L.A Orwell, le novlangue
I.
Une démonstration qui fait l’apologie du novlangue
A.
Un raisonnement rigoureux
-
Une thèse, énoncée dès le début : « c’est une
belle chose, la destruction des mots »
Thèse
reprise presque mot pour mot l. 21 « la beauté qu’il y a
dans la destruction des mots »
-
Une suite d’arguments :
1-
argument logique : l’efficacité (l.2-4) : on peut ne
conserver qu’un radical sur lequel on construit les contraires
(l.4) et les nuances quantitatives (l.7-8), grâce aux préfixes.
Exemple
très logique et efficace : « bon », « inbon »,
« plusbon », « double-plusbon »
2-
contre-argument (pourquoi la thèse adverse est mauvaise) :
ancilangue liée à l’« imprécision et nuances inutiles »
l.20 → par opposition, le novlangue (la destruction des mots)
entraînera une plus grande précision
3-
argument d’autorité : réputation de la novlangue (qui est
« la seule langue » à diminuer chaque année) l.22
4-
argument juridique : elle rend « impossible le crime par la
pensée » l.27
-
Une conclusion en forme de slogan : « La Révolution sera
complète quand le langage sera parfait » l.35
-
Des connecteurs logiques : « mais » l.2-l.11,
l.19, l.30, l.34 « parce que » l.7, « en résumé »
l.12, « même quand » l.17, « car » l.27
-
Une liste d’avantages liés à ce processus de destruction des mots
:
la
beauté (polyptote*
« belle », « beauté »),
la
simplicité (polyptote
« notion complète couverte par six mots seulement,
en réalité un seul
mot »)
la
moralité (rend
« impossible le crime par la pensée » l.27, « question
de discipline personnelle », « maîtrise de soi-même »
l. 34),
l’originalité
(« originalité » l.13, « la seule langue »
l.22)
la
précision (polyptote « exact » l.7, « exactement »
l.28, « parfait » l.35)
[*
rappel : un polyptote est une figure de style qui consiste à
employer des mots de la même famille, comme « exact »,
« inexact », « exactement » par exemple]
B.
Un discours fait pour persuader Winston
-
les nombreuses questions rhétoriques cherchent à créer une
complicité avec Winston
-
les apostrophes à Winston pour garder son attention : l.13 et
17
-
la longueur de sa prise de parole pour expliquer en détail
-
répétition de sa thèse l.1 et 21 pour que Winston l’intègre
bien
-
Syme est convaincu, enthousiaste : lexique mélioratif (« belle
chose » l.1, « mieux » l.6, « originalité »
l.13, « la beauté » l.21, « parfait » l.35)
-
Syme montre à Winston son aveuglement avec le C.L de la lucidité :
« voyez-vous » l.13, « vous ne saisissez pas »
l.20-21, « ne voyez-vous pas » l.26 → idée implicite :
c’est Syme le visionnaire.
-
adverbe « tristement » l.17 : le fait de s’attrister
de l’obstination de Winston montre qu’il est réellement
convaincu de cette thèse.
-
modalisateurs qui prouvent que Syme est convaincu par ce discours :
multiples « naturellement » (comme si tout cela allait de
soi) + « c’est certain » l.33.
C.
Un discours qui échoue à convaincre Winston
Toutes
les idées de Winston sont implicites, elles ne sont jamais
exprimées, mais on les décèle facilement :
-
expressions « froide » l.15 et « manque d’enthousiasme »
l.16 trahissent ses vraies pensées.
-
Il cache ces pensées : oxymore « ardeur froide » l.
15, et opposition « il sourit avec sympathie, du moins il
l’espérait » l.23 → Idée implicite : il n’éprouve
ni « ardeur », ni « sympathie » sincères.
-
Winston ne parle jamais : « il n’osait se risquer à
parler ».→ Idée implicite : parler est ici un
« risque » car la parole de Winston serait en désaccord
avec la parole officielle (incarnée en Syme).
-
Mais Syme décèle les pensées de Winston : « Syme […]
perçut immédiatement » l.16 + C.L de la pensée :
« appréciez » l.17, « pensez » l.18,
« auriez préféré » l.20 → il est un prolongement de
Big Brother qui s’infiltre dans les pensées les plus intimes.
-
Syme perce à jour la déviance de Winston : suite de phrases
négatives : « vous n’appréciez pas » l.17,
« Vous ne saisissez pas » l.20-21, « Ne voyez-vous
pas » l.26
II.
Un texte pour dénoncer le totalitarisme
A.
Un texte qui invite à avoir un regard critique grâce à l’ironie
et au double sens
-
ironie sur le nom de métier de Syme : « philologue »
= littéralement, celui qui aime les mots, or Syme les détruit.
-
décalage, éloge paradoxal de l’appauvrissement du langage par un
auteur de roman : à lire comme de l’antiphrase.
-
Marques d’ironie : « bon », « inbon »,
« plusbon », « doubleplusbon : exemple un peu
ridicule
-
mépris excessif du langage :
métaphore
des mots qui sont des « déchets » l. 2 ;
restrictive
« un mot qui n’est que le contraire d’un autre » l.
4 ;
négation :
« ce que n’est pas l’autre mot » l.7 ;
globalisant
« tout le reste » dans « excellent, splendide et
tout le reste » l.9 : n’accorde aucune valeur au sens
unique des mots ;
termes
péjoratifs : « déchets » l.2, « chaîne de
mots vagues et inutiles » l.8
-
hyperbole « des centaines de noms » l.2
-
absurde lié à l’excès de rigueur : « discipline »
l.34, « maîtrise » l.34, comme si la pensée pouvait
être disciplinée, maîtrisée
-
sorte de fierté chauvine dans l’affirmation l.21-22 : « le
novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque
année » : ridicule.
-
la pauvreté du vocabulaire de Syme montre qu’il a déjà assimilé
les principes du novlangue, donc il n’a déjà plus la faculté de
penser par lui-même, ce qui le décrédibilise aux yeux du lecteur :
répétition de l’adverbe « naturellement » l.1, 10,
13 ; répétition de la formule « il y a » (à
toutes les formes et tous les temps), quasiment à chaque ligne entre
la l.1 et la l.12 ; répétition du mot « mot » à
12 reprises dans sa première réplique ! ; multiples
polyptotes (voir I .A).
-
« mâcha rapidement » l.25 : métaphore du processus
de destruction des mots, donne un aspect grossier, voire animal à ce
processus.
-
« bouchée de pain noir » : pauvreté de cette
société (le pain noir = signe de pauvreté) → invite à ne pas la
désirer.
B.
Un texte qui dévoile une société totalitaire
-
C.L de la suppression : « débarrasser »
l.3 « destruction » l.1 « déchets »
l.2, « de moins en moins » l.32, « supprimées »
l.29, « oubliées » l.30, « restreint » l.32,
« il n’y aura plus de » l. 27, « diminue »
l.22
-
antithèses qui marquent
une opposition entre le passé (à détruire) et le futur :
« tous les » / « un seul » l. 28-29 (« tous
les concepts nécessaire seront exprimés chacun exactement par un
seul mot ») ; « de
moins en moins » / « de plus en plus » l.32 ;
« belle chose » / « destruction » l.1
-
on ne conserve que ce qui est utile, on supprime le reste =
répétition de « inutiles » l.8, l.20
et l.35
=> société utilitariste, qui supprime l’art, la spiritualité,
les émotions, et tout ce qui n’est pas immédiatement rentable.
-
radicalité (extrémisme) : « plus rien d’autre »
l.11-12, « complète » l.12, « littéralement
impossible »
l.27, « définitive » l.11, « parfait » l.35,
« exact » l.7
-
restriction de la liberté : « délimité » l. 29,
« restreint » l.32
-
autorité, contrôle total : « Big Brother » + le
fait que la langue soit contrôlée par le pouvoir (« l’idée
vient de Big Brother »)
-
peur : Winston « n’osait se risquer »
-
Un processus tragique : la fin du langage est annoncée et
enclenchée inexorablement :
emploi
du futur l. 11-12 puis l.27 à 34
terme
« processus » dans « le processus continuera encore
longtemps après que vous et moi seront morts » l.31 :
image d’un processus monstrueux qui engloutit les hommes sur son
passage
évocation de leur mort future qui ne compte pas par rapport à ce
processus (« longtemps après que vous et moi serons morts »)
C.
Une réflexion sur le langage
Absence
de philosophie, de pensée, de concepts :
-
le terme « pensée » est associé au mot « crime »
l.27 et 33, comme si une pensée pouvait être criminelle → presque
un oxymore.
-
« notion complète du bon et du mauvais sera couverte » :
or ce sont des notions philosophiques, impossibles à définir en
quelques termes simples ; donc « notion complète »
est également un oxymore.
-
« c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus
de déchets » l.1-2 : on élimine tout ce qui relève de
la réflexion, du jugement personnel, de la subjectivité, pour ne
garder que des termes d’action et de description objective =
pas de possibilité de juger, seulement de constater.
-
on institue la pensée unique : C.L. de l’uniformité, de la
globalité (« englobe » l.9, « tous les » et
« toutes les » l.28-29, « notion complète »
l.12, « couverte » l.12)
-
L’objectif est de figer le langage une fois pour toutes (« version
définitive » l.11, « à la fin » l.27,
« résultat » l.30, « complète » l.35 et
« langage parfait » l.35), or dans une société en
perpétuelle évolution, la langage évolue aussi sans cesse. Ici, on
fige les hommes et la société → mort de toute civilisation.
-
texte qui invite, par antiphrase, à réfléchir à l’utilité du
langage (« quelle raison y a-t-il d’exister pour un mot ») :
nuancer
une pensée : « nuances » l.20,
être
lucide : « champ de conscience » l.32,
critiquer :
« Révolution » l.35
réfléchir
à des notions : « notion complète » l.12,
« concepts » l.28
imaginer
: « l’idée vient de » l.14 (dans « l’idée
vient de BB », parce qu’il est le seul à posséder encore un
vocabulaire suffisamment étendu pour imaginer ce genre d’oppression)
Ce
qui revient finalement à être un homme différent de l’animal qui
ne communique que pour des besoins vitaux (danger, manger, se
reproduire…).
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