Question
sur le corpus : « Dans quelle mesure le regard que les
personnages portent sur le monde révèle-t-il leur état d'âme ? »
Dans
les extraits des romans de La
Chartreuse de Parme
de Stendhal, Madame
Bovary de Flaubert,
L'Assommoir
d'Emile Zola et A
l'ombre des jeunes filles en fleurs
de Marcel Proust, les personnages portent sur le monde un regard
révélateur de leur état d'âme.
Tout
d'abord, chacun des personnages regarde à travers une fenêtre, et
c'est grâce à une focalisation interne que l'on accède à leurs
pensées. Seul le narrateur de La Recherche1
est interne, ce qui nous place d'emblée dans la peau du personnage.
Le
regard est émerveillé et traduit une sensibilité esthétique dans
les extraits de Stendhal et de Proust, montrant par là des esprits
heureux et enthousiastes. En effet, Fabrice del Dongo, épris de
Clélia Conti, voit le monde à travers le prisme de cet état
amoureux : tout lui paraît «joli» ; le palais, les cages
à oiseaux, la lune et l'horizon sont décrits par un vaste champ
lexical de la beauté, faisant oublier au personnage qu'il se trouve
en prison. Les couleurs du crépuscule lui font penser à la femme
aimée : « elle doit jouir de cette vue », rendant
plus cher encore ce « spectacle sublime ». Exactement de
la même manière, le narrateur de La Recherche admire un
levé de soleil, et transforme ce spectacle banal en un « tableau
continu » : pris dans sa quête d'émotion esthétique et
dans sa recherche d'un sens au monde, il court « d'une fenêtre
à l'autre » pour fixer les couleurs qui lui paraissent « en
rapport avec l'existence profonde de la nature ». Ainsi, des
personnages amoureux ou curieux de la vie semblent-ils émerveillés
par ce qui les entoure.
A
l'inverse, les deux personnages féminins du corpus appréhendent le
monde de manière plus négative. C'est une Emma mélancolique qui
regarde le soir tomber devant sa fenêtre : les « sinuosités
vagabondes » et les contours estompés des peupliers dans des
teintes incertaines traduisent sa morosité. Les « barreaux »
de la tonnelle laissent supposer son impression d'enfermement. Et
c'est pour échapper à ce sentiment oppressant qu'elle se coupe du
monde ; entraînée par la « lamentation » de la
cloche, elle « s'égar[e] dans ses vieux souvenirs » de
jeunesse pieuse, allant jusqu'à revivre l'« attendrissement »
mystique de ses années de couvent. Au contraire, Gervaise se laisse
happer par son environnement hostile, à tel point qu'elle prend
parfois le « risque de tomber » : terrifiée à
l'idée que son amant ne rentre pas, elle semble projeter sa peur
dans toute sa vision du quartier. Le champ lexical de la mort occupe
une grande partie de l'extrait, du suggestif « rouge lie de
vin », au « flot ininterrompu d'hommes » évoquant
une hémorragie, en passant par les terribles « cris
d'assassinés » ou la vision du « corps de Lantier, le
ventre troué de coups de couteau ». Son regard n'a plus rien
d'objectif, il est teinté par la douleur. Gervaise et Emma vivent
donc toutes deux dans des univers pesants, mais alors que la première
s'y noie, la seconde tente de s'en échapper.
C'est
donc la vision que les personnages portent sur le monde qui traduit
leur état d'esprit : un beau paysage coloré manifeste la joie
et l'exaltation ; un lieu clos ou menaçant suggère plutôt le
désarroi.
1 :
A l'ombre des jeunes
filles en fleurs
constitue le deuxième tome d'une œuvre intitulée A
la Recherche du temps perdu,
plus brièvement appelé La
Recherche.
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