vendredi 31 mars 2017

Argumentation, L.A : Orwell, 1984, le novlangue

L.A  Orwell, le novlangue

I. Une démonstration qui fait l’apologie du novlangue

A. Un raisonnement rigoureux
- Une thèse, énoncée dès le début  : « c’est une belle chose, la destruction des mots »
Thèse reprise presque mot pour mot l. 21 « la beauté qu’il y a dans la destruction des mots »
- Une suite d’arguments :
    1- argument logique : l’efficacité (l.2-4) : on peut ne conserver qu’un radical sur lequel on construit les contraires (l.4) et les nuances quantitatives (l.7-8), grâce aux préfixes.
Exemple très logique et efficace : « bon », « inbon », « plusbon », « double-plusbon »
    2- contre-argument (pourquoi la thèse adverse est mauvaise) : ancilangue liée à l’« imprécision et nuances inutiles » l.20 → par opposition, le novlangue (la destruction des mots) entraînera une plus grande précision
    3- argument d’autorité : réputation de la novlangue (qui est « la seule langue » à diminuer chaque année) l.22
    4- argument juridique : elle rend « impossible le crime par la pensée » l.27
- Une conclusion en forme de slogan : « La Révolution sera complète quand le langage sera parfait » l.35

- Des connecteurs logiques : « mais » l.2-l.11, l.19, l.30, l.34 « parce que » l.7, « en résumé » l.12, « même quand » l.17, « car » l.27
- Une liste d’avantages liés à ce processus de destruction des mots :
    la beauté (polyptote* « belle », « beauté »),
    la simplicité (polyptote « notion complète couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot »)
    la moralité (rend « impossible le crime par la pensée » l.27, « question de discipline personnelle », « maîtrise de soi-même » l. 34),
    l’originalité (« originalité » l.13, « la seule langue » l.22)
    la précision (polyptote « exact » l.7, « exactement » l.28, « parfait » l.35)

[* rappel : un polyptote est une figure de style qui consiste à employer des mots de la même famille, comme « exact », « inexact », « exactement » par exemple]

B. Un discours fait pour persuader Winston
- les nombreuses questions rhétoriques cherchent à créer une complicité avec Winston
- les apostrophes à Winston pour garder son attention : l.13 et 17
- la longueur de sa prise de parole pour expliquer en détail
- répétition de sa thèse l.1 et 21 pour que Winston l’intègre bien
- Syme est convaincu, enthousiaste : lexique mélioratif (« belle chose » l.1, « mieux » l.6, « originalité » l.13, « la beauté » l.21, « parfait » l.35)
- Syme montre à Winston son aveuglement avec le C.L de la lucidité : « voyez-vous » l.13, « vous ne saisissez pas » l.20-21, « ne voyez-vous pas » l.26 → idée implicite : c’est Syme le visionnaire.
- adverbe « tristement » l.17 : le fait de s’attrister de l’obstination de Winston montre qu’il est réellement convaincu de cette thèse.
- modalisateurs qui prouvent que Syme est convaincu par ce discours : multiples « naturellement » (comme si tout cela allait de soi) + « c’est certain » l.33.

C. Un discours qui échoue à convaincre Winston
Toutes les idées de Winston sont implicites, elles ne sont jamais exprimées, mais on les décèle facilement :
- expressions « froide » l.15 et « manque d’enthousiasme » l.16 trahissent ses vraies pensées.
- Il cache ces pensées : oxymore « ardeur froide » l. 15, et opposition « il sourit avec sympathie, du moins il l’espérait » l.23 → Idée implicite : il n’éprouve ni « ardeur », ni « sympathie » sincères.
- Winston ne parle jamais : « il n’osait se risquer à parler ».→ Idée implicite : parler est ici un « risque » car la parole de Winston serait en désaccord avec la parole officielle (incarnée en Syme).
- Mais Syme décèle les pensées de Winston : « Syme […] perçut immédiatement » l.16 + C.L de la pensée : « appréciez » l.17, « pensez » l.18, « auriez préféré » l.20 → il est un prolongement de Big Brother qui s’infiltre dans les pensées les plus intimes.
- Syme perce à jour la déviance de Winston : suite de phrases négatives : « vous n’appréciez pas » l.17, « Vous ne saisissez pas » l.20-21, « Ne voyez-vous pas » l.26

II. Un texte pour dénoncer le totalitarisme

A. Un texte qui invite à avoir un regard critique grâce à l’ironie et au double sens
- ironie sur le nom de métier de Syme : « philologue » = littéralement, celui qui aime les mots, or Syme les détruit.
- décalage, éloge paradoxal de l’appauvrissement du langage par un auteur de roman : à lire comme de l’antiphrase.
- Marques d’ironie : « bon », « inbon », « plusbon », « doubleplusbon : exemple un peu ridicule

- mépris excessif du langage :
    métaphore des mots qui sont des « déchets » l. 2 ;
    restrictive « un mot qui n’est que le contraire d’un autre » l. 4 ;
    négation : « ce que n’est pas l’autre mot » l.7 ;
    globalisant « tout le reste » dans « excellent, splendide et tout le reste » l.9 : n’accorde aucune valeur au sens unique des mots ;
    termes péjoratifs : « déchets » l.2, « chaîne de mots vagues et inutiles » l.8
- hyperbole « des centaines de noms » l.2 
- absurde lié à l’excès de rigueur : « discipline » l.34, « maîtrise » l.34, comme si la pensée pouvait être disciplinée, maîtrisée
- sorte de fierté chauvine dans l’affirmation l.21-22 : « le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année » : ridicule.
- la pauvreté du vocabulaire de Syme montre qu’il a déjà assimilé les principes du novlangue, donc il n’a déjà plus la faculté de penser par lui-même, ce qui le décrédibilise aux yeux du lecteur : répétition de l’adverbe « naturellement » l.1, 10, 13 ; répétition de la formule « il y a » (à toutes les formes et tous les temps), quasiment à chaque ligne entre la l.1 et la l.12 ; répétition du mot « mot » à 12 reprises dans sa première réplique ! ; multiples polyptotes (voir I .A).
- « mâcha rapidement » l.25 : métaphore du processus de destruction des mots, donne un aspect grossier, voire animal à ce processus.
- « bouchée de pain noir » : pauvreté de cette société (le pain noir = signe de pauvreté) → invite à ne pas la désirer.

B. Un texte qui dévoile une société totalitaire
- C.L de la suppression : « débarrasser » l.3 « destruction » l.1 « déchets » l.2, « de moins en moins » l.32, « supprimées » l.29, « oubliées » l.30, « restreint » l.32, « il n’y aura plus de » l. 27, « diminue » l.22
- antithèses qui marquent une opposition entre le passé (à détruire) et le futur : « tous les » / « un seul » l. 28-29 (« tous les concepts nécessaire seront exprimés chacun exactement par un seul mot ») ; « de moins en moins » / « de plus en plus » l.32 ; « belle chose » / « destruction » l.1
- on ne conserve que ce qui est utile, on supprime le reste = répétition de « inutiles » l.8, l.20 et l.35 => société utilitariste, qui supprime l’art, la spiritualité, les émotions, et tout ce qui n’est pas immédiatement rentable.
- radicalité (extrémisme) : « plus rien d’autre » l.11-12, « complète » l.12, « littéralement impossible » l.27, « définitive » l.11, « parfait » l.35, « exact » l.7
- restriction de la liberté : « délimité » l. 29, « restreint » l.32
- autorité, contrôle total : « Big Brother » + le fait que la langue soit contrôlée par le pouvoir (« l’idée vient de Big Brother »)
- peur : Winston « n’osait se risquer »
- Un processus tragique : la fin du langage est annoncée et enclenchée inexorablement :
emploi du futur l. 11-12 puis l.27 à 34 
terme « processus » dans « le processus continuera encore longtemps après que vous et moi seront morts » l.31 : image d’un processus monstrueux qui engloutit les hommes sur son passage
évocation de leur mort future qui ne compte pas par rapport à ce processus (« longtemps après que vous et moi serons morts »)

C. Une réflexion sur le langage
Absence de philosophie, de pensée, de concepts :
- le terme « pensée » est associé au mot « crime » l.27 et 33, comme si une pensée pouvait être criminelle → presque un oxymore.
- « notion complète du bon et du mauvais sera couverte » : or ce sont des notions philosophiques, impossibles à définir en quelques termes simples ; donc « notion complète » est également un oxymore.
- « c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets » l.1-2 : on élimine tout ce qui relève de la réflexion, du jugement personnel, de la subjectivité, pour ne garder que des termes d’action et de description objective  = pas de possibilité de juger, seulement de constater.
- on institue la pensée unique : C.L. de l’uniformité, de la globalité (« englobe » l.9, « tous les » et « toutes les » l.28-29, « notion complète » l.12, « couverte » l.12)
- L’objectif est de figer le langage une fois pour toutes (« version définitive » l.11, « à la fin » l.27, « résultat » l.30, « complète » l.35 et « langage parfait » l.35), or dans une société en perpétuelle évolution, la langage évolue aussi sans cesse. Ici, on fige les hommes et la société → mort de toute civilisation.

- texte qui invite, par antiphrase, à réfléchir à l’utilité du langage (« quelle raison y a-t-il d’exister pour un mot ») :
    nuancer une pensée : « nuances » l.20,
    être lucide : « champ de conscience » l.32,
    critiquer : « Révolution » l.35
    réfléchir à des notions : « notion complète » l.12, « concepts » l.28
    imaginer : « l’idée vient de » l.14 (dans « l’idée vient de BB », parce qu’il est le seul à posséder encore un vocabulaire suffisamment étendu pour imaginer ce genre d’oppression)
Ce qui revient finalement à être un homme différent de l’animal qui ne communique que pour des besoins vitaux (danger, manger, se reproduire…).



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire