains qui se serrent sinistrement » (image de deuil, de cérémonie funèbre?)
    • « ténébreux », « éclat de voix » (dispute ?) « soleil de plomb » (écrasement, pesanteur ?)
  • Antithèse du « tragique » associé à la « grandeur » et au « charme » : comme si la beauté et l’amour rendaient l’existence du poète tragique.
C. Une femme Muse, source de création poétique
  • « Toi qui es à la base de mes rêves » v.38, or le rêve chez les Surréalistes est un des gisements de la création poétique. La femme est donc explicitement la source de la création poétique.
  • Métaphore « toi […] qui secoues mon esprit plein de métamorphoses » v.38 : semble allier deux puissances créatrices, celle de la femme qui impulse le mouvement (« secoues »), et celle du poète qui transforme cette impulsion en créations (« métamorphoses ») → l’union des deux êtres se fait dans la création poétique.
  • « toi qu’en dépit d’une rhétorique facile […] » v.35 : lien entre « toi » et la parole poétique (« toi » est la source de la poésie)
  • « toi l’immolée » v.12 : connotation tragique, métaphore de la victime, ici, de la femme sacrifiée à la poésie (c’est parce que l’amour est malheureux, que le poète écrit) ; le sacrifice de la femme est une condition du poème.
  • L'anaphore « toi » organise et structure le flux de la parole poétique.
  • « espaces du sommeil » = espace blancs de la page, de l’écriture automatique ?
  • « moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse » v.11 : métaphore de la quête de soi dans l’écriture du rêve

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