Quel programme d'études humanistes ces trois extraits proposent-ils ?
Le
traité d'Erasme, De
l'éducation des enfants,
la lettre de Gargantua à son fils Pantagruel dans le roman éponyme,
et le chapitre « De l'éducation des enfants », tiré des
Essais
de Montaigne, proposent tous un programme d'études humanistes.
Selon
les auteurs, le contenu des apprentissages acquière des valeur
différentes. Erasme et Montaigne insistent moins lourdement que
Rabelais sur les disciplines enseignées : Erasme évoque
principalement la « pratique des langues », que l'on peut
supposer être les langues anciennes, et la « connaissance de
la langue » française, c'est-à-dire la « richesse de
l'expression ». Il donne des exemples de textes à faire
étudier : les fables, poème bucolique et comédies. Montaigne,
lui, n'entre pas dans le détail des disciplines, preuve qu'elles
comptent bien peu dans l'enseignement idéal selon lui. S'il évoque
« la science », c'est uniquement pour affirmer qu'elle a
moins de valeur que l'intelligence. Tout au contraire, Rabelais, à
travers Gargantua, accorde une importance primordiale au contenu
disciplinaire : il égraine une longue liste de matières à
connaître « par coeur », matières qui embrassent des
domaines aussi vastes que l'art, les mathématiques et les sciences
appliquées, ou encore les lettres et le droit ; mais ce qui
l'emporte par-dessous tout, c'est la connaissance des « Saintes
Ecritures ». Ainsi, Pantagruel deviendra un « abîme de
sciences ». Des trois auteurs, c'est bien Rabelais qui souhaite
inculquer le plus de connaissances possibles à l'élève.
Notons
cependant que tous trois sont d'accord pour ériger les Antiques
comme des modèles d'instruction : Erasme prône la lecture
d'Esope ou celle d'Homère, Gargantua souhaite que son pupille imite
Platon ou Cicéron, et Montaigne prend Socrate et Platon en exemple.
Le retour aux sources antiques est un des points de convergence des
Humanistes.
Systématiquement,
cette référence antique a pour objet l'enseignement de la morale -
ou de la philosophie, ce qui revient au même chez ces auteurs, comme
le souligne Erasme dans sa formule « philosophie morale ».
Car cet enseignement est, de tous, le plus important aux yeux des
Humanistes. Rabelais et Montaigne se rejoignent dans les sentences
bien connues : « science sans conscience n'est que ruine
de l'âme » et « plutôt la tête bien faite que bien
pleine ». Ils soulignent par là l'inutilité de
l'apprentissage pur, si celui-ci n'est pas au service de Dieu ou de
l'intelligence. Erasme n'est pas en reste dans cette conception de
l'éducation, puisque pour lui, la « formation du jugement »
tient une part aussi importante que la connaissance de la langue. Il
répète le terme « philosophie » à quatre reprises,
preuve de la valeur qu'il accorde à la réflexion. C'est cependant
chez Rabelais que la morale et la religion prennent le plus
d'importance : tout apprentissage et toute philosophie n'ont de
sens qu'en Dieu, selon lui. La réflexion et l'intelligence sont bien
exigées dans ces trois systèmes, mais leur coloration religieuse
n'est pas partout la même vivacité.
C'est
la méthode d'éducation qui différencie notablement ces théories :
alors que Rabelais insiste sur la mémorisation, la répétition,
l'imitation, Montaigne privilégie nettement l'apprentissage par la
curiosité de l'élève : c'est lui qui «goût[e] les choses »
et les « choisi[t], grâce à un précepteur à son écoute,
qui sache le « mettre sur la piste » ; il ne s'agit
plus, comme chez Rabelais, d'apprendre « par coeur »,
mais de comprendre les leçons, de « dire leur sens », et
même plus, de les éprouver de mille manières ou « en cent
formes », dans la vie. Erasme se situe à mi-chemin de ces deux
conceptions opposées de l'apprentissage : pour lui, les textes
de réflexion proposés aux enfants doivent être « séduisants »,
passer par le « rire et la fantaisie ». L'élève est à
la fois passif, au sens où les textes lui sont fournis, et actifs,
puisqu'il en retire des enseignements moraux et « mille faits
instructifs » qu'il intègre dans le plaisir et la joie. A la
liberté de l'enfant chez Montaigne répond l'exigence de savoir chez
Rabelais, entre lesquels s'intercale le plaisir d'apprendre des
préceptes chez Erasme.
Ainsi,
si ces trois auteurs se rejoignent sur un apprentissage varié et
ouvert sur le monde, avec notamment l'introduction, nouvelle à la
Renaissance, de la réflexion personnelle de l'élèves, ils
divergent quant à la méthode d'enseignement : ludique chez
Erasme, basée sur le par cœur chez Rabelais, elle fait la part
belle à la curiosité et la personnalité de l'enfant chez
Montaigne.
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