Huis-Clos,
LA 4 : « Tu n'es rien d'autre que ta vie »
Problématiques
possibles :
Quel
enfer pour Garcin ?
Comment
Estelle condamne-t-elle Garcin à être lâche ?
Comment
cette scène illustre-t-elle l'existentialisme sartrien ?
Garcin
n'est pas sorti du huis-clos quand la porte s'est ouverte, il s'en
explique dans cet extrait :
- Garcin veut prouver à Inès qu'il n'est pas lâche / Inès, l'espoir de Garcin
1.Garcin
choisit Inès parce qu'elle lui ressemble => exclusion d'Estelle
-
Surprise : c'est à cause d'Inès, alors qu'auparavant, c'était avec
Estelle qu'il faisait front contre Inès.
Cette
surprise est marquée par les deux femmes : didascalie d'Estelle :
« avec stupeur » l.4 + répétition incrédule d'Inès :
« A cause de moi ? » l.6 et 9
-
Explication de Garcin : « Tu sais ce qu'est un lâche toi »
l.11 => insistance avec le pronom tonique « toi » qui
différencie Inès d'Estelle (implicitement : Estelle, elle, ne sait
pas).
- Inès
et Garcin se ressemblent : « oui » répété par l'un et
l'autre l. 11 et 13
- Toute
la description est faite à la 2ème personne : « tu »,
qui désigne Inès, et en même temps Garcin.
- Garcin
décrit le sentiment de lâcheté par un ensemble de sentiments
négatifs : « mal, honte, peur » + incidence sur le corps
: « coeur, bras, jambes » => la lâcheté paralyse, empêche
d'agir + incidences sur la pensée : « ne savais plus que
penser, n'arrivais plus à déchiffrer » => la lâcheté
ankylose la réflexion.
Cette
description de la lâcheté est en même temps assez surprenante :
s'il la connaît si bien, cette lâcheté, c'est qu'il l'a lui-même
vécue, donc il est un lâche, selon les dires d'Inès.
- Inès
est toujours très honnête, elle affirme sa connaissance de la
lâcheté : « oui » l.24 + l.10 et 11 : « je sais,
tu sais » + champ lexical de la connaissance l.15 à 25 (« tu
sais, tu connais, connaissance de cause »)
- Garcin
utilise le « toi », « tu » pour désigner
Inès, et en même temps, sa propre conscience.
- Mise
en valeur du « toi » par le présentatif « c'est »
=> accentue la différence avec Estelle, qui n'a pas besoin d'être
convaincue puisqu'elle s'en fiche totalement (elle ne s'intéresse
qu'au corps)
- « de
ma race » = ressemblance G et Inès, compréhension mutuelle
- Garcin a besoin de la reconnaissance d'Inès
- l.1 :
« c'est à cause d'elle que je suis resté » => la
reconnaissance d'Inès est plus forte que l'emprisonnement physique
=> Garcin est surtout prisonnier du jugement d'Inès
- « je
dois convaincre » l.26 + « je ne pouvais pas »
l.27-28 = modalisateurs « devoir » et « pouvoir »
qui induisent l'obligation psychologique, pour la tranquillité de
conscience de G.
- « Si
tu me crois, tu me sauves » l.40 : cette absolution de G. passe
par Inès : le « tu » d'Inès est sujet tandis que le
« me » de Garcin est objet. Le « me » dépend
du « tu » tout-puissant.
- Objectif
prioritaire et ultime de Garcin : « j'y mettrai le temps qu'il
faudra »
- Inès
est décrite comme dominatrice : « triomphante » +
« toutes ces pensées » répété 2 x => insistance
sur le pouvoir d'Inès : « qui me concernent » => elle
possède Garcin parce qu'elle le juge, elle le prend pour un
« lâche » : « tu dis que je suis lâche »
l.20
- Inès
est l'ultime secours de Garcin : « je ne suis plus rien sur
terre » l.36 + Estelle « ne compte pas » l.39 =>
il ne reste qu'Inès.
Inès
est le seul espoir, c'est pourquoi G. a tant besoin d'elle.
- Une démonstration pour convaincre Inès
Champ
lexical de l'argumentation : « convaincre » l.26, 32, 91
« prouve » x2 l.65, « persuader » l.79,
« arguments » l.79, « réponse » l.76
Un
argumentaire difficile : « pas facile » l.42, « tête
dure » l.42, « le temps » l.45, « réponse à
tout » l.76, « effort » l.80
Garcin
veut qu'Inès le comprenne, sa démonstration :
- constat de départ qui le disculpe en le montrant comme tout le monde : « chacun a son but » l.48
- se montre encore sous un jour positif, se dépeint en héros désintéressé (« me foutais de l'argent, de l'amour » l.49) et intrépide (« dangereux » l.53, « dur » l.50).
- Joue sur un paradoxe dans une question rhétorique : « lâche » vs « les plus dangereux » => montre que la voie qu'il a choisie le disculpe parce qu'elle était difficile et qu'il n'a donc pas pu être lâche.
- Utilise le pronom indéfini « on » l.51 et 52 au lieu du « je » => se disculpe tout seul, se met à distance, comme si la démonstration de sa non-lâcheté avait été faite.
- Termine sur une autre question rhétorique, encore un paradoxe, ou au moins une antithèse : « une vie » / « un seul acte » => Sa vie = le choix de « chemins les plus dangereux » et ce « seul acte » = la fuite de Garcin vers Rio pour ne pas avoir à combattre. A cette question, Garcin semble répondre : « non, un seul acte raté ne peut pas condamner toute une vie ».
- Il montre qu'il a eu la liberté de choisir mais qu'il a « tout misé sur le même cheval » l.50
- Devant les doutes d'Inès, il se défend en disant qu'il est mort « trop tôt », qu'il n'a pas eu « le temps » de prouver qu'il était un héros ; il était un héros potentiel. Il accuse un « on » qui ne lui a pas laissé le temps.
- didascalie « la prenant aux épaules » l.47 => veut capter son attention totale, son regard
- « écoute » + « n'est-ce pas » l.48 => cherche à ce qu'ils soient complices
- Son dernier « argument », voyant qu'il ne peut pas convaincre Inès, est la violence : didascalie l.89. Mais même cet « argument » ne peut pas fonctionner : d'une part parce qu'ils sont morts, d'autre part, parce qu'Inès montre que sa pensée ne peut pas être empêchée : « on n'attrape pas les pensées avec les mains » l.92
II.
Inès ne se laisse pas convaincre
-
1. Inès met à mal la
démonstration de Garcin
1) en
opposant l'acte et l'imagination, l'action et le projet :
-elle
pose l'hypothèse que Garcin n'a fait qu'imaginer qu'il était un
héros :
répétion
de mots de la famille de rêve : « rêvé » l.57, l.64,
67
-Elle
montre qu'il n'a jamais agi dans un sens héroïque : répétion du
terme « actes » : « les actes » l.68, « mes
actes » l.71.
-Elle
ironise sur le soi-disant héroïsme de Garcin : « tu avais du
coeur » l.58, « héros » l.59, + « danger »
l.61, « pied du mur » l. 61 (double ironie, G. est mort
fusillé, contre un mur probablement), les points de suspension
participent aussi de l'ironie puisque la chute est en décalage avec
l'héroïsme qui précède : « Tu as pris le train » =
son seul acte était un acte de fuite.
-Elle
utilise le champ lexical de la lâcheté
2) en
montrant que tout est déjà joué, on ne peut plus revenir dessus :
-Elle se
montre très cartésienne, utilise un lexique mathématique
irréfutable : « trait tiré » (qui symbolise la mort),
« faire la somme » => elle est impitoyable, sait que
Garcin ne peut pas la contredire (ce qu'il reconnaît lui-même :
« tu as réponse à tout » l.78
-Elle
souligne l'idée de la mort comme échéance inexorable : « meurt »,
« terminée », « trait […] tiré », « la
somme ».
2. Une Inès diabolique et toute-puissante
2. Une Inès diabolique et toute-puissante
-Elle
donne des ordres, comme d'habitude, utilise des impératifs (« fermez
la porte »)
-Elle
accule Garcin, le nargue : répétition de « prouve-le »,
« prouve » l.67, elle utilise des exclamations et des
interjections : « Allons ! » x2, « eh bien »
x2, « Ah! » l.84 puis l.90
-Elle
est diabolique : « vipère », au sens biblique = le
Malin, le diable.
-Elle
est sadique : « comme tu vas payer à présent » =>
elle va le faire payer
-Elle
domine Garcin : « tu n'as pas le choix » l.93, « je
le veux » x3 (l.86), « je te tiens » l.94, « il
faut » l.93 = en opposition avec la liberté de choix qu'avait
Garcin quand il était en vie : « a choisi », « tout
misé » => maintenant, Garcin a perdu sa liberté, il est
sous l'entière dépendance d'Inès.
-Elle
est l'enfer de Garcin : « un lâche parce que je le veux »
=> le rapport de cause à effet montre qu'Inès possède Garcin,
elle porte un jugement sur lui qu'il ne peut supporter.
-Elle
ironise encore sur la différence entre acte et pensée : elle montre
qu'une pensée peut faire du mal, plus de mal qu'un acte : « je
suis faible, un souffle », « le regard qui te voit »,
« pensée incolore », « les pensées ». Ce
faisant, elle montre qu'en enfer, seule la pensée compte, par
opposition à la vie où seuls les actes comptent. Ironie du sort !
3. Inès
incarne l'existentialisme de Sartre
- Pour
Inès, la vie = la somme de ses actes, d'où cette formule lapidaire
et limpide : « tu n'es rien d'autre que ta vie », donc la
somme de tes actes.
- La
thèse d'Inès = celle de Sartre : seuls les actes décident de ce
qu'on a voulu ; un homme est jugé sur ses actes et non sur ses
intentions ; on n'est rien que la somme de nos actes ; « l'existence
précède l'essence »
- Inès
= Sartre car : c'est elle qui domine l'échange, c'est elle qui gagne
la partie
- Elle
formule des maximes à valeur universelle : « seuls les actes
décident de ce qu'on a voulu » l.68, « on meurt toujours
trop tôt – ou trop tard » l.73, « on n'attrape pas les
pensées avec les mains » l.92 => on généralisant +
adverbe « toujours » universalisant => elle est la
voix de la raison, de la logique, de la vérité sartrienne.
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