samedi 19 mars 2016

Gargantua, L.A n°4 : Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques

L.A « Je veux peindre la France », Les Tragiques, Agrippa d'Aubigné (1616)

Agrippa d'Aubigné (1552-1630) est né catholique mais élevé dans la religion protestante (calviniste). Son père lui fait jurer de venger la mort des combattant protestants, et il s'engage dans l'armée protestante lors des guerres de religion. Il n'est pas présent lors de la St Barthélémy mais décrit son horreur dans Les Tragiques (publié en 1616). Il devient ami et écuyer d'Henri IV pendant de nombreuses années. Mais intransigeant et excessif, il se sent trahi par l'abjuration d'Henri IV et s'éloigne de lui en 1593. Il s'éloigne définitivement de la cour en 1610, après l'assassinat d'Henri IV. En 1620, après la publication de son Histoire Universelle (publié en 1615 et 1620) censurée pour hérésie, il est contraint de s'exiler à Genève, bastion protestant, où il mourra en 1630.

  1. Description d'un tableau violent
A. une description frappante
  • hypotypose : « je veux peindre » = figure de style qui consiste à décrire très précisément un tableau, de manière à le rendre presque visible.
  • Organisation du poème-tableau :
    • on part d'un plan large v. 1 : La mère-France portant ses enfant (tableau familial)
    • à un plan plus rapproché (sur les deux enfants, v.2, excluant la mère),
    • puis rétréci sur « Esaü »v. 3 (« le plus fort, orgueilleux », qui prend toute la place sur le tableau),
    • puis le second frère, « Jacob » entre en scène (v.11à 20),
    • enfin, l’extrait se termine sur la mère (v. 21), et sa prise de parole finale
  • contraste des couleurs : blanc (lait, mère, nourriture) et rouge (sang, violence)
  • Utilisation du présent de narration = rend la scène vivante
  • Connecteurs temporels (« puis » v. 4 ; « si que » v. 9 ; « à la fin » v. 13 ; « si bien que » v. 18, etc.) + succession de rimes plates = succession des événements.
  • Convocation de tous les sens : vue (couleurs) ; ouïe (cris, pleurs, soupirs+ allitérations + discours direct de la mère), goût (lait), toucher (« déchirés ») = tableau total
B. le registre épique
  • nombreux verbes d'action + bruits (« cris, pleurs, soupirs »)
  • allitérations nombreuses qui participent au bruit : montée de la violence avec allitération en [d] par exemple au v.8 => devient plus violent au v. 18 [k] et [r] ou au v. 21 en [r]
  • personnages de la légende biblique (Esaü et Jacob = fils d'Isaac et Rebecca ; Jacob, avec la complicité de sa mère, se déguise en son frère pour hériter du droit d'aînesse)
  • énumérations (v. 5 ; 15-16 ) et hyperboles (v.15-16, gradation) : ampleur de la violence
  • ponctuation très rythmée, alexandrins épiques
  • Gradation dans le rythme du v. 2 (2/4/6) = dramatisation
  • C.L du combat : « combat » v.14, « conflit » v. 19, «querelle » v.26
  • C.L de la violence + nombreux termes de la famille de « sang » en fin de poème : « sanglants » v.23 ; « ensanglanté » v.31, « sanglante » v. 33, « sang » v. 34 => généralisation de la violence (d'abord un fils, puis les deux.
C. les registres pathétique et tragique
  • Une figure maternelle pathétique (douleur physique + douleur morale) : v.15-16 (« soupirs », « pitoyables », « pleurs ») + v. 20-21 (« éplorée », « douleur » x2) + fin pathétique : « succombe à la douleur, mi-vivante mi-morte » v. 22)
  • La mère est victime : « affligée » v. 1, « chargée » v. 2 ; elle est réduite à un « champ » de bataille v. 14 ; elle est impuissante : « elle voit » v. 23, puis « elle veut » v. 27 (mais vainement), enfin, « elle dit » v. 31 et termine sur un constat d'échec, marqué par la formule restrictive « ne que » v. 34 : « je n'ai plus que du sang »
  • C.L de la mort : « se perd », « derniers », « ruine », « venin »
  • diérèse sur le « furieux » v. 19 ( or le furor en latin = la démesure des passions, qui entraîne la destruction, la mort // l'hybris grecque), diérèse aussi sur « viole » v. 28 = insiste sur l'horreur de la profanation.
  • image du lait transformé en sang (v. 34) // vie = mort (les deux champs lexicaux de la nourriture et de la mort sont imbriqués l'un dans l'autre à la fin du poème)


  1. Un poème fortement engagé

A. Un récit allégorique
- Allégorie de la France + ses deux enfants à son sein =
image de la mère nourricière (CL de la nourriture : « doux lait », « sein » comme métonymie de la nourriture, « nourriture »)
mère protectrice (images : « entre ses bras » v. 2 ou « asile de ses bras » v. 28) + l'adjectif « doux » dans « le doux lait » v. 8 = plaisir, pacifisme, harmonie + CL de la protection ( « sauver » v. 27 + « asile » v. 28) + « amour maternelle » v. 25
- Une description de la France lors des guerres de religion : enchaînement incontrôlable de la violence.
- nombreux enjambements et rejets (vers 3/4, 5/6, 19/20, 25/26, 27/28, 31/32) => la phrase déborde du vers = débordement de la violence.

B. un discours engagé pour dénoncer l'intolérance des catholiques
- « Je » = débute le poème // « je » du discours de la mère, v.34 qui clôt le poème.
- description subjective d'Esaü et Jacob : Esaü : portrait péjoratif, Jacob : portrait mélioratif
  • Esaü = « orgueilleux », « voleur », « malheureux » (dans le sens : qui porte le malheur)
    • c'est lui qui lance le combat v. 5 ;
    • s'oppose à la nature des choses ( v.6)
    • corps agressif : « ongles », « poings », « pieds » v.5 : il est presque animalisé.
  • Jacob = une périphrase pour le désigner v. 26 : « celui qui a le droit et la juste querelle » : du côté du droit et de la morale.
    • décrit comme mesuré (« ayant dompté longtemps en son cœur son ennui » v. 12) : il domine ses pulsions, contrairement à son frère, il est humain.  ;
    • c'est celui de qui la mère prend parti (« elle veut le sauver » v. 27) 
- les couleurs rouge et blanc peuvent alors se lire comme des symboles de l'innocence (Protestants, Jacob) et de la folie (Catholiques, Esaü)

C. la dénonciation du combat
  • figures bibliques = frères, « besson », « deux enfants » v. 2, « d'une même mère » v.8
  • aveuglement commun des deux frères v. 20, geste très violent : « ils se crèvent les yeux » (idem Oedipe, le dénaturé)
  • « les mutins » v. 23 : déterminant globalisant + terme péjoratif qui exprime le jugement moral de l'auteur, condamnant les deux frères
  • effets rhétoriques qui martèlent la responsabilité des deux frères :
    • des constructions en échos (ex. répétition de « ni, ni » v. 15-16) ;
    • « leur » v. 17, 18 et 19, en écho avec « malheur », « pleurs », « coeur » ;
    • parallélisme v. 7 : « ce voleur acharné, cet Esaü malheureux »
  • malédiction commune pour terminer, parole émanant de la mère (prosopopée) : « félons » v. 31 (apostrophe désignant les deux enfants) + « vous »
  • le combat des frères est une offense à l'ordre moral (« félons » = traître, déloyal), naturel (« dont nature donnait » v.6), national (« la France ») et familial (fratricide et surtout matricide).

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