mercredi 9 mars 2016

Gargantua, L.A n°3, L'Abbaye de Thélème


Problématiques possibles :
- en quoi ce texte est-il un apologue défendant des idées humanistes ?
- Pourquoi peut-on dire de cet extrait qu'il ressemble à un silène ?
- Montrer que derrière une utopie attractive se cache une critique de la société
I. Description d'une utopie

A. Un cadre irréel et parfait :
  • imprécision des personnages, toujours désignés par la P6 => aucune individualité.
  • Pas de temps précis ; imparfait = pas d'actions, pas de récit en tant que tel, habitudes ; le temps n'a pas de prise sur les sentiments (contrairement à la sentence de Gargantua, selon la quelle « le temps […] ronge et amoindrit toute chose » : « ils s'aimaient tout autant à la fin de leur vie qu'au premier jour des noces ».
  • Lieu imprécis (mais au chap. 52 : à deux lieux de la grande forêt de Port-Huault)
  • Qualité des habitants : beauté physique et morale :
    • aristocrates (« bien nés ») d'où comportement aristocratique, ou noble.
    • « libres, bien nés, bien formés » = rythme ternaire, ample + répétition de l'adverbe intensif « bien ».
    • utilisation de termes de beauté dans la description des « dames » et des « hommes » : « belles », « fringant », « joliment » l.22-23. (beauté humaine = reflet de la perfection divine selon les idées néo-platoniciennes de la Renaissance).
    • répétition de l'intensif et hyperbolique « si » l.29 à 32, accompagnant d'autres termes mélioratifs : « preux », « élégants », « habiles » pour les hommes ; « élégantes », « mignonnes », pour les femmes.
    • Termes de chevalerie, donc d'idéal courtois : « chevaliers », « dames » + maniement des armes ou de l'aiguille.
  • La fin du texte fait penser à une fin de conte de fée, où l'amour est éternel : s'aiment jusqu'à la fin de leur vie comme au premier jour.
B. Absence de règles, liberté totale : 
  • « Thélème » vient d’un mot grec signifiant « volonté naturelle, désir, pulsion » : le nom signifie donc la négation de toute autorité.
  • Une règle paradoxale : impératif (« fais ») + complétive en opposition à l'idée même de règle = liberté totale => règle de l'abbaye = absence de règle ! (NB : « Fais ce que tu voudra » est inspiré du précepte de St Augustin : « Aime (ou crains) Dieu et fais ce que tu veux ». Or St Augustin est celui qui inspirera les idées réformées, c'est-à-dire le Protestantisme… Rabelais sensible à ces idées)
  • Champs lexical de la liberté très fourni
  • La liberté est à l'origine de tout le bien : « parce que les gens libres » l.9 + « grâce à cette liberté » l.17 + « si on les avait laissés libres » l.14 => expressions causales toujours suivies des mêmes effets : la vertu
  • condamnation de toute forme d'autorité, remise en cause de l'ordre établi
    • C.L de la contrainte en contrepoint de la liberté
    • à ce C.L est associé un lexique péjoratif : « joug », « servitude » « vile », en antithèse avec le lexique mélioratif caractérisant la liberté.
    • Répétition des négations (ni … ni ; nul , nul , nul) = condamnation claire de toute forme d’autorité.
C. L'harmonie parfaite
  • Règne de l'harmonie, idéal communautaire dans lequel l'homme s'épanouit pleinement :
    • l'« émulation » l.18 est qualifiée méliorativement : « louable ».
    • parallélisme de construction : « si l'un...tous... ; si on …tous... ; si on … tous... » + reprise des mêmes verbes conjugués au pluriel = les individus forment un seul corps harmonieux.
    • « tous » => « un seul » ; « l'un ou l'une » => « tous » ; « on » => « tous » x2 ; chacun se conforme aux goûts des autres, harmonie des désirs.
    • « les dames », « les hommes » => déterminant défini pluriel = indistinction, égalité.
  • Règne de la vertu :
    • C.L de la vertu : « honneur », « vertu », « noble ardeur », « louable », « noblement », l.26, « preux » l.30, « digne » l.34
    • institution du mariage l.41 préservée et même valorisée : on se marie par amour (ça n'a l'air de rien aujourd'hui, c'était rarissime à cette époque).
  • Bonheur des habitants :
    • besoins du corps satisfaits (buvaient, mangeaient, dormaient)
    • C.L. du plaisir : « plaire » l.18, « jouons », « amuser », « chasser »
    • C.L de l'amour : « affection », « amitié », « mariage », « s'aimaient ».
II. Pour délivrer un message et des valeurs humanistes 

A. Une critique de vie monastique
  • Aucune mention à la religion, à la prière, ni même à Dieu (quoique... « thelema en grec signifie « volonté, désir, pulsion », mais dans l'évangile selon St Mathieu, que Rabelais connaît parfaitement, il signifie « volonté de Dieu »...).
  • Mixité qui aboutit aux mariages (contre le vœu de chasteté des moines)
  • Contrairement à la vie des moines, rythmée par les contraintes horaires, ici, aucun impératif : répétition du subordonnant temporel dans :« quand bon leur semblait » l.3, « quand le désir leur en venait » l.4.
  • Critique des règles strictes et dénuées de sens des monastères (parodie des règles monastiques à travers la règle : « Fais ce que tu voudras » // règle édictée par Saint Augustin, le Père du Christianisme occidental : « Aime (sous-entendu Dieu) et fais ce que tu voudras ») = contre le vœu d'obéissance que font les moines.
  • Possibilité de sortir du monastère, comme si le monastère n'était qu'une étape dans la vie des jeunes nobles : emploi du temporel « quand » et non pas de l'hypothétique « si » (« quand le temps était venu » ) + quasi oxymore à cette époque :« quitter l'abbaye » avec la bénédiction des parents (« à la demande de ses parents »)
  • Plutôt qu'une parodie religieuse, c'est surtout une parodie des monastères et de la vie monastique. Rabelais reste résolument attaché à Dieu, et cette abbaye de Thélème semble être un idéal d'abbaye augustinienne (autrement dit... du protestantisme?).
B. importance de l'éducation, de l'esprit, de la culture
  • l'éducation et la culture de l'esprit amènent les hommes à s'améliorer moralement : l.26 à 35 : énumération « lire, écrire, chanter, jouer d'un instrument de musique, parler cinq ou six langues, etc. » // quantité de savoirs que Gargantua entend faire délivrer à son fils (cf. la lettre de Gargantua)
  • énumération de verbes d'action : aucune paresse, l'homme est naturellement poussé à l'activité lorsqu'il est en groupe (« louable émulation »).
  • le corps n'est pas en reste, comme on le sait : amusements aux champs, chasse, hommes « habiles à pied et à cheval » + sachant manier les armes ; femmes « adroites de leurs mains » et « habiles ».
  • Les savoirs disciplinaires et artistiques sont mélangés dans une même énumération, donnant autant de poids aux uns qu’aux autres.
  • Tous les individus sans exception sont concernés par cette éducation : double négation « personne » + « ne sut » = insiste sur la généralité de cette éducation.
C. foi en la nature humaine
  • caractère inné du Bien chez l'homme : adverbe « naturellement » qui prouve que la vertu est naturelle.
  • Efficacité de bonheur chez l'homme puisqu'il conduit à la vertu : antithèse « les pousse à la vertu et les éloigne du vice » l.11-12
  • Entre le Bien et le Mal, l'homme tend naturellement à choisir le Bien ; sous la contrainte et le joug, il cherchera à se libérer (mais pas à faire le mal) : CL lexical de l’asservissement : « écrasés », « asservis », « sujétion », « contrainte », « servitude ».
  • Egalité en droit des hommes et des femmes : nul supériorité de l'un sur l'autre. Idéal d'égalité entre les hommes ?
  • Plus curieux : l'idéal éducatif de Ponocrates n'est pas tout à fait respecté dans cette abbaye : pas d'heure de levé, pas de précepteur, pas de gavage disciplinaire… soit l'éducation des jeunes gens est déjà faite, soit Rabelais nous délivre une leçon de humaine (et non pas une leçon pour les géants) : faire confiance à l'homme, à l'enfant, qui n'a finalement pas besoin d'un horaire strict et d'un précepteur dominant pour apprendre la vertu. Seule la liberté est garante de cet apprentissage : « fais ce que tu veux ».

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