mardi 18 novembre 2014

L.A n°4, La Mort est mon métier : le procès

LA n° 4 : Le procès


de la p.366 de « Là-dessus je demandais encore la parole » jusqu'à la fin.

Il s'agit de l'excipit du roman, la fin du procès de Rudolf et la sentence finale.

Problématique possible : la stratégie du Procureur est-elle efficace pour comprendre la personnalité de Rudolf ?

I. Le Procureur tente de confondre Rudolf

A. Il utilise des arguments

- 3 arguments (=> réponse de Rudolf):

1) Rudolf a pris des initiatives et fait preuve de zèle (=> faux : zélé dans la tâche, pas dans les ordres)

2) Rudolf n'a rien fait pour se libérer de ses fonctions (=> si, avant Auschwitz)

3) Ce travail plaisait à Rudolf (=> « pas du tout »)

- Sa thèse (implicite, on doit la comprendre, elle n'est pas formulée) : Rudolf est un sadique

- Quelques procédés rhétoriques : une double négation (« vous ne pouvez nier que » = litote = accentue en disant moins), une question rhétorique (« c'est donc que »)

- Des connecteurs logiques : donc, cependant

B. Puis il fait appel à l'émotion

Après avoir tenté la voie des arguments (ce qui a été un échec), il cherche à toucher Rudolf, à lui faire comprendre ce qu'il y avait de monstrueux dans ses actes. Trois tentatives :

- Relis la déposition neutre de Rudolf et entre dans la logique de Rudolf pour guetter son approbation (« c'est bien ce que vous avez dit »). Mais Rudolf n'est pas accessible aux sentiments, il ne s'attache qu'au détail du verbe « jeter », ne réagit à rien d'autre.

- Le Procureur pose alors une question directe, sur ses sentiments : « N'étiez-vous pas ému » l.49 + lexique pathétique : « pitié, pauvres femmes, bébés, générosité, bourreaux »

- Devant la froideur de Rudolf, il tente un parallèle, il en appelle à l'empathie que tout être humain devrait ressentir : amour de ses propres enfants // attitude envers les petits juifs.

Pour appuyer ses dires, il théâtralise ses gestes et sa diction :

- « fit une pause » l.22, « fit une pause » de nouveau l.69, « promena lentement son regard sur la salle » l.69, « s'écria » l.86 = ménage un effet, une intensité dramatique, personnage qui se met en scène, qui utilise les mots et les gestes pour détourner la réalité de son fait brut,

- « fixa dans les yeux » l.22, « releva la tête » l.38 = on se rappelle que celui qui regarde, pour Rudolf, c'est celui qui cherche à comprendre la personnalité : le père, Maria, le directeur de prison,

- « écarta les bras » l.22 accueille la parole de Rudolf, « laissa retomber ses bras » l.29 = conformément à l'expression « les bras m'en tombent » : il est ahuri, atterré de tant de « cynisme » selon lui. + Remarque : « des murmures dans la salle » : la salle n'est que le prolongement du Procureur, elle symbolise aussi le reste du monde, c-à-d tous ceux qui ne sont pas Rudolf et qui ne peuvent pas le comprendre.

- « fit un petit signe de la main » l.43 = accorde la possibilité à Rudolf de s'exprimer,

- « dit avec impatience » l.46 = incompréhension entre Rudolf et lui ; lui évoque un fait (le quoi), le gazage des enfants, Rudolf évoque un procédé (le comment): les enfants n'étaient pas « jetés » mais «envoyés»

C. Et finit par poser des conclusions injustes, qui marquent l'incompréhension entre les deux hommes

Quelques tentatives de communication :

-« vous voulez dire que » l.78 ou « n'est-ce pas » l.39 demande le Procureur pour être sûr de comprendre Rudolf.

-« bien entendu » l.76 précise Rudolf, comme s'il partageait la même réalité que n'importe qui (dans la phrase : « Mais chez moi, bien entendu, je me comportais autrement »).

- Très significatif : « dites-nous ce que vous en pensez » demande le Procureur => sa question rebondit sur la dénégation très nette de Rudolf lorsqu'il affirme qu'il n'aimait « pas du tout » sa mission. On (le Procureur, le public, le lecteur) s'attend à un argument portant sur le sens même de cette mission, or Rudolf ne se sent concerné que par le côté pratique : les taches répétitives, l'ennui.

Le constat de deux mondes hermétiques l'un à l'autre

- Rudolf s'attache au « comment » (il précise les mots, utilise des termes concrets, voire techniques  : « inaptes », « travail », « exécution », « mission »), le Procureur l'interroge sur le « pourquoi » et utilise un lexique plus métaphysique (« vous libérer », « plaisait », « idée », « ému », aimez », « nature »).

- le Procureur s'agace du pointillisme de Rudolf ("avec impatience" + "peu importe")

- Le procureur analyse la réalité, Rudolf la décrit de manière brute. Il y a donc incompréhension totale, incommunicabilité entre ces deux êtres.

Rudolf résume cela : « cela n'a aucun rapport » l.75. Comme deux mondes parallèles qui ne peuvent jamais entrer en contact.

Sur les paroles du Procureur: il transforme ce que dit Rudolf

- Il « dit » répété de nombres fois = le Procureur est un être de parole, donc il est capable d'intellectualiser la réalité, de la formuler, donc de la transformer par les mots :

Ce que dit RudolfComment le Procureur l'interprète
« j'aurais eu l'air de me dérober » l.17

« enfants […]étaient envoyés »
« nature [...] double »
« c'est donc que cette mission vous plaisait » l.19
« les enfants […] étaient jetés »
« duplicité »

- Il pose des jugements sur la personnalité de Rudolf : « duplicité », « brute », « hypocrisie », « cynisme », « brutalité », mais qui ne correspondent pas à ce qu'on connaît de Rudolf.

-Par exemple, il utilise le terme « cynisme » l. 94 pour dépeindre Rudolf [Rappel : cynisme = énoncé d'une réalité choquante, d'un air naturel, neutre ou humoristique]. Mais Rudolf lui-même ne considère pas ses dires comme cyniques, puisque selon lui, il ne fait que dire la réalité : il trouvait réellement son travail ennuyeux, il ne cherche pas à choquer en disant cela.

- Teinte le tout de qualificatifs hyperboliques : « horribles » l.13 « effroyable » l.93, « le plus grand » l.91 ou de formules d'insistance : la métaphore de la duplicité qui « éclate », l'expression « non content de... au surplus » l.90-92.

=> creuse l'incompréhension entre les deux hommes. L'un se place dans le jugement moral (bien / mal), voire dans hédonisme (plaisir, déplaisir), l'autre dans la réalité (vrai / faux). Il ne peut donc pas y avoir compréhension entre eux.

On en vient parfois à se mettre à la place de Rudolf et à rejeter les interprétations abusives du Procureur (lorsqu'il taxe Rudolf de cynique, hypocrite et brute notamment) => gênant : peut-on éprouver de l'empathie pour cet homme ?

[Questions à poser éventuellement en conclusion : jusqu'à quel point peut-on vouloir le comprendre ? Jusqu'à quel point peut-on lui trouver des excuses ? N'est-il pas immoral qu'un écrivain cherche à ce que le lecteur s'identifie à Rudolf ?]

II. Rudolf reste difficilement compréhensible

A. Il reste honnête et hyper précis


- Il répond clairement aux questions : « pas du tout » l.20, « Oui » l.40 et 66, 80, « certainement » l.68.

- Il emploie des termes sans équivoque : « liquider les juifs » l.15, « travail ennuyeux » l.28, « je devais donc les [les enfants] gazer » l.56

- Il ne nie pas la réalité : qu'on fouillait les juives pour trouver les enfants cachés, qu'il n'était pas ému par leur geste, qu'il ne lui est jamais venu à l'idée d'épargner les enfants, qu'il a une double nature.

- Il remercie son avocat, très poliment l.104 (d'avoir fait son travail ?).

- Il reste obstinément fidèle à la patrie : ne veut pas « avoir l'air de [se] dérober » l.17 (remarque : il met en balance sa fierté de soldat et la vie de millions de Juifs, c'est sa fierté qui l'emporte); bien que cette mission ne lui « plaisait pas du tout », il l'a menée à bien ; il avait « des ordres » et il ne lui est jamais « venu à l'idée de désobéir aux ordres », il se conduisait « en soldat » et écoute la sentence du Président « au garde à vous » => il est un bon petit soldat (« petit fonctionnaire scrupuleux »), qui exécute les ordres sans jamais penser à les discuter.

- Il a toujours le souci de l'exacte réalité. Il ne supporte pas qu'on la déforme : « pas exact » l.3, « rectificatif » l.42

- Il reprend parfois les mots exacts du Procureur mais pour insister sur une subtile différence : « Particulièrement zélé et plein d'initiative » devient : « zèle et initiative […] mais... » l.10

« N'étiez-vous pas ému » devient « je ne pouvais pas me permettre d'être ému » l.54

« jamais venu à l'idée de les épargner » devient « jamais venu à l'idée de désobéir » l.59

- Il récuse des points précis : n'a pas provoqué les ordres ; n'a pas aimé sa tâche, n'a pensé désobéir aux ordres.

- Il atténue la réalité : substitue le terme « enfants » à celui de « bébés » l. 55

B. Il n'a aucune intériorité


Il est incapable de réfléchir

- A la question « ce que vous en pensiez », il doit « réfléchi[r] un moment » l.27

A la question « comment conciliez-vous... », il « réfléchi[t] un instant » l.75

Sur la question de sa « nature », il « hésitai[t] un peu » l.79

Après le verdict, il « essayai[t] de réfléchir »

=> C'est donc après des questions très ouvertes qu'il hésite, qu'il ne réussit pas à apporter une réponse spontanée.

En fait, il remplace son propre vide intellectuel par les ordres : les ordres pensent à sa place : « il ne m'est jamais venu à l'idée de désobéir aux ordres » l.59.

Phrase de la philosophe juive Hannah Arendt : « C'est sur le vide de la pensée que s'inscrit le mal »

Il reste indifférent durant tout le procès :

- Aucun verbe de jugement venant de lui, seulement des verbes d'action, des verbes descriptifs : « dit, fit une pause, laissa retomber ses bras, fit un signe de la main, enlevai, posai, etc. ».

- A la sentence, sa seule réaction : « celle que j'attendais », aucune émotion manifestée.

- La seule personne à prendre en charge une certaine émotion : le garde qui lui « toucha légèrement l'épaule » l.103 // Maria qui manifeste de l'empathie à Rudolf dans l'incipit du roman (elle lui « tapota l'épaule ») = empathie dont Rudolf lui-même est incapable.

- Il rapporte objectivement l'énoncé de la sentence, en précisant : comment (« pendu »), où (« dans mon propre camp d'Auschwitz »), à l'aide de quoi (« sur un des gibets ») => n'énonce toujours que des faits, des réalités observables.

- Deux phrases particulièrement marquantes : « je ne ressentais rien » l.113 et « ma propre mort ne me concernait pas » l.114 => il est comme extérieur à lui-même ; un personnage sans aucun ressenti.

- Très étonnant : C'est Rudolf qui rapporte ce que le Procureur traduit de son  propre « changement d'expression faciale » l.87 => Rudolf lui-même ne peut pas savoir, il ne se regarde pas lui-même, au sens propre comme au sens figuré : aucune « introspection » : il ne voit pas ses propres expressions faciales, pas plus qu'il ne voit ses sentiments.

- Il tend à se considérer comme une « chose » : lorsque le Procureur lui demande de confirmer sa nature double, Rudolf répond qu'on peut considérer « la chose » comme ça l.80. Certes, expression populaire, mais signifiante ici : « la chose », c'est lui-même, il est un objet sans aucune intériorité.

- Il a des sensations presque animales : « froid » l.110 + marchait « de long en large » dans sa cellule : comme un animal en cage.

C. On finit par penser qu'il est fou

Il a une double personnalité

- // Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson ou encore la double personnalité propre aux schizophrènes.

- C'est la conclusion posé par le Procureur suite au questionnement :« nature […] double ? » l.78

Rudolf l'admet lui-même : « oui »

- Cette double nature est traduite par un parallélisme l.76-77 : au camp je me comportais en soldat // chez moi je me comportais autrement + « aucun rapport » entre ces 2 mondes selon Rudolf => 2 mondes hermétiques l'un à l'autre.

- Double nature au sein même du travail, avec double construction « tantôt... tantôt » l.88 : 1) petit fonctionnaire scrupuleux (= qui se comporte très conformément à la règle, au devoir); presque mélioratif    2) « brute » (très péjoratif)

- Ce que Rudolf nomme « nature double », le Procureur le transforme en « duplicité » => pour Rudolf, c'est un fait neutre, objectif, une constatation brute ; le Procureur, lui, porte un jugement moral (duplicité = « caractère d'un personne qui feint, qui a deux attitudes, qui joue deux rôles = fausseté, hypocrisie » selon le Petit Robert).

Il fonctionne comme un robot, sans aucun sentiment

-Il réfute les arguments du Procureur, il veut montrer qu'il n'était pas brutal, contrairement à ce que prétend démontrer le Procureur. Il ne comprend pas ce qu'on lui reproche

-Il semble très logique : utilisation de connecteurs ("mais", "donc", "bien au contraire", "d'ailleurs") mais cette logique n'est qu'apparente, elle est un syllogisme : 1) ordres = gazer les inaptes -2) or enfants = inaptes -3) donc enfants gazés (l.50)

+ ajoute un autre argument absurde par une question rhétorique : d'après lui, les bébés n'ont rien à faire dans un KL (comme s'ils étaient plus faits pour être gazés !!!).

Il semble suicidaire

- Question de son profil suicidaire : « Elle était celle que j'attendais » = la sentence = la mort (périphrase et personnification) : on se rappelle qu'il a déjà voulu se suicider lorsqu'il n'avait plus de but dans la vie, après son départ de l'armée ; on peut imaginer que la même chose se reproduit ici.

- Quelques symboles de mort : le froid alors qu'il y a de la lumière l. 110 , « la porte de ma cellule se refermait sur moi » l. 111, « une longue suite de couloirs que je n'avais jamais suivis jusque là » l.107








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire