samedi 30 avril 2016

Tristan et Iseut, LA1, Bédier

Problématique possible : comment se met en place le mythe / la tragédie ?

  1. Un cadre spatio-temporel symbolique 

    A. La mer, l'entre-deux mondes
  • Iseult emportée vers un ailleurs qu'elle ignore : « où ces étrangers l'entraînaient-ils ? »
  • la mer = son destin, insondable, aux « vagues profondes » (l.1)
  • C.L. Du mouvement, du voyage : « emportait Iseut » l.1, « elle s'éloignait », « l'entraînaient », « il l'emportait », « la mer qui me porte » => à chaque fois, Iseult n'est qu'objet, elle ne maîtrise pas son destin, subit ce qu'on a décidé pour elle.
  • Symboliquement, elle quitte le monde de l'enfance : « arrachée […] à sa mère » ; elle se comporte d'ailleurs encore en enfant : elle pleure, se replie sur elle, refuse les paroles de consolation.
  • Elle se trouve dans un entre-deux, là où tout va se jouer : le passé s'éloigne (« elle s'éloignait de la terre d'Irlande »), l'avenir n'est pas encore là (« vers quelle destinée ? »), les questions se succèdent, sans réponse.
        B.  La nef, l'enfermement
  • La nef symbolise l'enfermement. Iseut n'a pas le choix, elle doit épouser le Roi Marc : aucune issue n'est possible. Elle pourrait également symboliser l'autorité, la violence : « tranchant » (voire une certaine forme de violence sexuelle selon la symbolique freudienne, Iseut n'a, de fait, pas voulu ce mariage ; les hommes ont décidé pour elle)
  • Iseut s'isole encore « sous la tente », renforcé par la relative « où elle s'était renfermée ».
  • Elle se qualifie elle-même de « chétive », c'est-à-dire de faible (physiquement), mais il est intéressant de noter que ce terme vient du latin captivus, captif.
  • Elle est condamnée à l'inaction : « assise ».
  • La symbolique de l'île au bord de laquelle s'arrête le bateau : lieu isolé, n'appartenant à aucune civilisation ; perdition, retour aux pulsion primitives... Iseut n'y descend pas, elle reste dans son enfermement, ce qui causera sa perte.
      C. Un temps en suspens
  • Tout le 1er paragraphe : à l'imparfait, action durative (= sans limitation de durée). On ne sait pas combien de temps dure cette scène. Mais également imparfait d'habitude : « quand Tristan s'approchait », ce qui implique qu'il s'est approché plusieurs fois.
  • Un retour en arrière grâce au plus que parfait (« était venu », « avait arrachée », « n'avait pas daigné »), qui rappelle le monde révolu.
  • Peu d'actions, ce sont surtout les pensées d'Iseut qui occupent le 1er paragraphe.
  1. Iseut, un personnage de tragédie

    A. En proie à la tristesse, la colère
  • Focalisation interne qui permet de connaître ses pensées intimes
  • C.L. De la tristesse : « tristement, « se lamentait », « pleurait » = tristesse de son pays perdu : abandon des racines, de la mère, du passé, de l'enfance.
  • Tristesse qui se transmue en colère contre Tristan : « s'irritait », « repoussait », « haine ».
  • Elle le tient pour responsable de son malheur, en dresse un portrait peu élogieux : il est « le ravisseur », le « meurtrier », il a utilisé des « ruses » et la violence « l'avais arrachée », et se montre rustre : « n'avait pas daigné », « il l'emportait comme sa proie ».
  • Répétition rageuse de « lui », « lui + « il », « il » : c'est Tristan qui est cause de tout.
  • Noter la polysémie du terme « ravisseur », à mettre en relation avec l'adjectif « ravis » de la ligne 29 = enlever, arracher, mais aussi : porter à un état de bonheur suprême. Tristan, de fait, sera son « ravisseur », dans tous les sens du terme.
  • Ponctuation très expressive : questions + exclamations = indignation d'être traitée comme « une proie » alors qu'elle est « la reine » l. 13.
       B. Seule au milieu des étrangers
  • Discours indirect libre qui rapporte les sombres pensées d'Iseult.
  • C.L de l'altérité : « ces étrangers », avec un démonstratifs péjoratif ; « qui » en interrogation ;
  • « Terre d'Irlande » puis « son pays » en opposition au méprisant adverbe « là-bas ».
  • Antithèse entre « la terre ennemie » et « la terre où je suis née »
  • Tristan incarne pour elle l'ennemi : il a tué son oncle, le Morholt, l'a « arrachée » (terme violent) à sa mère, et le mène chez lui, « en terre ennemie ». C'est pourquoi elle « le repoussait ».
  • Pourtant, le discours indirect libre d'Iseut contraste avec le récit du narrateur : Tristan y apparaît comme un jeune homme attentionné et pacifiste : il tente de « l'apaiser par de douces paroles », puis, plus loin , il tâche de « calmer son coeur ». La peur d'Iseut est donc déjouée, chez le lecteur, par les actes de Tristan.
       C. Désir de mort
  • Passage au discours direct (marqué par les guillemets), qui souligne la brutalité de sa pensée.
  • Malédiction lancée contre la mer, et symboliquement, contre son destin : malédiction qui, on le sait, sera accomplie à la lettre.
  • Un désir de mort clairement exprimé, dans une alternative où Iseut n'a finalement aucun choix : même le lieu de sa mort, elle ne peut le choisir.
  • Ce désir de mort lié aux émotions violentes, contraste fortement avec le passage qui suit, d'un calme presque létal.
  1. Le basculement dans l'interdit, la faute

    A. L'arrêt sur image (dramatisation du récit à l'extrême)
  • Pensées de Iseut interrompues par le connecteur « un jour », qui marque une rupture (dans le conte, c'est la formule type qui introduit l'élément perturbateur).
  • Calme des éléments naturels, par contraste avec les sentiments violents qui agitaient Iseut. Remarquer l'antithèse entre « la haine gonflait son coeur » l.5 et « les voiles pendaient dégonflées ». C'est le moment de l'accalmie dans le cœur d'Iseut.
  • La nef s'immobilise : « atterrir », comme si le temps était suspendu.
  • Silence total, jusqu'à ce que l'enfant crie. Tout se cristallise alors dans ce cri, au discours direct : à la fois cri de victoire (« j'ai trouvé »), et déchirement du silence, du récit.
  • Les deux personnages principaux, eux, ne prononcent pas une parole. Une fois le philtre bu, ils se regardent « en silence ».
        B. Images de la Chute, du péché originel
  • C.L de la chute : « tombèrent », « pendaient », « lassés », « atterrir », « descendirent » = à mettre en relation avec la Chute de l'Ancien Testament, le péché originel.
  • Le philtre se substitue au fruit défendu (on remarque d'ailleurs que c'est toujours la femme qui accomplit la première l'acte du péché).
  • Tristan et Iseut agissent de concert : « ils avaient soif », « ils demandèrent à boire », « elle but […] Tristan [...] le vida ».
  • De même que dans la Genèse, une fois le péché accompli, « leurs yeux s'ouvrirent » et l'homme et la femme découvrent alors qu'ils sont nus, de même ici, Tristan et Iseut « se regardaient », comme s'ils se découvraient l'un, l'autre pour la première fois.
  • Lexique du péché encore : « égarés » (// la brebis égarée = l'homme pécheur) ; « ravis » (ne se possèdent plus, sont éloignés de Dieu).
          C. Un destin scellé
  • L'intervention du narrateur omniscient, horrifié et impuissant, avant que le philtre ne soit bu : quasi discours direct d'un conteur, réduit au constat : « non » + verbe « être » d'abord à la forme négative, puis à deux reprises à la forme affirmative (« ce n'était pas... c'était... c'était... »). Comme s'il tentait d'abord de suspendre le cours des événements (négation), puis qu'il constatait son impuissance.
  • Prolepse réduite à une gradation tragique : « passion... âpre joie...angoisse sans fin... mort » qui ne laisse aucun espoir. Gradation accentuée par la répétition de la conjonction « et », mettant en relief « la mort » finale.
  • Brangien, spectatrice impuissante du destin scellé : multiples verbes au passé simple, témoignant de son impuissance : « entra », « vit » x2, « prit », courut », « lança », gémit » = tout passe d'abord par le regard, dans cet épisode de silence, puis les actions s'enchaînent rapidement, dans une phrase construite en parataxe (= les propositions sont posées les unes à côté des autres, sans aucun mot de liaison : cela accélère l'action). Enfin, l'impuissance se traduit dans le gémissement et l'imprécation finale de Brangien.
  • Acte désespéré de Brangien : jeter le vase, pourtant vide, dans la mer.
  • Ponctuation forte, discours direct : Brangien est celle qui fait prendre conscience de l'inexorabilité du destin. La mort mise en relief par le présentatif « c'est » (on appelle cela une phrase clivée : c'est … que...) : « c'est votre mort que vous avez bue ».
  • Métonymie rendant le destin plus tragique encore : les amants croyaient avoir bu du vin, acte anodin ; mais c'est le philtre de la passion, Eros et Thanatos, qu'ils ont bu.

Autre plan possible (qui reprend les éléments précédents, en rassemblant des sous-parties) :

I. Iseut, un personnage de tragédie (= II. du plan précédent)
A. Elle ressent des sentiments de tristesse, de solitude, de désespoir (= II. qqs arguments du A, I.B, I.C)
B. Elle est en colère (= II.A)

II. Un cadre spatio-temporel symbolique (= I. du plan précédent)
A. Un espace clos, sans échappatoire possible = (I.B)
B. Un espace de transition pour Iseut (= I.A, I.C)

III. Le basculement dans l'interdit, la faute (= même III. que le plan précédent)
A. L'engrenage tragique se met en place à cause du philtre (= III.A, III.C)
B. La Chute a lieu (= III.B)

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