mardi 6 janvier 2015

Huis-Clos, LA n°3 (le miroir vivant)


    LA n°3 : Le miroir vivant

de la p.44 : "Monsieur, avez-vous un miroir?" à la p.47 : "Que c'est agaçant, que c'est agaçant"
  1. Chaque personnage exprime des désirs
A. Estelle :

a) désir d'un miroir :

  • rompt le pacte de silence uniquement pour un « miroir », comme si c'était vital pour elle
  • veut « n'importe quoi » qui fasse office de miroir l.4 + accumulation de synonymes
  • « je ne peux pourtant pas rester sans glace toute l'éternité » l.39
  • hyperboles : « six » + « grandes » glaces dans sa chambre l. 30 => insistance sur l'importance que cela revêt pour elle.
  • Personnification de ces miroirs : « elles ne me voient pas » l.31
  • champs lexical de la vue, multiples occurrences du verbe « voir ».
  • Elle a une préoccupation futile et absurde en enfer : se mettre du rouge à lèvres !
  • Le miroir symbolise le regard qu'un autre pourrait porter sur elle. Elle ne peut pas vivre sans miroir, sans le regard d'autrui. Le miroir lui permet de se sentir exister l.22, de se tenir éveillée l.38. Le miroir = sa conscience d'être. Elle est purement narcissique => Narcissique (voir mythe de Narcisse sur ce lien) http://www.theatreandrescifuentes.be/narcisseresumedu.html

b) désir du regard d'un homme (Garcin) :

  • Elle jette de multiples coups d'oeils à Garcin : voir les didascalies
  • Elle l'interpelle plusieurs fois : « Monsieur ! »
  • Elle le dérange à chaque fois pour des prétextes absurdes : lui demande un miroir alors que logiquement, c'est à une autre femme, Inès, qu'elle aurait dû demander l.1 ; le dérange pour lui demander... si elle ne le dérange pas l.70 ! Elle attend de lui qu'il l'aide (pour lui donner un miroir, pour la protéger d'Inès)
  • le regard d'un homme : c'est un regard qui lui donne du sens. Elle ne vit que par le regard des hommes, elle n'a pas de personnalité propre, se conforme totalement à ce regard. D'où l'importance pour elle d'être regardée par Garcin : c'est lui qui lui permettrait d'exister.

B. Inès :

Désir de séduire puis de posséder Estelle :
  • Elle se rend indispensable pour elle, comble toutes ses attentes : « avec empressement » l.9, puis « avec dépit » l. 11 quand elle se rend compte qu'elle ne peut pas combler Estelle.
  • Elle l'aide : la soutient lorsqu'elle vacille l.15 ; elle se transforme en objet-miroir pour lui complaire.
  • Elle cherche à la mettre en confiance : l.53 : « Est-ce que j'ai l'air de vouloir vous nuire? » => question rhétorique qui sous-entend qu'elle ne lui veut aucun mal, au contraire, elle renverse cette probabilité l.57 : « C'est toi qui me feras du mal »
  • Elle la flatte : « c'est bien » l.86, « c'est mieux » l.91, « tu es belle » l.102
  • Elle attire à elle Estelle : d'abord par le tutoiement : l.57, elle passe soudain au « tu » ; l.98 elle passe à l'offensive en lui demandant de la tutoyer à son tour ; ensuite par un déplacement dans l'espace : elle l'invite chez elle l.43, puis lui propose de s'assoir à côté d'elle l.59, puis de s'approcher l.59, de s'approcher encore l.60 et enfin de la regarder l.60 => elle attire Estelle à elle comme une araignée avec sa proie. Elle veut la posséder.
  • Elle emprisonne Estelle dans son cercle : elle capte son regard ; exclut Garcin : « laisse-le », « il ne compte plus », « seules » l.74 ; jeu sur les pronoms personnels : « nous » = Estelle + Inès, « je » et « tu » = Estelle + Inès, emploi de la 3ème personne excluant Garcin « le », « il ».
  • Elle domine Estelle : multiples impératifs : « venez », « asseyez-vous », « laissez-le », « interrogez-moi ».

  • Elle s'approprie totalement Estelle, puisqu'elle est dépositaire de son image, lui fait des remarques sur son physique, la guide l.86. Elle la possède : « toute entière » l.65.

C. Garcin

Désir de silence et de solitude, contrairement à ce qu'il affirmait dans l'exposition : « je veux regarder la situation en face » ! => a la tête dans les mains, se cache.

Cependant, pour lui, l'enfer est un endroit d'introspection : il se regarde pour se comprendre. D'ailleurs, c'est le personnage qui évolue le plus au long de la pièce : il comprend un certain nombre de choses au fur et à mesure de la pièce.

  1. Mais ces désirs sont frustrés

A. Estelle est niée

a) Niée par l'absence de miroir :

  • champ lexical du vide, de l'absence : « ne l'ai plus » l.11, « me l'ôter » l.12, « vide » l.33, « sans glace » l.40
  • Elle perd conscience d'elle-même sans miroir : « vacille », elle se sent « drôle », doute de son existence et ne se tient pas éveillée => l'absence de miroir le désespère «(« avec désespoir » l.38)
  • Le miroir-Inès est déformant, ne correspond pas à l'image qu'elle voudrait avoir : « je suis toute petite » l.63, « je me vois très mal » l.63 => le regard d'autrui sur soi est forcément subjectif, ne correspond pas toujours à l'image qu'on se fait de soi-même.
  • Le miroir-Inès pose des jugements sur Estelle, a une conscience qui échappe à Estelle : « c'est mieux », « pas trop bien », « plus cruel » => Estelle doute de son efficacité : « avez-vous mon goût ? » l.104.
  • Le miroir-Inès accentue son enfer : « pas trop bien » l.79 => renvoie une image négative qui ne peut que blesser Estelle. 

b) Niée par Garcin :

Nombreuses didascalies : « il ne répond pas », il ne la regarde pas : « la tête dans ses mains ». Elle ne compte pas plus qu'Inès pour Garcin dans cet extrait. Elle est mortifiée de ne pas peser pour Garcin.

B. Inès est rejetée et chosifiée par Estelle
  • Estelle oppose de multiples résistances à se rapprocher d'Inès : « mais... » l.46 = invoque le pacte proposé par Garcin ; « nous allons nous faire du mal » = invoque la raison de ce pacte (le bourreau) ; se méfie d'Inès « on ne sait jamais » l.55
  • La personne d'Inès est niée par Estelle : « personne ne m'a vue » l.82, sachant que seule Inès l'a vue, donc, aux yeux d'Estelle, Inès n'est personne ; Estelle ne réussit pas à tutoyer Inès : elle la tutoie dans une seule réplique l. 100, puis repasse au vouvoiement.
  • Inès se transforme en objet pour plaire à Estelle : « que je vous serve de miroir » l.42 => elle se met position de service, donc d'infériorité, malgré les apparences de dominatrice / prédatrice.
  • Inès-objet (Inès-miroir) est considérée comme peu sûre : « avez-vous du goût? » l.104.
  • Estelle est facilement manipulable, mais elle ne se laisse finalement pas posséder par Inès, elle conserve son libre-arbitre par rapport à Inès. Inès est sous la dépendance d'Estelle, mais elle échoue à attraper Estelle comme elle le reconnaît amèrement elle-même par la suite : « (A Garcin) Vous avez gagné » p.49.

C. Impossible solitude pour Garcin

Le désir de Garcin est ici aussi frustré : il ne réussit pas à rester dans la solitude et le calme, bien qu'il tente de s'isoler.

On remarque sa muflerie : n'intervient pas quand Estelle vacille, n'intervient pas quand elle l'appelle à l'aide l.68 => quel « héros » est-il donc ?


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