L.A
n°1 : Victor Hugo, « Les djinns »
I.
Une forte dramatisation du récit / un récit terrifiant / des
émotions diverses
A.
La mise en place d’un cadre fantastique
1ère
strophe :
-
le poème commence dans un cadre très imprécis, grâce à 3 mots
sans déterminant qui plantent un décor universel : « murs,
ville et port » (v.1-2)→ sorte de fable ou de conte.
-
Cadre propice au surgissement du fantastique : « tout
dort » + « nuit » (v.8 et 12)
-
Présence d’un lexique menaçant : « mort »,
« grise », « brise » (v.4 à7)
-
et forte allitération en [r] (quasiment à chaque mot dans la 1ère
strophe) : son âpre, menaçant
2ème
strophe :
-
la menace se précise dans le lexique du bruit : « bruit »,
« brame » ;
-
mais également dans la personnification (ou animalisation) de la
nuit : métaphore de « l’haleine » et du « brame »
(= cri du cerf) : la nuit prend vie
-
et surtout avec la comparaison fantastique « comme une âme
qu’une flamme toujours suit » → image d’un fantôme
poursuivi par un esprit infernal, diabolique.
-
la rime en [am] dans « brame », « âme »,
« flamme » produit un effet d’insistance sur l’aspect
fantomatique, spectral de cette nuit.
Suite
du poème :
-
le bruit s’intensifie puisqu’on passe du singulier « une
voix » à l’indénombrable « bruit de foule », et du
son d’ « un grelot » à quelque chose qui « tonne »
→ ce qui était encore petit (nain), identifiable (« la
voix ») et inoffensif (« grelot ») devient énorme
(« foule »), indistinct (« bruit de foule »)
et effrayant (« qui tonne et qui roule ») : la peur
s’installe.
-
apparition d’un personnage : un « nain » →
personnage dont l’identité est précisée au 5ème huitain :
des « djinns » (qui peuvent prendre l’apparence de
nains dans certaines légendes). Le nom est enfin prononcé, on
comprend qu’il s’agit d’un assaut des djinns. Or le djinn est
un esprit dans l’Islam, à peu près équivalent du Génie (bon ou
mauvais). On est donc bien dans un registre fantastique.
-
la nature et les éléments prennent vie : l’ombre qui rampe
et monte jusqu’au plafond (§5), la maison qui crie
§8, « frissonnent tous les grands chênes » §10 →
effet d’insistance sur la terreur engendrée par les djinns, qui se
diffuse juqu’aux inanimés, qui se propage à la nature.
B.
La montée en puissance du registre épique, jusqu’à l’explosion
(§8 et 9)
-
la longueur des vers mime l’arrivée, le fracas puis le départ des
djinns : crescendo des vers dissyllabiques jusqu’aux
décasyllabes, puis descrescendo jusqu’aux dissyllabes
-
Accélération du rythme : à partir de la §6, les verbes
s’accumulent, créant à la fois une accélération des mouvements
et une amplification du bruit.
-
le présent d’énonciation nous fait vivre l’arrivée des djinns
en temps réel : « naît un bruit » §2 puis
« approche » §4, « ils sont tout près » §7,
« s’abat sur ma demeure » §8 ; puis le passé
« ils sont passés » §10 nous indique leur éloignement.
-
le C.L du mouvement se joint aux bruits : « saute »,
« galop », « fuit », « s’élance »,
« danse », avec une certaine connotation guerrière dans
les termes « galop », « fuit », « s’élance »
→ le registre épique surgit dans le 3ème huitain.
-
le lexique du combat apparaît, comparant les djinns à une armée :
« armée » §7, « bataillon » §8
et
des termes du combat : « battre » et « coups »
§10
-
des hyperboles insistent
sur le nombre : « foule »§4, « essaim »
répété trois fois (§6, 8 et 13), « troupeau » §6,
« cohorte » §10.
-
Des bruits terrifiants : C.L du bruit + forte allitération en
[r] et en [i] §8 = bruit fracassant des djinns et cris stridents des
habitants terrorisés.
-
l’écho évoqué §4, se répercute dans les sonorités :
assonance en [o] §3 et 4 : rime en [o] puis rimes internes avec
« écho », « comme », « cloche »,
« tonne », « tantôt ».
C.
Les djinns dont d’une puissance et d’une violence extrêmes
-
un calligramme en forme de tornade, ou d’essaim
-
le motif du tourbillon revient d’ailleurs à plusieurs reprises :
« spirale » (§5), « tourbillonne » (§6),
« tourbillon » (§8) → ils semblent aussi destructeurs
qu’une tornade
-
« vol » / « volant » / « ailes »
/ « s’envole » / « vol » / « ailes »
+ rimes en [èl] (// les ailes) §9 « essaim » x3 et
enfin « sauterelle » (§11) = référence aux dix plaies
d’Egypte (les sauterelles qui ont tout dévoré + la mention de la
« grêle) → capables de tout détruire sur leur
passage.
-
Forte allitération en [ch] aux v. 60-63 : mime le bruit de la
tempête (« fléchit », « chancelle »,
« penchée », « arrachée », « chasse »,
« séchée »)
-
Ils sont des êtres de destruction : les ifs fracassés (§6),
« la poutre du toit descellée » et « la vieille
porte [qui] tremble » (§7) le mur de la maison qui « fléchit »
et la maison qui « chancelle » (§8), les « grands
chênes » « pliés » (§10) → ils détruisent les
choses les plus robustes, et surtout, le sens figuré des verbes
montre que ces choses robustes s’inclinent devant les djinns
(« tremble », « fléchit », « chancelle »,
« pliés »).
-
les comparaisons de ces choses robustes avec des éléments fragiles
montre la puissance terrifiante de ces créatures : la « poutre
du toit » devient « une herbe mouillée » face à
eux ; la « maison [qui] chancelle » est réduite à
« une feuille séchée » → ils sont tout-puissants.
II.
Une réflexion sur le Mal / Un poème allégorique
A.
Le poète est terrifié
-
Présence du poète assez discrète : d’abord contenu dans le
pluriel « fuyons » §5 puis présent dans le possessif
« ma » de « ma lampe » §5. Seules deux
occurrences de « je » : au plus fort de la crise
lorsqu’il prie le Prophète §10 et à la fin, « j’écoute »
→ il est intimement concerné par les djinns.
-
Il les qualifie avec des adjectifs très subjectifs et violents
(hideuse armée, horrible essaim, impurs démons,
Djinns funèbres) → il en a peur
-
Il est extrêmement attentif à leur progression puisqu’il est
capable de les situer dans l’espace par rapport à lui :
« approche » v.25, « passe » v.41, « ils
sont tout près » v.49, « sur ma demeure » v.59,
« ils sont passés » v.73, etc.
-
Il se cache :
« fuyons » + « tenons fermée cette salle » +
se terre sous l’escalier(v.35-36)
-
Nombreuses phrases exclamatives et quelques apostrophes qui marquent
la frayeur extrême : « Dieu ! » §5, « ô
ciel ! » §8, « Prophète ! » §9.
-
Opposition dedans / dehors : le poète est à l’intérieur
d’une maison qui le protège (« escalier », « rampe »,
« mur », « plafond » §6, « cette
salle » §7 puis « ma demeure » §8) ; le
« dehors » est associé à l’enfer.
-
Il sent que sa vie est en jeu : métaphore « si ta main me
sauve » v.65.
B.
Les djinns, allégorie du Mal
-
les djinns sont associés à tout un lexique moral, du côté du
mal : ils sont associés à l’enfer (« cris de
l’enfer » §8)
-
comparaison « comme la cloche d’un couvent maudit »
avec oxymore du « couvent maudit » §4 : impression
d’esprits malins qui auraient envahi un lieu de prière et qui
sonneraient la cloche de la victoire. Image du Mal qui gagne sur le
Bien.
-
ce sont des créatures maudites (métaphores des « vampires »,
« dragons », « démons », « fils du
trépas » §13)
-
ils font un « bruit de chaînes » (§10) = assimilés à
des prisonniers, allégorie de la faute ou du péché.
-
liés au feu, donc aux enfers ? « flamme » §2,
comparaison avec le « pin brûlant » §6, métaphore du
« souffle d’étincelles » §9 et « vol de feu »
§10, et « éclair au flanc » §6 qui figure une sorte
d’épée + allitération de sifflantes [s] et [f] §6 = mime le
souffle des djinns.
-
associés à la couloir noire et à l’obscurité : « noir
bataillon » §8, « vitraux noirs » §9 « démons
des soirs » §9, ils oeuvrent « dans les forêts »
(symbole du lieu du mal, voir les contes de Perrault ou les fables de
La Fontaine) §10, le poème se passe « la nuit » (§2),
« dans les ténèbres » (§13)
-
Rythme très heurté qui correspond à leur passage : par
exemple, v.49 à 56, on trouve un contre-rejet (« Tenons fermée
/ cette salle ») ; une césure placée à la 3ème syllabe
(v.50) ou à la 1ère syllabe (v.56) ; une ponctuation forte
très présente.
C.
Le retour au calme grâce à la prière
-
La strophe 9 est une prière au Prophète (Mahommet), liée à tout
un lexique religieux : « me sauve », « prosterner »,
« sacrés encensoirs », « portes fidèles ».
-
Or immédiatement après, la strophe 10 débute par « ils sont
passés » : la prière a fait fuir les djinns.
-
la fin du poème introduit un discret lexique du Bien (innocence ou
pureté) : métaphore de « l’enfant » qui « fait
des rêves d’or » et allusion à une « sainte »,
par opposition au lexique du Mal associé aux djinns.
-
la musique remplace le son
effrayant des djinns : « le cor » qui « sonne »
et « un chant » §12 semblent indiquer la fin de
l’alerte, l’apaisement.
-
« on doute la nuit » : présent de vérité
générale (= la nuit, tout le monde doute) → donne la clé du
poème. Les djinns représentent le doute, celui qui torture l’âme
et dont on ne vient à bout que par la prière.
-
Allitération en [s] dans la dernière strophe : douceur,
silence.
-
le tiret typographique dans « - tout fuit » : il
représente le silence, le poète qui tend l’oreille pour écouter
et n’entend plus rien.
-
« L’espace efface le bruit » : deux sens
possibles : 1) avec l’éloignement, on n’entend plus les
djinns ; 2) plus il y a de blancs typographiques, moins il y a
de bruit, c’est la fin du poème.
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