mardi 4 juin 2019

L.A Rhinocéros, monologue de Bérenger


L.A n°6 : Ionesco, Rhinocéros, monologue final de Bérenger

Comment Ionesco montre-t-il la difficulté de résister à la masse ?
Remarque sur le choix du rhinocéros : animal brutal, non civilisé, borné (pourrait faire référence au casque à pointe des Allemands + leur uniforme vert)

I. La difficulté d’être seul contre tous

A. De la peur de l’autre à l’angoisse de la solitude
- angoisse de la contamination (rhinocérite) : fermeture des portes et fenêtres dans les didascalies l.1 et 2
- 4 négations l.1 à 5 qui marquent le refus de Bérenger de devenir rhinocéros.
- Surtout, la négation « je ne veux pas les entendre » l.5 + geste qui accompagne la parole : « Il se met du coton dans les oreilles » l.6 = refus de la communication
- répétition de l’adjectif « seul » : « je suis tout à fait seul maintenant » l.1 + « je suis le seul à le parler » l.11
- jeu sur les pronoms « moi » / « eux », « je » / « ils » = il est seul contre tous.
- Les rhinocéros sont d’abord évoqués par le pronom « on »l.1 puis « vous » l.2 puis « ils » à partir de la l. 5 : Bérenger se distancie de plus en plus des rhinocéros, prenant conscience de sa radicale différence, donc de sa radicale solitude
- multiples répétitions qui montrent ses hésitations et sa peur (« un être humain » l.3 et 4, « les convaincre » l.7, « sont-elles réversibles » l.7 et 8, etc.)
- Gestuelle de plus en plus violente : « soigneusement » l.1 et 2, puis « Il se précipite » l.15 et 17 puis « les jette par terre avec fureur » l.22 = panique qui s’amplifie

- Mais à partir de la ligne 6, changement d’avis, Bérenger se montre prêt à discuter : lexique du dialogue : « les convaincre » l.7, « leur parler » l.9, « leur langue » l.9
- mais se pose alors le problème de la langue : Alternative « il faut que j’apprenne leur langue. Ou qu’ils apprennent la mienne ? » l.9 = Bérenger devient l’étranger dans son propre pays.
- Finalement, c’est lui qui tentera de parler leur langue par onomatopées (l.30 à 32).

B. Les doutes sur son identité / Bérenger sombre vers la folie
- multiples interrogations qui traduisent ses doutes.
- Doute sur la langue parlée : les deux questions « quelle langue est-ce que je parle ? »  l. 10 et « Qu’est-ce que du Français ? » l.11 = perd peu à peu son identité d’homme, son humanité.
- passage d’une affirmation « je ne vous comprends pas » l.3, à une question existentielle « est-ce que je me comprends ? » l.12 = Bérenger doute de plus en plus de lui, à tel point qu’il ne semble plus savoir qui il est.
- le verbe réfléchi (« se parle ») et le pronom tonique (« lui-même ») dans la didascalie « se parle à lui-même dans la glace » l.6 = comme s’il avait besoin de se voir et de s’entendre pour se sentir être un individu ; comme si son reflet et sa voix le rassuraient.
- Ne sait littéralement pas où se mettre : change de place à chaque changement d’avis (« Il va s’asseoir », « Il va vers le milieu de la chambre »), il s’éparpille.
- Jeu avec les tableaux : Bérenger ne distingue plus entre les têtes d’hommes (le pluriel « tous ces gens-là » l.16 désigne à la fois Botard, Dudard, Jean, ou Bérenger lui-même), comme si tous les hommes finissaient par se confondre.
- La question « à quoi je ressemble ? » l.15 : Bérenger ne sait plus qui il est, il se dilue dans les autres (Botard, Dudard, etc.), puis tente de se convaincre qu’il reste un individu : répétition à 4 reprise du pronom tonique « moi » l.18 et 19.
- rôle de la glace : élément d’introspection ; quête d’identité. Bérenger ne cesse de tourner autour, de se regarder dedans, mais plus il se regarde, plus il a honte de lui (voir didascalies l.13 puis 14, 22, etc.), et c’est en tournant le dos à cette glace (« Il tourne le dos à la glace » l.36) qu’il finit par se révolter = il ne faut pas se comparer aux autres pour s’apprécier ou évaluer ses propres valeurs ; des valeurs sont bonnes ou mauvaises indépendamment de ce que font ou pensent les autres ; une valeur ne peut pas être comparée à une autre.

C. Le changement de normes / le renversement des valeurs
- Omniprésence des rhinocéros : dans les didascalies, on les entend (« barrissements » l.5 et 29), on les voit («  têtes de rhinocéros » l.2-3 et 38), peut-être même qu’on sent les vibrations (« courses éperdues » l.5) ; et ils sont présents partout dans le monologue, sous forme de pronoms personnels.

Bérenger se pose le problème de la notion de « beau » et de « laid », mais à travers ces valeurs, ce sont celles de « bien » et « mal » qu’il interroge :

- Gradation : « Un homme n’est pas laid » l.14 (répété deux fois comme pour marquer le doute) puis « Je ne suis pas beau » l.22 puis « Que c’est laid un front plat » l.24 et enfin « Comme je suis laid » l.36 = Bérenger est graduellement gagné par les normes des rhinocéros
- Une hypothèse en « si », avec du présent (« si c’est eux qui ont raison ? » l.13) = transforme la question en quasi question rhétorique, presque en affirmation. Bérenger commence sérieusement à douter.
- Vocabulaire mélioratif pour parler des rhinocéros : « beaux » l.23, « magnifique » l.28, « charme »l.29 = ils deviennent très attirants
- C.L des éléments constitutifs du rhino : la corne, la peau, la couleur, et même le « chant » qui remplace le « barrissement » du début = renversement des valeurs, le laid devient beau.
- l’oxymore « nudité décente » l.28 = leur aspect bestial devient la norme, ne choque plus, devient même attirant.
- laideur de l’humanité par rapport aux rhinocéros : antithèse « laideur » / « très belles » dans la didascalie l. 20-21 = problème de notre jugement qui s’habitue à la norme / à la mode, pour finir par l’accepter totalement.
- L’affirmation paradoxale « Je suis un monstre » l.34, montre bien ce changement de norme : le normal, c’est le rhinocéros ; le monstre (ou l’anormal), c’est l’homme.

Le rhinocéros est vu comme un héros auquel il faut ressembler : il est beau, fort, viril.

II. De la tentation du renoncement à la résistance

A. La honte de soi et la culpabilité / le refus de l’humanité
- Didascalie l. 22 : Bérenger jette les tableaux qui représentent des hommes, donc symboliquement, il jette l’humanité, il la refuse.
- Répétition désespérée de « je ne suis pas beau » l.21-22
- Signes de désespoir : interjections « oh ! » l.23, « hélas ! » répété 3x l.23, 33 et 34, « ah » l.27
- C.L de la culpabilité : « j’ai eu tort » l.23, « honte » l.25, « mauvaise conscience » l.33, « trop honte » l.35-36
- Description très négative de lui-même : négation « pas de corne »l.23, et surtout accumulation d’adjectifs péjoratifs liés aux parties de son corps : son « front plat » est « laid » l.24, « traits tombants » l.23, « mains (…) moites » l.26, « peau flasque » l.27, « corps trop blanc et poilu »l.27
- même lorsqu’il tente de barrir, c’est « faible » et ça « manque de vigueur » l.31-32 = mollesse de l’homme par rapport aux rhinocéros.

B. La tentative de transformation / le choix de la rhinocérite
- Tournures exclamatives : « Comme… ! », « Que… ! »
- Expression du souhait : « je voudrais » répété 3x,
- Comparaisons : « être comme eux » l.23, « comme la leur » l.29 », « comme eux » l.30
- Didascalie l.26 : Bérenger enlève son veston et sa chemise, il enlève ses vêtements, qui symbolisent l’humanité, pour se mettre nu, comme les rhinocéros.
- C.L de l’imitation : « imiter » l.30, « faire comme eux » l.30, « changer » l.35
- Polyptote « il essaye » l.30 et « essayons » l.31 : persiste dans son choix.
- Succession d’onomatopées l.30 à 32
- Constat de son échec : multiples négations : « Non » x3 l.30 et 31, « je n’arrive pas » l.32, « jamais je ne deviendrai » l.34 , « je ne peux plus » l.34-35
- Irréel du passé « j’aurais dû » l.33 + « trop tard » l.33 = changement impossible.
- Constat tragique en forme de maxime : « Malheur à celui qui veut conserver son originalité » l.36 = Bérenger comprend définitivement qu’il ne pourra jamais se transformer.

C. Choix de l’humanité et de la lutte
- didascalie « brusque sursaut » l.37 + le verbe « criant » l.38 = marques de sa colère
- les prépositions « face à » (dans « se retourne face au mur » l.38) et « contre » (dans « contre tout le monde » l.37 et 38) : affronte ses adversaires
- verbe « défendrai » + répétition de « ma carabine » = passage à l’action, alors que jusqu’à maintenant, Bérenger était dans l’émotion.
- C.L du combat : « défendrai » l.37, « carabine » l.37, « ne capitule pas » l.39 ; comme si pour Ionesco, être humaniste était un acte héroïque (ce qui était le cas pendant la 2nde GM).
- emploi du futur « je me défendrai » l.37 et répété l.39, « je le resterai » = volonté forte, décision
- choix définitif de l’humanité : constat au présent puis engagement au futur « je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout » l.39
- Invitation à ne pas se laisser influencer, à conserver ses valeurs : « Je ne capitule pas ! » qui termine le monologue et la pièce.
- « Eh bien tant pis ! » l.37 : étonnant. Bérenger semble ne pas choisir l’humanité, mais la subir, ou la choisir par dépit, et non pas par idéologie. Il n’a aucun argument rationnel.
Explication possible : l’humanité ne se démontre pas, elle est instinctive, intuitive : dès le début, Bérenger l’affirmait : « Je suis un être humain » l.3, et il le réaffirme dans « je suis le dernier homme » l.39. D’ailleurs, l.36, c’est bien le verbe « vouloir » qui est utilisé dans la formule «Malheur à celui qui veut conserver son originalité », comme si c’était un choix de Bérenger de rester un homme.


jeudi 23 mai 2019

LA Huxley, Le Meilleur des mondes


L.A n°4 : Huxley, Le Meilleur des mondes

I. Un dialogue impossible entre deux personnages opposés
A. Lenina : l'incarnation de la réussite du système
  • Elle incarne les valeurs du système :
    • elle se rend dans des lieux décents, où il y a foule (et refuse la solitude amoureuse, qu'elle qualifie de « affreux endroit »)
    • elle clame sa liberté : « je le suis, libre » l. 19
    • elle incarne également une certaine « morale sexuelle » puisque ce monde exige et conditionne même à la liberté de mœurs : « d'un air qu'elle entendait charger de cajolerie aguichante et voluptueuse » l. 43-44. (cf chap. 3, Fanny reproche à Lenina de rester trop longtemps avec le même homme : « c'est si affreusement mal porté de se conduire comme ça avec un seul homme [...] Non vraiment, ça ne se fait pas).
  • les raisons de cette réussite :
    • elle connaît par cœur des dizaines de slogans de conditionnement ;
    • elle mange des sundae au soma ;
    • elle refuse de penser, semble même entretenir cette absence de réflexion : « déterminée à conserver intacte son incompréhension »
  • conséquences : Lenina paraît heureuse :
    • elle a de nombreuses amies (hyperbole l. 2),
    • elle reprend à son compte le slogan hypnopédique « tout le monde est heureux à présent ! » l. 20
    • elle se paye « du bon temps » l. 20
    • elle incite Bernard à être heureux car le bonheur est offert : « pourquoi ne prenez-vous pas de soma quand il vous vient vos idées épouvantables » l.39-40.

B. Bernard : l'exclu qui s'exclut lui-même
(le conditionnement n'a pas une totale emprise sur lui, puisqu'une rumeur évoque un accident pendant qu'il était encore en éprouve : de l'alcool aurait été versé par mégarde dans son sang. C'est pourquoi son physique ne correspond pas à sa caste, et il se pose beaucoup trop de questions existentielles).
  • Il refuse les plaisirs et les valeurs de cette société : « il refusa » x 2 l. 1 et 3, il « repoussa » l.8.
  • Il cherche à s'isoler : refuse de parler aux amies, il s'isole dans le propulseur au-dessus de la mer, il aurait préféré se promener au bord d'un lac (cf. chapeau)
  • Il éprouve des sentiments négatifs : impatiemment l. 8 ; « état d'esprit misérable » l. 3, voire des sentiments violents : colère (« cria-t-il » l. 12).
  • Il affiche une certaine indépendance d'esprit : il veut ne ressembler qu'à lui : « être moi-même […] et non un autre » l. 5 ; « désir d'être libre » l.16 répété l.21 « d'une manière qui vous soit propre […] pas à la manière de tous les autres » l.22. Il semble effrayé à l'idée de ressembler aux autres, de se dissoudre dans une pensée commune (voir la fin du chap. 5 : il ne réussit pas à « réaliser la communion de pensée » lors de l'Office de la Solidarité)
  • Mais en réalité, cette recherche d'authenticité frise l'obstination, le refus de changer : il « demeura obstinément renfrogné » + il refuse « absolument » = description subtilement péjorative : Bernard ne cherche pas à changer les choses, il dit « non » à tout, mais sans proposer d'autre modèle. Il ne réussit pas à sortir du carcan de cette société [voir le lion de Nietzsche, nihilisme qui vient après le chameau (= acceptation des valeurs de la société) mais avant l'enfant (indépendance éclairée de l'esprit)].

C. Un dialogue impossible
  • Au début du texte, Bernard ne prend la parole que pour refuser d'être gai et expliquer son refus.
  • Lenina semble toujours disposée à répondre et à être dans le dialogue, même si elle le fait de manière neutre : le seul verbe de parole utilisé pour elle est « dire », contrairement à Bernard qui crie ou qui rit.
  • En réalité, elle ne sert que des réponses automatiques, des slogans qui ont remplacé sa pensée (marqués par entre guillemets).
  • Bernard finit alors par rompre violemment cette parodie de dialogue avec Lenina : « taisez-vous ! » l.12
  • Il reprend la conversation lorsqu'il se sent dans son élément, c'est-à-dire dans le tête-à-tête du propulseur ; chaque prise de parole s'organise autour d'une phrase interrogative, ayant pour objet des thèmes existentiels : la liberté (« vous n'avez pas le désir d'être libre, Lenina ? » l. 16 + « libre d'une autre manière » l.21) ; le bien-être dû au tête-à-tête amoureux l.27, la compréhension et l'empathie l.28.
  • Il coupe court aux réponses automatiques de Lenina en l'enjoignant de penser par elle-même  l.21 : « oui... mais n'éprouvez-vous pas … ? ».
  • C'est Lenina, cette fois, qui se montre peu disposée à répondre : elle répète deux fois « je ne sais pas ce que vous voulez dire » (l. 17 et 23), et une fois « je ne comprends rien » l.29 et « ce que je comprends encore le moins ... » l.30. Lorsqu'on lui enlève la possibilité d'utiliser les slogans hypnopédiques, elle se montre incapable de parler. Le dialogue est donc impossible.
  • L'ironie est le seul moyen d’expression de Bernard :
    • Bernard n'est pas capable d'exprimer ce qu'il ressent confusément. En revanche, il peut nier ce qu'il voit, ce qu'il vit, ce que les autres pensent (il est dans une négation quasi systématique) : c'est une première phase de « libération » de l'esprit ;
    • La deuxième phase, c'est la pratique de l'ironie, qui prend ses distances avec la réalité : « Il se mit à rire. - Oui, tout le monde est heureux à présent ! » l.20. Comble de la subversion (ou de la prise de conscience, c'est la même chose ici), cette ironie permet à Bernard de remettre en cause non seulement la véracité du slogan (lui-même n'est pas heureux), mais aussi les fondements de la pensée de Lenina.
    • L'ironie des l. 8-9 (« une perle brillante de sagesse enseignée pendant le sommeil ») peut également être lue comme du discours indirect libre (= voix de Bernard, mêlée à celle du narrateur) : c'est d'ailleurs ces « perle[s] brillante[s] de sagesse » qui mettent Bernard hors de lui à la ligne suivante.
  • Cependant, devant l'échec de ses insinuations et de l'expression de sa pensée, Bernard finit par laisser la parole à Lenina... (et par prendre du soma juste après notre extrait).

II. Une interrogation sur le bonheur et la liberté / Dénoncer l’absence de liberté de penser / ...

A. Un langage vidé de son sens
a) les phrases de propagandes...
  • Les phrases toutes faites apprises pendant le sommeil ressemblent à des maximes (proverbes pleins de sagesse) au présent de vérité générale + pronoms généralisants (« vous », « on », « tout le monde »)
  • Tout est fait pour qu'on s'en souvienne (technique de propagande) : énoncés structurés en deux « hémistiches » de même longueur (« un gramme à temps vous rend content » = 4/4 par exemple) ; rimes (« gramme / clame ») ; jeux de mots (« un centicube/ dix sentiments »).
b) … vident les mots de leur sens
  • Les mots sont vidés de leur sens : le bonheur est confondu avec le plaisir, comme le rappelle Lenina l.17 : « me payer du bon temps » équivaut à être heureux pour elle. D'ailleurs, les slogans insistent sur la gaieté, les sentiments, le contentement, le bonheur, comme si tous ces termes étaient interchangeables.
  • La liberté même ne signifie plus rien : Lenina évalue sa liberté en termes de loisirs l.17 (« Je le suis, libre. Libre de me payer du bon temps ») ; Bernard ne parvient pas à expliquer ce qu'il entend par ce mot : « être libre de quelque autre manière » l. 21
  • En fait, les individus ne disposent pas de mots qui leur permettent de penser librement. Les termes des dialogues sont simples : le vocabulaire simple (et même simplifié) dont ils disposent réduit leur capacité de réflexion (voir le texte d’Orwell).

B. La victoire du matérialisme sur la spiritualité : l'horreur du vide
  • « Pour l'amour de Ford » l.12 : Ford remplace Dieu dans cette société qui a perdu la notion de transcendance, de mystère, de foi, de sacré : la science fait office de religion, la connaissance a remplacé la croyance.
  • Tout est fait pour pour que les hommes s'occupent = « panem et circenses »:
    • jeux sportifs : quart de finale du championnat féminin de lutte (humour ? absurdité de ce sport ?) ;
    • nourriture sucrée : glaces, sundae à la framboise (en psychanalyse, l'aliment sucré = enfance) ; On se remplit symboliquement.
    • sexualité l.35
  • Lenina (donc la société conditionnée) a horreur du vide :
    • son tête-à-tête romantique avec Bernard est pour elle un « affreux endroit » l.26
    • elle a entraîné Bernard dans un lieu bruyant et bondé de monde (l.2)
    • elle se remplit de glace au soma (elle mange même celui que Bernard refuse) l.14
    • elle est paniquée lorsque Bernard la prive de son unique moyen de penser, les slogans : « oh, rentrons, Bernard, supplia-t-elle », juste après qu'il ait ironisé sur ses phrases hypnopédiques, l.23-24.
    • elle prône l'oubli par le soma, comme refuge ultime contre les idées noires : « vous les oublieriez totalement » l.32
C. Un message pessimiste : le bonheur incompatible avec la liberté de penser

a) L'obligation de bonheur
  • Les slogans clament le bonheur et l'absence de contrariété : « content » l.7, « sentiments » l.11, « mieux que le « zut » » l. 13, « heureux » l.18, comme si ces sentiments étaient socialement obligatoires.
  • Lenina pousse Bernard à entrer dans le moule en étant heureux : « elle le pressait d'avaler [un sundae au soma] » l.4 ; chacune de ses prises de parole incite Bernard à prendre le soma : « gramme » l. 7, « centicube » l.10, « gramme » de nouveau l.13. Elle revient à la charge dans sa dernière prise de parole : « soma » l.31.
  • Elle tente désespérément de faire bonne figure pour coller aux valeurs de la société, alors même qu'elle est inquiète : « et elle sourit, malgré toute l'inquiétude intriguée qu'on lisait dans ses yeux » l.33-34
b) Un bonheur artificiel ?
  • Lenina est un personnage étonnant : elle semble un pur produit du Meilleur des Mondes, et pourtant, elle est toujours sur le fil :
    • d'abord elle est sortie trop longtemps avec le même homme (Henry, 4 mois !) ;
    • ensuite, elle s'intéresse à Bernard alors qu'il est « bizarre » selon son amie Fanny ;
    • surtout, elle paraît ici sciemment refuser de penser pour sauvegarder son bonheur : elle affirme « avec décision » ne rien comprendre à ce que dit Bernard, et se montre « déterminée à conserver intacte son incompréhension » (l.29-30), comme si cette incompréhension était une question de volonté de sa part. Comme si elle comprenait confusément que son bonheur dépendait de son absence de lucidité.
  • Bernard souffre de sa solitude : Il est en décalage avec la société, en a conscience, et souhaite que Lenina le comprenne ; mais son mal-être est incommunicable. Il est donc enfermé dans une pensée qu'il ne sait pas nommer (parce qu'il n'a pas les mots), ce qui le rend malheureux. Cependant, il préfère ce malheur « lucide » à un bonheur factice : « je préfère être moi-même, dit-il, moi-même et désagréable » l.5.
  • Huxley ne semble pas vraiment prendre parti, si ce n'est dans l'ironie marquée à l'endroit de Lenina. Mais Bernard n'est pas un personnage particulièrement sympathique, il est donc difficile de s'identifier à lui. Finalement, ici le message implicite est plutôt pessimiste : le bonheur et la liberté s'excluent mutuellement ; Lenina est heureuse, mais son bonheur n'est pas enviable pour le lecteur ; Bernard est malheureux, et sa condition n'est pas plus enviable que celle de Lenina.

vendredi 10 mai 2019

Questions d'entretien possibles sur la séquence Incendies


Quelques questions possibles

Sur la tragédie et le théâtre en général
  • Qu’est-ce qu’une tragédie ?
  • Quelle différence faites-vous entre « tragédie » et « tragique » ?
  • Pourquoi peut-on dire des textes de Cocteau, Anouilh et Giraudoux que ce sont des tragédies modernes ?
  • En quoi Incendies est-il une tragédie ?
  • Que connaissez-vous de l’histoire du théâtre ?
  • Comment, quand et à quelle occasion le théâtre est-il né ?
  • Qu’appelle-t-on « drame bourgeois » ? « Drame romantique » ? Avez-vous un exemple de chacun de ces types de drames ?
  • Quelles sont les règles du théâtre classique ?
  • A quel siècle correspond l’âge d’or du théâtre en France ?
  • Comment le théâtre a-t-il évolué au XIXème siècle ? Quel événement marque ce changement ?
  • Que connaissez-vous de l’histoire de la mise en scène ?
  • Connaissez-vous un ou deux noms de metteurs en scène ?
  • Quelles sont les grandes tendances du théâtre au XXème siècle ? Donner des exemples de pièces.


Sur Incendies
  • N’y a-t-il que des éléments tragiques dans Incendies ?
  • Que connaissez-vous de la biographie de Mouawad ?
  • Comment la pièce Incendies est-il structurée, organisée ?
  • Sur combien de temps l’intrigue se déroule-t-elle ?
  • Qu’a de particulier la chronologie de la pièce ?
  • Comment les metteurs en scène résolvent-ils le problème du mélange des temporalités dans certaines scènes ?
  • Justifier le titre de la pièce.
  • Quels sont les titres intermédiaires de la pièce ? Justifier ces titres.
  • Quels mythes ont inspiré Mouawad pour cette pièce ?
  • Quel rapport y a-t-il entre le mythe d’Oedipe et Incendies ? Et entre Romulus et Remus et Incendies ?
  • Faites le portrait de Jeanne et Simon
  • Quel portrait peut-on faire de Nihad ?
  • Quel portrait peut-on faire de Nawal ?
  • Quel portrait peut-on faire du Notaire, Hermile Lebel ?
  • Connaissez-vous la signification de certains noms de cette pièce ? Pouvez-vous expliquer le choix de ces noms ?
  • Quelle est la symbolique du nez de clown ? De la veste de Nawal ? Du cahier rouge ?
  • La couleur rouge est très présente dans cette pièce : comment et pourquoi d’après vous ?
  • Que pouvez-vous dire des différentes mises en scène que vous avez vues de la pièce ?
  • Que pouvez-vous dire du film de Villeneuve ?
  • Quelles différences y a-t-il entre le film et la pièce de Mouawad ?


Réflexion
  • Avez-vous aimé cette pièce, pourquoi ?
  • Quel personnage avez-vous préféré ?
  • Quel est l’intérêt d’étudier une pièce pareille ?
  • Aimez-vous lire du théâtre ? Pourquoi ?
  • Dans quelle mesure la mise en scène renforce-t-elle les émotions du texte théâtral ?
  • Préférez-vous lire ou voir du théâtre ? Pourquoi ?
  • Pourquoi avoir lu Oedipe ou le Roi Boiteux / La Machine infernale / Oedipe-Roi dans cette séquence ? Raconter l’histoire.



LA La Boétie, "Du pain et des jeux"


L.A La Boétie: Les appâts de la servitude

I. Un pamphlet qui emporte l’adhésion du lecteur / Une stratégie argumentative efficace

A. Un texte fondé sur une grande culture
Tout le texte est organisé autour de faits historiques datant de l’Antiquité :
1er paragraphe : conquête de la Lydie par Cyrus le Grand, en 547 avt J-C. Cyrus est le fondateur de l’empire Perse, il a conquis de très nombreux pays pour élargir son empire, mais à chaque fois en épargnant les rois des pays conquis et en leur octroyant de nombreuses richesses.
2ème paragraphe : élargissement à « la plupart » des tyrans + « peuples anciens » l.20 et « anciens tyrans » l.22
3ème paragraphe : « les tyrans romains », notamment « Tibère et Néron » qui sont restés dans l’histoire comme des empereurs fous et sanguinaires, ce que La Boétie résume par « cruauté de ces empereurs magnifiques ».
x nombreux noms propres de personnages ou villes historiques : Cyrus, Crésus, Lydiens, Sardes puis Tibère et Néron l.34.
x Evocation de la conquête historique de la Lydie avec le C.L de l’usurpation : « se fut emparé de leur capitale » l.2, « « pris pour captif » l.2, « réduits à l’obéissance » l.4, « « assurer la possession » l.6, « obligeait les citoyens » l.7
x Lexique des objets ou de différentes réalités propres à l’Antiquité : les jeux (« gladiateurs », « bêtes curieuses », « théâtre »), la monnaie (« sesterces »), les mesures (« septier », « quart de blé »), l’armée (« décuries »)…
x Explication de l’étymologie du terme « ludi » (qui a donné « ludique ») par le comportement des Lydiens. Il s’agit d’une antonomase (un nom propre devient un nom commun). Lexique du jeux : « s’amusèrent » l.8, « toutes sortes de jeux » l.8-9, « passe-temps » l.10.
x référence à la « République de Platon » : La République est un ouvrage de philosophie politique, écrit par Platon et qui propose une République idéale, fondée sur le travail, l’éducation, la justice et la vertu des dirigeants.

LB est donc un érudit, il fait reposer sa démonstration sur une grande culture de l’Antiquité, apparentant son discours à un argument d’autorité. Ce faisant, il acquiert la confiance du lecteur.

B. Un discours polémique et véhément
x des jugements de valeurs de LB : « niaisement » l.24, « vain  plaisir » l.23, « c’était pitié » l.30
x des formules d’étonnement : « c’était chose merveilleuse » l.17 (attention, « merveilleux » signifie ici : qui provoque un vif étonnement) , « admirable » l.5
x des désignations méprisantes : « cette canaille » l. 27, « ces lourdeaux » .31,
x des expressions polysémiques : « ces misérable » l. 8 (1) qui vit dans la pauvreté ; 2) qui est immoral)
x des hyperboles : « se laisse aller plus qu’à toute autre chose » l27,
x de très nombreuses accumulations qui insistent sur la bêtise ou la faiblesse du peuple.
x de l’ironie : 
- « ces empereurs magnifiques » l.35 = sorte de discours indirect libre qui révèle la pensée des peuples bernés ;
- « en bénissant Tibère et Néron » l.34 : hyperbole ironique qui se moque de leur crédulité.
- L’exclamation « Vive le Roi ! » l.30, en décalage avec la réalité subie participe aussi de l’ironie (tragique) du discours.
x A la fin du texte, LB dévoile les conséquences concrètes et tragiques de cette servitude dans une accumulation ternaire (« abandonner ses biens…, ses enfants, son sang même… ») l.34-35 = registre tragique et pathétique.

C’est paradoxalement au peuple que LB s’en prend, comme si sa servitude et ses maux étaient de sa responsabilité.

C. Un discours qui réveille la lucidité du lecteur
x Prise à partie du lecteur l.14 : « Ne croyez pas » : LB cherche à détromper le lecteur, à lui ouvrir les yeux.
x Précision importante : cette servitude semble ne concerner que le « peuple ignorant » l.13, les « lourdeaux » l.31 : appel implicite à la culture, à l’instruction.
x appel à la lucidité avec l’adjectif« évidente » dès la 1ère ligne, et surtout le fait que LB dévoile l’envers des apparences, l. 18 à 24 notamment en montrant que le peuple se laisse berner par une apparence trompeuse : C.L de l’apparence : « images brillantes » l.25, « éblouissait » l.23, « trouvant beaux » l.23, mais aussi référence aux divertissements jouant sur l’illusion : « théâtre », « médailles », « tableaux ».
x Nombreuses expressions de causalité, mettant en évidence le lien logique entre l’attitude du peuple et son asservissement : « pour s’en assurer » l.5, « il se trouva si bien… que par la suite... » l.7, « si bien que » l.9, « ces peuples qui se laissent aller… pour la moindre douceur » l.17, « ils se laissent aller… pour peu qu’on les chatouille » l.18, « ainsi » l.22 et 28.
x l.12 à 18 : utilisation du présent qui actualise le danger de la servitude (il concerne non seulement les peuples anciens, mais aussi les contemporains de La Boétie ou des lecteurs modernes) :
- deux maximes : « tel est le pendant naturel du peuple ignorant » l.12-13 + « il est soupçonneux envers… et confiant envers... » l.13-14 = vérité générale, universalité de ces vérités.
- comparaison avec les oiseaux et poissons au présent : « tous ces peuples qui se laissent promptement allécher » l.16, comme si ce constat était toujours d’actualité.
- Reprise des mêmes termes et toujours au présent, dans la phrase suivante l.17-18 : « se laissent aller si promptement » → comme si LB insistait sur la danger réel et toujours présent de la servitude.

LB cherche à déciller le lecteur pour qu’il prenne conscience du rapport entre sa son attitude et celle des dirigeants et qu’il se questionne sur sa propre situation.

II. Pour dénoncer la responsabilité du peuple dans sa propre servitude

A. Faire le constat de la ruse des tyrans
x Gradation dans le jugement de LB à l’égard des tyrans :
- peu de jugement de valeur à propos de Cyrus, si ce n’est pour constater son intelligence : « ruse » l.1, « expédient admirable » l.5, son esprit esthète (« ne voulant pas saccager une aussi belle ville ») l.4 et gestionnaire (« ni être obligé d’y tenir une armée » l.5).
- les tyrans du 2ème paragraphe sont plus méprisés puisqu’ils agissent « en cachette » l.12 : C.L de la dissimulation : « en cachette » l.12, « trompe » l.14, « hameçon » l.16.
- Tibère et Néron sont, eux, franchement dénoncé par leur monstruosité en gradation : « avidité » l.34, « luxure » et « cruauté » l.35. Ils ressemblent à des vampires se nourrissant du « sang » (l.35) du peuple.
x LB insiste sur le fait que cette générosité apparente des tyrans n’est qu’une ruse : C.L très fourni (« « ruse », « expédient », « employaient », « outils », « moyens », « pratique » )
x La ruse des tyrans se subdivise en plusieurs méthodes :
- assouvir les bas instincts du peuple : accumulation « bordels, tavernes, jeux publics » l.6 = du sexe, de l’alcool, des jeux.
- « endormir leurs sujets » (l.22) en leur donnant de nombreuses occupations (des « divertissements », au sens pascalien) : nouvelle accumulation, plus longue, l.18-19 : « le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux » = rassemblés sous la désignation de « drogues », c’est-à-dire, au XVIème siècle, un remède, un produit pharmaceutique à connotation péjorative. Objectif : « abruti[r] » le peuple.
- être aimé du peuple en se montrant généreux : accumulation l.29-30 : « largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce » qui aboutit à la réaction « Vive la Roi ! » l.30 «  et « bénissant » l.33

B. Dénoncer la bêtise du peuple
x « abêtir » l.1 : littéralement, transformer en bêtes.
x de fait, de nombreuses images (métaphores et comparaison) du peuple animalisé : « oiseau » et « poissons » l.15, animaux réputés sans intelligence
x comme des animaux, ne pensent qu’à l’assouvissement de leurs instincts : manger et festoyer.
x comme les animaux, se laissent appâter : « ver », « pipée », « hameçon », « appâts »
x paradoxe qui souligne l’absence de lucidité du peuple : « soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe » l.13-14
x comparaison avec des « petits enfants » l.24, mais en défaveur du peuple « plus mal que les petits enfants » l. 24 ; terme « chatouille » assez enfantin = immaturité du peuple.
x C.L de la bêtise : « abêtir » l.1, « abrutis » l.23, « niaisement » l.24
x le peuple est inconséquent et ne vit que dans l’instant présent : antithèse entre « aujourd’hui » et « le lendemain » l.33-34 : aujourd’hui, le peuple « ramassait » des biens, alors le lendemain, il est « contraint d’abandonner ses biens », avec une gradation dans ce qu’il abandonne : d’abord ses biens, puis ses enfants, enfin son sang.

C. Dénoncer la passivité du peuple, donc sa complicité
x terme « efféminer » l.11 = en opposition avec des termes guerriers « révoltés » l.3, « tirer l’épée » l.8 (dans la représentation de La Boétie, la virilité consiste à faire la guerre).
x nombreuses formules insistant sur la passivité du peuple : « se laissent allécher » l.16, « se laissent aller » l.17-18, « se laisse aller » l.27
x même au pire de son asservissement, le peuple ne réagit pas : parallélisme des deux dernières propositions négatives : « ne disait mot, pas plus qu’une pierre, et ne se remuait pas plus qu’une souche » l.35-36. Deux comparaisons peu flatteuses : peuple réduit à l’état de « pierre » et de « souche » l. 36.
x tout ce qui est reproché au peuple : il se prélasse dans les plaisirs (C.L du plaisir : « friandise » l.15, « douceur » l.17, « plaisirs » l.23), notamment ceux de la gourmandise : très nombreuses références à la nourriture, qu’il s’agisse du « ver » qui sert d’appât aux poissons, du verbe « goûter » l.17, ou du C.L de la nourriture du dernier paragraphe (« gorgeant », « bouche », « écuelle de soupe », « blé », « vin », « festin »). Mais cette boulimie est surtout à comprendre comme une métaphore de l’avidité et de la cupidité du peuple, finalement identique à celle des tyrans.
x image saisissante de l’individu qui préfère son « écuelle de soupe » à sa « liberté ».
x polyptote « allécher » l.16, « allèchements » l.21 qui insiste sur la faiblesse du peuple soumis à ses plaisirs.
x C.L de la servitude qui parsème tout le texte : « réduits à l’obéissance » l.4, « servitude » l.17, répété l.20, « liberté ravie » l.20-21, « « tyrannie » l.21, « joug » l.22, « servir » l.24 - par opposition au C.L du plaisir = le plaisir conduit à la servitude.
x l’accumulation ternaire l.20 : « les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie » = forme d’insistance pour bien marquer les conséquences réelles de l’acceptation des plaisirs.
x Enchaînement logique des événements : « auparavant » l. 32, « aujourd’hui » l.33, « le lendemain » l.34 : c’est le peuple qui est l’instrument de sa propre ruine, dans un cercle vicieux qui va de l’usurpation de ses biens, à la redistribution d’une partie de ces biens, pour aboutir à la ruine totale des sujets.
x tragique échos entre le peuple qui « se gorgeait » l.33 et « l’avidité » des tyrans l. 34 : comme si l’un était la cause de l’autre, donc comme si le peuple était responsable de sa propre perte.
x parallélisme des lignes 20 et 21 : « [les] drogues de cette espèces étaient pour les peuples anciens » / « Ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans » → complicité entre le peuple et les tyrans.

L.A La Fontaine, Le Loup et le Chien


L.A  « Le Loup et le Chien », Fables, Livre I, 16

  1. Un récit vivant (« plaire »)


A. Un récit très rythmé
  • vers libres : octosyllabes décasyllabes, alexandrins, qui imitent l'état d'esprit du Loup (vers courts = son agitation ; alexandrins = sa prise position assurée) => rythme et vivacité.
  • rimes plates, embrassées et croisées = action qui rebondit, aucune monotonie
  • Enjambements qui intensifient la dramatisation : v.5 à 7 puis 8-9
  • Rythme qui accélère vers la fin : ponctuation très hachée des phrases v .33 à 37 : interrogations, point virgule, virgules ; contre-rejet du v. 34 (« Le collier dont je suis attaché / De ce que vous voyez est peut-être la cause »).
  • Discours indirect libre qui nous fait pénétrer dans les pensées sur Loup (focalisation interne) v. 5 à 9 : « L'attaquer, le mettre en quartiers [...] Mais le mâtin était de taille/ à se défendre hardiment »
  • Discours indirect v.10 à 12 : le Loup flatte le Chien
  • Passage au discours direct au v.13, sans même passage par un verbe de parole introducteur : celui-ci est renvoyé en fin de phrase, pour plus de vivacité : « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire / D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien ».
  • Stichomythies v. 33 à 37 = alternance très rapide de répliques, sans intervention du narrateur.

B. Un récit simple
  • structure narrative simple :
    • situation initiale à l'imparfait qui présente le Loup,
    • élément perturbateur au présent de narration (v.3) qui annonce le Chien
    • hésitations du Loup (attaquera-t-il?) et dialogue constituent les péripéties,
    • dénouement dans la dernière prise de parole du Loup ;
    • situation finale qui rejoint le présent d'énonciation (« et court encore »  v.41)
  • Récit au passé traditionnel (imparfait et présent de narration) v.1 à 4
  • Aucun cadre spatio-temporel : universalité du récit
  • Deux protagonistes seulement, et sans nom, seulement leur titre générique un « Chien », un « Loup ».
  • Vocabulaire simple pour le Classicisme (ne pas oublier que ce livre est dédié à une enfant, le Dauphin)
  • Nombreux verbes au passé simple qui font avancer rapidement l'action au début du récit, sans descriptions qui alourdiraient le récit.

C. Mélange de registres
  • des éléments pathétiques : le Loup efflanqué (v.1), la description pathétique des misérables qui vivent dans les bois (v.15 à 18) le cou pelé du Chien (v.32)
  • des détails réalistes : le travail du Chien (« donner la chasse au gens ») contre son « salaire » : « os de poulets, os de pigeons »
  • des image comiques : le loup qui « aborde humblement » le Chien, parce que ce dernier semble être de taille imposante (« donc ») ; le Loup qui « fait compliment » de l'embonpoint du Chien ; l’image du loup qui pleure de tendresse  (« Le loup déjà se forge une félicité / Qui le fait pleurer de tendresse. ») ; le Chien qui tente d'éluder les questions du Loup.
  • La moralité, inscrite dans les dernières paroles du Loup = registre didactique.
  • Registre épidictique (éloge et blâme) : idéalisation de la vie civilisée, noirceur de la vie dans les bois.



  1. Pour réfléchir sur la liberté (« instruire »)
A. Le Chien, allégorie de la réussite ?
  • Description physique : le Dogue est « gras » v. 4 répété v. 14, il a de l' « embonpoint » v. 12. ; l'accumulation de qualificatifs mélioratifs v. 3 et 4 crée un effet d'insistance sur la bonne santé du Chien.
  • Le Chien est associé au C.L de la nourriture abondante : « franche lippée » v.19, « force reliefs de toutes les façons » v. 27, « os de poulets, os de pigeons » v.28, « tous vos repas » v. 38
  • Il vit dans un « logis » v. 25, lieu de société, il est « poli » (polysémie : il brille, il est propre, mais également il est policé, civilisé, obéissant aux lois, aux normes).
  • Le Chien se donne en exemple à suivre : « aussi gras que moi » v. 14 puis « suivez-moi » v. 21.
  • Il joue de la persuasion en abordant d'abord la vie misérable du Loup, qu'il dépeint dans une accumulation tragique, aboutissant à la mort « mourir de faim » v. 18 ; il poursuit sur la difficulté de cette vie sans assurance du lendemain : « rien d'assuré » en rime interne avec « tout à la point de l'épée » .
  • Il conclut par un impératif enjoignant à l'action : « Suivez-moi » ; l'emploi du futur offre avec certitude une alternative à la destinée tragique du Loup : « vous aurez un bien meilleur destin » v. 21
  • Le Chien répond très exactement à la question du Loup sur les actions à réaliser : « donner la chasse », « flatter », « complaire », ce qu'il réduit à l'euphémisme « presque rien » (v.23).
  • Par contraste avec cet euphémisme, il joue de nouveau de la persuasion en évoquant la nourriture, dans des formules hyperboliques (« force reliefs », « toutes les façons », anaphore de « os »), et en introduisant un nouvel argument : « sans parler de mainte caresse » v. 29.
  • Il y a donc gradation dans les arguments : argument vital (ne pas mourir de faim) à un argument de plaisir (manger en quantité et diverses mets), pour aboutir à un argument de luxe (les caresses).
B. Le Loup, allégorie de l'honneur ?
  • Le Loup est associé à la misère et la privation : tournure restrictive « ne... que » v.1 (« n'avait que les os et la peau »), « misérables », « cancres, haires », « mourir de faim », « rien d' » et « point de » v. 19
  • Description physique : « Un Loup n'avait que les os et la peau » v. 1 en rupture avec la représentation traditionnelle du Loup, être maléfique.
  • Le lieu de vie est symbolique : le Loup vit dans « les bois » v. 15, lieu de l'absence de règles
  • Le Loup pense d'abord à « attaquer » et « mettre en quartier » son adversaire, preuves de sa sauvagerie.
  • Mais ce loup ne correspond pas du tout aux clichés : il est réfléchi, digne, maigre…
Il parle peu, comparativement au Chien, mais il réfléchit :
  • d'abord lorsqu'il avait rencontré le Chien, v. 3, il hésite à l'attaquer, puis mesurant sa taille, renonce et adopte une autre stratégie : la conversation : « Le Loup donc l'aborde » ;
  • ensuite lorsqu'il est alléché par la proposition du Chien, il cherche à en savoir plus : « que me faudra-t-il faire ? » ; il ne suit pas le Chien aveuglément, il attend de connaître la marche à suivre ; il pose encore une question au Chien, montrant qu'il ne se laisse pas berner par des paroles attrayantes, v. 33 : « Qu'est-ce là ? »
  • Il ne se laisse pas démonter par les réticences du Chien à lui répondre, il poursuit sa quête de vérité jusqu'à obtenir une réponse claire.
  • Il est alors capable, malgré l'avenir radieux qui s'offre à lui en suivant le Chien, de renoncer à ce projet en donnant un unique argument dans une question : « vous ne courez donc pas où vous voulez ? ».
  • Le loup fait preuve de superbe, il a de la dignité. A la fin de la fable c’est lui qui parle, s’exprime précisément, domine le chien par le pouvoir de la parole. Il a le dernier mot et sort vainqueur de la confrontation.

C. Une interrogation sur le bonheur et la liberté

  • Le Chien perd la main à la fin de la fable : ses paroles se réduisent au minimum : « rien », « peu de chose », il élude la question du Loup et finit par répondre dans un « peut-être » qui atténue la réalité du « collier ». Cette litote indique une certaine hypocrisie du Chien, ce que corroborent les verbes « flatter » et « complaire » du v. 25. Le collier est ainsi l'allégorie de la soumission à un puissant, à qui faut éviter de déplaire (antonyme de « complaire »).
  • Le Loup, qui veut courir où il veut, incarne alors la liberté de penser, l'indépendance d'esprit, il conserve son libre-arbitre, et ne court pas aveuglément vers ce qui brille : il ne troquerait même pas « un trésor » contre sa liberté.
  • Plus encore : non seulement le Loup refuse de se soumettre à un puissant mais il est également capable de reconnaître la supercherie dans les paroles alléchantes de son compère.
  • La Fontaine semble prendre le parti du Loup : il méprise le Chien qui manque de grandeur et de noblesse → il donne la chasse aux malheureux, v. 23-24, reçoit les appellations de « Dogue » , « Mâtin », « Chien » ; le Loup, au contraire, est appelé « Sire Loup » v. 6, puis « maître Loup » v. 41 ; il a le sens de l'honneur, méprise lui-même le Chien quand il lui jette l'expression : « tous vos repas » v. 38.
  • La moralité de la fable n'est pas exprimée, on parle de morale implicite. Elle se comprend dans le jugement moral porté sur le Chien et le Loup, et sur la phrase narrative qui termine la fable : « Cela dit, maître Loup s'enfuit et court encor » : la liberté l'emporte, elle est une valeur universelle (« encor »)
  • Lier ces deux personnages aux courtisans du XVIIè siècle : hypocrisie, flatterie, bassesse, contre argent et beaux logements… Le Chien incarne bien ce modèle peu reluisant.