Pierre
de Ronsard : considéré comme le « prince des poètes »,
il est le chef de file de la Pléiade, un groupe de poètes française
du XVIème siècle, qui s'inspire des Anciens tout en enrichissant la
langue française (devenue langue officielle depuis la récente
ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539).
Le
livre des sonnets pour Hélène est en réalité une poésie
de commande de Catherine de Médicis, pour une de ses demoiselles
d'honneur, Hélènes de Surgères, afin de la consoler du décès de
son fiancé. Hélène est donc une inspiratrice du poète.
Quant
au sonnet, il est apparu en France au début du Xvème siècle,
reprenant les célèbres sonnets amoureux de l'Italien Pétrarque*
(XIVè). Cette forme poétique est largement reprise et diffusée par
les poètes de la Pléiade.
I.
Un blason des yeux qui suggère un coup de foudre amoureux
A.
Un éloge des yeux
-
Sonnet : poème galant par excellence au XVIè siècle (sonnet
inspiré par Pétrarque*)
-
rimes embrassées (les féminines embrassent les masculines) →
image du poète emprisonné dans les yeux de la femme aimée
-
Apostrophe aux « yeux »,v.1 puis 9.
-
Mot en une seule syllabe, accentué par la virgule ; les deux
emplois de « yeux » se font dans des vers de même
rythme : 1/5/6 => mis en relief du mot.
-
Images pétrarquistes*, associant ces yeux à des astres :
gradation dans la comparaison : d'abord « planètes »
v.1 puis « Soleil » v.14 => hauteur, beauté et
souveraineté (l'image de la femme - astre est une image
traditionnelle de la poésie galante du XVIè)
-
De manière générale, ils sont associés à la lumière ou la
chaleur, ce qui est encore une image pétrarquiste :
« foudroyant », « forge », « éclairs »,
« rais », « Soleil ».
-
Curieusement, ni description physique, ni description morale :
l'éloge tient à leur pouvoir et leur force : hyperbole
« regards si forts ».
-
Lexique plutôt masculin : « forts », « sagettes »,
« me tuez », « forge », « traits »
→ les yeux comme un adversaire redoutable ?
B.
La description d'un coup de foudre amoureux
-
Pronoms : « vous » et « je » qui
apparaît dès le 1er quatrain => influence des yeux sur le poète.
l'influence
des yeux se fait exclusivement sur le poète, comme le montrent les
pronoms de la 1ère personne : « en l'âme » (du
poète notamment) v.1, « en moi » v.6,« les miens »
(les yeux du poète) v.7 ; « me » v.8 ; « en
moi » v.14
-
« foudroyant » = instantanéité de l'amour, ce qu'on
appelle très exactement le « coup de foudre » ! -
Enjambement v. 5/6 : accentue l'immédiateté de l'amour ;
-
La métaphore des « sagettes » v.8 et des « traits »
v.9 est un topos
(c'est-à-dire un lieu commun, un motif récurrent) de la poésie
amoureuse : ce sont les flèches de Cupidon, qui rendent fou
d'amour quiconque en est touché ;
-
« Amour » répété deux fois au v.9, de part et d'autre
de la césure + allégorie de l'amour avec sa majuscule => lui
donne une grande importance
-
« je suis de merveille ravi » v.12 = voix passive pour le
poète qui dépend de ce regard, et hyperbole manifestant le bonheur
extrême du poète lorsqu'il sent ces yeux sur lui ; a
contrario, le poète se sent mort si les yeux ne sont plus sur lui :
« je ne vis » v.13.
-
La son [ê] de la rime A est repris plusieurs fois à la césure,
créant des échos internes : v. 2, 3, 5, 10, 14 =>
résonance de l'éclair dans le poète.
C.
Le ressenti physique du poète
-
Le poète ne décrit pas ses sentiments, mais ses sensations :
lexique concret (excepté dans le dernier tercet : « ravi »
v.12.
-
CL du corps : « chair », « sang »,
« membres », « corps » répété 2 fois →
il ne possède qu'un lexique physique pour décrire une émotion
peut-être plus métaphysique.
-
l'esprit du poète ressemble d'ailleurs à un réceptacle, un
contenant à remplir : « versez en l'âme » v.1,
« en moi » v.6 puis v. 14, « l'âme me sonde »
v.11, « dedans » v.8
-
Les yeux ne sont pas décrits, ils ne sont suggérés qu'à travers
leurs actions : les verbes : « versez » v.1, « vous
faites » v.5, « foudroyant » v.7, « vous
tuez » v.8 => ils agissent concrètement sur le poète.
-
« sagettes », « traits », « poignants »
v.10 (qui pique et serre le cœur, qui cause une sensation vive) =>
sensation physique de l'amour, comme une douleur ;
-
« je les sens » v.12, « je ne les sens plus »
v.13 : tout le ressenti du poète est de l'ordre de la sensation
physique alors que les yeux, eux, semblent de nature métaphysique.
-
Allitérations en [f] et [s] dans la 2ème strophe = accompagnent le
son des flèches qui atteignent le poète : « toutefois »,
« faites », « forts », « foudroyant »,
« sang », « sont », « si, « cent »,
« sagettes ».
II.
Des Yeux divinisés
A.
des yeux mystérieux
-
Surprenant : aucune description physique des yeux, ni couleur,
ni forme => mystère (à qui appartiennent les yeux, on ne le sait
jamais, hormis par le titre du recueil... et encore !)
-
« Yeux » n'est précédé d'aucun déterminant (vos yeux,
tes yeux, ses yeux, etc.) → comme s'il s'agissait d'un éloge des
yeux en général.
-
antithèse des v.3 et 4 : « je sais de quoi … mais je ne
puis savoir » => le mystère entourant les yeux est d'autant
plus grand que le savoir du poète semble grand : il est
intensifié par le déterminant « tous » ;
-
Le terme « chose » v.4 traduit l'ignorance du poète
quant à la nature des yeux, qui ne sont pas comme les autres
« membres » v.3 ;
-
La double négation du v.5 exclut de fait l'appartenance des yeux à
la catégorie des « membres » puisque n'ayant « sang
ni chair » → accentue leur mystère
-
Figures d'opposition qui renforcent le mystère : chiasme v. 7
et 8 (des yeux qui agissent « par le dehors » v.7 mais
tuent « dedans » v.8, comme par magie !), antithèse
des v.12 et 13 (« je les sens... je ne les sens plus » ;
connecteurs marquant l'opposition : « je sais de quoi...
mais je ne puis savoir » v.3 et 4, « toutefois »
v.5.
B.
des yeux dangereux
-
Deux occurrences du mot « âme » v.1 et 11, en relation à
chaque fois avec une idée d'annexion de cette âme par les yeux :
v.1, l'âme est un contenant dans lequel les yeux « verse[nt] »
un esprit ; v. 11, l'âme est un territoire que l'oeil « sonde »
dans son intégralité
-
Adjectif totalisant « toute » v.11, en antithèse avec
« le moindre » v.11→ toute-puissance du regard qui
chosifie (ou réifie) l'âme ;
-
CL des armes : « sagettes », « trais » →
l'amour est un combat ; (et spéciale Sylvain / Quentin :)à
relier à l'homophonie du v.1 « l'âme » qui fait
entendre « lame ».
-
Métaphore de « la forge d'amour » v.9 : souligne le fait que les yeux fabriquent les armes de l'amour, les flèches.
Donne un aspect inquiétant à l'amour !
-
Hyperbole « cent mille sagettes » à rapprocher de
l'adjectif « forts » v.6 → regards tout-puissants,
contre lesquels on ne peut pas lutter (d'ailleurs, il n'est nulle
part question de lutter contre).
-
CL de la mort : « ressucitez » v.2, « morts »
v.2, « tuez » v.8 → les yeux comme des armes faisant
perdre à l'adversaire toute individualité, toute possession de
soi-même. L'amour comme une annexion de l'amant, comme une
dépossession de soi.
-
Référence à Méduse, la Gorgone qui pétrifie quiconque la regarde
en face → regard qui tue également ici. Autre référence, plus
discrète, à Méduse : lorsqu'on lui a tranché la tête, le
sang qui jaillit de la veine gauche est censé être un poison,
tandis que celui qui sort de la veine droite peut faire « ressusciter
les morts », exactement comme l'esprit versé dans l'âme du
poète, v.2
C.
des yeux surnaturels, divinisés
-
Les yeux sont immatériels : ils n'ont « sang ni chair »
v.5 ;
-
Ils ne lancent pas de « traits » mais des « éclairs »
(plus immatériels) ; référence au dieu des dieux, Zeus, dont
l'attribut est l'éclair.
-
Ils livrent un « esprit » v.1 et s'adressent à
« l'âme » : lexique de la spiritualité.
-
Ils versent « un esprit qui pourrait ressusciter les morts »
= métaphore hyperbolique → les yeux sont ici la source de
l'esprit, lui-même ayant le pouvoir divin de rendre la vie aux
morts ;
-
idée reprise par ces mêmes yeux qui font « des miracles »
v.6 => pouvoir divin des yeux.
-
Gradation dans la comparaison : les yeux sont d'abord des
« planètes », puis un « soleil » : des
éléments littéralement méta-physique (au-dessus de la nature),
cosmologiques. Les yeux donnent accès à l'univers.
-
Pouvoir de vie et de mort : les yeux peuvent « ressusciter »
et tout aussi bien « tue[r] » le poète v.8 , ou lui ôter
le vie v.13. Ambivalence de ce regard donc, qui à la fois ensorcelle
et tue, rend la vie et condamne.
-
le mot « ravi » au v.12 est une syllepse (figure de style
qui consiste à employer un mort dans son sens propre et dans son
sens figuré) : au sens propre, signifie « enlever »,
« ôter » → rejoint l'hypothèse selon laquelle le
poète ne se possède plus, est annexé par la femme aimée ; au
sens figuré, « ravi » signifie « être transporté
d'extase », il peut avoir un sens mystique (les saints sont
ravis lorsqu'ils sont en extase, habités par Dieu). Les yeux comme
des dieux ou comme des ennemis enlevant le poète à lui-même ?
Le poème ne tranche pas vraiment.
*
Pétrarque et le pétrarquisme : Pétrarque est un
poète italien du XIVè siècle. Il écrit son amour pour Laure dans
son Canzionere (son « chansonnier »). Ce recueil
est composé principalement de sonnets. Il inspire profondément les
auteurs de la Pléiade (donc Ronsard) qui lui reprennent entre
autres :
-
la forme du sonnet
-
les images nombreuses : les flèches de l'amour se fichent dans
le coeur de l'amant, les yeux de la belle sont des soleils, l'amour
est un feu qui brûle, les cheveux sont des filets qui emprisonnent
le poète, la femme a un pouvoir surnaturel et divin, etc.
-
la thématique de l'amant soumis à une femme à la fois belle et
cruelle
-
la synecdoque des yeux ou des cheveux qui représente la femme
entière (ce qu'on appelle, depuis Marot, le « blason »,
genre qui n'existe pas à l'époque de Pétrarque).
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