samedi 30 avril 2016

Tristan et Iseut, LA2, Wagner

  1. Un dialogue dramatique et mystérieux

    1. un dialogue de théâtre
      • resserrement sur les deux personnages, Brangaine disparaît à l'arrière-plan et n'a pas son mot à dire (« vaincue »).
      • les matelots sont désignés en groupe, dans identité précise, ils ne sont pas présents sur scène, on n'entend que leur voix.
      • personnages traditionnels, qui se parlent l'un à l'autre ; Yseult semble avoir le dessus (impératifs, tutoiement, le désigne comme un « vassal » alors que Tristan l'appelle d'abord « ma maîtresse » et maintient la distance avec la 3è personne puis le vouvoiement)
      • du discours dans le dialogue projette les deux personnages dans le futur : Yseult imagine l'arrivée à Tintagel et la victoire de Tristan « superbe et triomphant »
      • didascalies
      • rimes conservées dans la traduction

    2. une scène fortement dramatisée (montée de la tension)
      • Les matelots jouent le rôle d'accélérateurs du temps : ils expriment l'imminence de l'arrivée à Tintagel et l'urgence de la décision à prendre.
      • Yseult presse Tristan par des exclamatifs courts et brutaux : « Voici le port ! Décide-toi ! »
      • La coupe occupe la place au centre de la scène : Yseult l'évoque comme gage de réconciliation (« dans cette coupe pleine / nous avons noyé notre haine ») ; Tristan la prend plutôt comme une marque de bravoure, voire de provocation : « [m]on supplice, ce sera [m]on orgueil indompté ! »
      • les actions sont brusques : « brusquement » « avec une impétuosité sauvage » ; « il saisit résolument la coupe », « lui arrachant la coupe » , « elle la jette loin d'elle ».

    3. des personnages qui entretiennent le mystère
      • CL du mystère et du silence
      • CL du rêve, de la magie, de l'oubli
      • Importance du regard qui ne communique pas les sentiments (sauf après le philtre)
      • Distance entretenue par Tristan au début de la scène
      • Des non-dits :
        • chiasme des vers 35-36 qui met en parallèle deux mystères, celui de Tristan et celui d'Yseult
        • Yseult s'adresse à Brangaine par gestes, didascalie l.20
        • Tristan parle peu, reste très en retrait, et sa langue se délie juste avant ce qu'il croit être sa mort. Mais même là, il reste obscur (v.64 à 74)
        • Tristan évoque son « âme malade » v.68, sans préciser de quoi elle est malade.
        • Tristan est dépeint comme « pâle », « sombre » x2, sans qu'aucune explication ne soit donnée. 

  2. Des personnages romantiques

    1. Yseult, la passionnée
      • exclamations, questions rhétoriques traduisant des sentiments violents
      • elle pousse Tristan dans ses derniers retranchements, elle le teste : « suis-je à tes yeux un présent si banal ? » ; elle fait mine de le mépriser : « serviteur », « vassal », « lâche » puis elle imagine le discours qu'il tiendra à Marke, en le montrant orgueilleux et méprisant  (« superbe et triomphant » v.42)→ veut le faire réagir
      • en réalité, elle l'admire : elle rappelle les actions valeureuses qu'il a accomplies : « le serviteur loyal qui lui conquit sa terre et sa couronne » : sans Tristan, Marke ne serait rien.
      • Elle masque mal son amour : elle se justifie de n'avoir pas tué Tristan d'une manière peu convaincante : « le fer a glissé de ma main » v.19
      • Elle interprète ce qu'il peut penser d'elle et s'en montre offusquée : dans le discours imaginé de Tristan à Marke, elle lui fait dire (antiphrase) : « la gentille dame », « la belle a trahi », « tendre et douce femme », or elle n'est rien de tout cela, elle veut le lui prouver en bravant la mort.
      • Lorsqu'elle boit, elle le fait pour Tristan : « je bois à toi », en dépit de ce qu'elle exprime : « âme ingrate » ; ses actes démentent donc ses paroles (qui d'ailleurs évoluent : elle l'appelait « serviteur » ou « vassal » il devient « âme ingrate »). Cette ingratitude révèle encore son amour : le poison venge la mort du Morold ; ce n'est donc plus que de la donner à Marke que Tristan se rend coupable ; l'adjectif « ingrat » traduit la déception d'Yseult ne ne pas être récompensée par l'amour de Tristan
          
        2. Tristan, le loyal
        • Ne s'adresse à Yseult qu'avec un respect marqué : « Reine », « ma maîtresse ».
        • Pousse la loyauté jusqu'à accepter sa propre mort pour qu'Yseut puisse venger la mort de son fiancé : répétition de « vengez » v. 5
        • Il donne plus loin un autre argument justifiant sa loyauté vis-à-vis d'Yseult : elle l'a sauvé de la mort v. 66.
        • Il affirme explicitement cette loyauté dans un alexandrin avec césure à l'hémistiche = vers puissant : « la gloire de Tristan, c'est ma fidélité » (v. 70) (noter que fidélité et loyauté sont synonymes)
        • Cette loyauté est dans le même temps mortifère, comme le souligne le parallélisme de construction des v. 70 et 71 : à cause de cette loyauté à laquelle son honneur l'empêche de renoncer, il se perd (c'est le sens du vers : « son supplice sera son orgueil indompté »).
        • Tristan apparaît comme un homme torturé, bouleversé par ce qu'il ressent : « sortant brusquement de sa rêverie / Où suis-je ? » v.29-30 ; sa loyauté pourrait le rendre froid mais au contraire, il est tragiquement humain, comme le montre le registre fortement lyrique de sa réplique v. 64 à 74.
      • Il est « superbe » , au sens d'admirable, comme le sous-tend Yseult à de nombreuses reprises (v. 9-10 puis v.46 où elle rappelle ses exploits passés) : il boit le poison « sans effroi », « résolument », pour obéir à Yseult, et parce que c'est le seul moyen de résoudre son dilemme.
    1. La quête d'absolu
      • Yseult refuse d'être considérée comme une traître à son fiancé le Morold (ironie des v. 52-53) et préfère mourir qu'être doublement parjure : parjure en acceptant d'épouser Marke mais aussi en étant amoureuse de Tristan (ce qu'elle s'avoue probablement plus que Tristan lui-même).
      • Yseult accomplit un seul et ultime geste d'amour : elle partage le poison avec Tristan.
      • Elle se montre impatiente de mourir : « lui arrachant la coupe / à moi, ma part ! A moi le reste ! » v. 76-77
      • Les v. 72 à 74 sont assez obscurs, mais ils révèlent à mots couverts l'amour interdit que Tristan éprouve pour Yseult (amour : « coeur », « rêve enchanté », « charme céleste » ; interdit : « piège ») ce qui expose la vraie raison du désir de mort de Tristan : « deuil », « oubli ».
      • La tragédie s'enclenche : C.L de la mort ; Le Roi Marke comme puissance supérieure aux deux personnages, et qui les pousse malgré lui à la mort ; la longue didascalie qui interrompt le cours du temps (l.79 à 87) ; la reconnaissance ravie l'un de l'autre ; la tragédie exprimée clairement par Brangaine (qui incarne ici le principe de réalité, la lucidité) : « ta pitié coupable / qui les a perdus tous les deux » v.104)
      • Le philtre n'est finalement que le révélateur d'une passion qu'ils ne peuvent plus cacher, comme le montrent les gestes et attitudes corporelles, ainsi que les exclamations ravies de l'un et l'autre à partir du vers 88.
      • Leur innocence est sauvegardée grâce à Brangaine qui assume seule la responsabilité de tout : C.L de la faute dans sa dernière réplique (« honte, misérable, coupable, perdus ») ; elle ne se reproche pas leur amour, mais le fait qu'ils vivent encore : « ta pitié », et que cette vie sera désormais damnée (« perdus tous les deux »).

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