I. Un dialogue dramatique et
mystérieux
A. une scène fortement dramatisée
-Deux personnages principaux qui occupe
quasiment tout l’espace de la parole : resserrement autour
d’eux.
-Les matelots sont désignés en
groupe, dans identité précise, ils ne sont pas présents sur scène,
on n'entend que leur voix.
-Brangaene disparaît à l'arrière-plan
et n'a pas son mot à dire : gradation dans ses actes :
« hésite et chancelle » puis « commence à
préparer » l.18 et 20 ; elle ne parle parle.
-Puis Isolde presse Tristan par un
exclamatif et deux questions courtes qui se succèdent :
« Presque au but ! Tristan, aurai-je réparation ?
Qu’as-tu à me dire ? » l.25-26 + didascalie
« impatience » l.33
-Les matelots jouent le rôle
d'accélérateurs du temps : ils expriment l'imminence de
l'arrivée à Tintagel (interjections) et l'urgence de la décision à
prendre. Nombreux verbes d’action qui se succèdent pour montrer
l’arrivée rapide : « Lancez », « Jetez »,
« Lâchez » l.49 à 51
-Les actions de Tristan et Isolde sont
brusques : « s’arrachant » l.23, « geste
d’impatience » l.33 « s’empare de la coupe »
l.53, « elle lui arrache la coupe » l.64, « jette »
l.66.
B. Les personnages entretiennent le
mystère
-C.L du mystère et du silence :
allégorie « maîtresse du silence » l.27, « me
taire » l.28, chiasme l.28-29, « silence » l.30 →
ils ont tous les deux quelque chose à cacher,
-Mais Tristan comprend le secret
d’Isolde : « je saisis » l.28 (il comprend que le
philtre est un breuvage mortel), alors qu’Isolde fait semblant de
comprendre le secret de Tristan : « je saisis »
l.30, et le traduit par de la lâcheté : « tu
t’esquives » l.30 (sous-entendu : tu recules devant la
mort).
-Tristan est dépeint comme « pâle »
l.1, « sombre » répété l.23 et 27, « préoccupé »
l.1, en pleine « méditation » l.23 : tout un C.L de
l’inquiétude, mais présente uniquement dans les didascalies,
comme si Tristan lui-même n’avait pas conscience de cette
inquiétude.
-Il parle peu, reste très en retrait,
et sa langue se délie juste avant ce qu'il croit être sa mort. Mais
même là, il reste obscur (l.54 à 62)
-C.L de la réparation qui glisse vers
un C.L de la guérison : « réconciliation » l. 17,
31 et 46, « réparation » l.25, « réparer toute
offense » l.48, « bienfaits » l.45, « blessure »
l.42, « guérie » l.44, « vertu […] de son art »
l.54, « baume » l.55, « guérir complètement »
l.56, « consolation » l.61 → comme si le philtre
de réconciliation (réparation de la mort du Morold) devenait un
baume pour guérir d’une blessure secrète. On ignore quelle est
cette blessure dont Tristan doit « guérir complètement
aujourd’hui » l.56.
-Importance du regard qui ne communique
pas les sentiments (sauf après le philtre)
-Isolde ne s'adresse à Brangaene que
par gestes, didascalies : « Elle fait signe à Brangaene »
l.18 et « Sur un geste d’impatience d’Isolde » l.33
C. Isolde semble se moquer de
Tristan
-Elle
semble avoir le dessus : elle désigne Tristan comme un
« vassal » l7 , un « homme loyal » l7, un
« émissaire » l10 envoyé par son « maître »
l6, son « seigneur » l40, et elle emploie qqs impératifs
à l’adresse de Tristan : « garde ton épée »
l.12, « buvons » l.17 et lui « ordonne » l.27
-Tristan
paraît accepter son rang : il l'appelle d'abord « la
maîtresse » l.27, il maintient la distance avec la 3è
personne l.27 à 30 (« elle »), et accepte finalement la
coupe qu’elle lui tend.
-Isolde
utilise une exclamation et trois questions rhétoriques pour prouver
à Tristan que sa proposition de la tuer avec l’épée est ridicule
et peu réfléchie (« Que dirait… ? Accordes-tu si peu
de valeur… ? Crois-tu… ? ») l.6 à 11
-Elle
méprise aussi sa fidélité servile à Marke : hyperboles qui
apparaissent comme exagérées, donc ironiques : « son
meilleur vassal » l.6-7, « l’homme loyal entre tous »
l.7, « l’émissaire qui lui livre si loyalement »
l.10-11.
-Finalement,
c’est dans le discours qu’elle prête à Tristan qu’elle se
montre la plus sarcastique : elle
le décrit comme orgueilleux lorsqu’il vante ses exploits :« son
fiancé, je le lui ai tué jadis et je lui ai envoyé sa tête » ;
elle
se dépeint comme une femme douce et
généreuse dans
une accumulation ironique :
hyperbole « plus douce compagne » l.41, répétition de
l’adjectif dans « douce fille » l.44 et
dans « doux philtre » l.46,
adverbe « tendrement » l.43 lié
à l’adjectif « tendre » l.47,
C.L
de la générosité : « elle me l’a offerte » l.44
et « offert » l.48, « elle les donne » l.45,
« bienveillance »
II. Le philtre lève le voile sur des personnalités ambiguës
A. Isolde, une
orgueilleuse passionnée ?
-Elle
se montre offusquée par l’image de traîtresse imaginée dans la
bouche de Tristan : l’hyperbolisation
de sa douceur montre qu’elle déteste cette image d’elle-même,
et qu’elle ne peut pas accepter de
devenir l’épouse de Marke sans
trahir son pays, comme le
prouve la redondance mise en valeur en début de phrase de
« l’ignominie et la honte » dans :
« l’ignominie et la honte de son pays, elle
les donne […] pour devenir ton épouse »
l.44-45.
-Dans
la même idée, elle refuse d'être considérée comme une traître à
son fiancé le Morold : ironie de la phrase « la blessure
que son arme [celle du
Morold] m’avait faite,
elle l’a tendrement guérie » l.42-43.
-Elle
préfère donc mourir plutôt que de trahir son pays et son fiancé,
et défie Tristan à mourir
avec elle.
-La
ponctuation forte traduit des sentiments violents et
contradictoires : colère ou passion ?
-En
réalité, on sent qu’elle admire Tristan : elle rappelle les
actions valeureuses qu'il a accomplies : « l’homme loyal
entre tous qui lui a conquis couronne et territoire », « ce
qu’il te doit » l. 8 : sans Tristan, Marke ne serait
rien + elle rappelle qu’il a tué le Morold l.41 (alors qu’il
était réputé invincible).
-Elle
se justifie de n'avoir pas tué Tristan d'une manière peu
convaincante : « cette épée alors… je l’ai laissé
tomber... » l.16, avec les points de suspension qui manifestent
sa gêne.
-Evolution
dans ses désignations de Tristan : elle l'appelait «émissaire
» ou « vassal », il devient « traître »
l.64. Or l’adjectif « traître » est en antithèse avec tout ce
qu’Isolde a pu dire de Tristan auparavant (elle l’admire). Il
pourrait donc traduire la déception d’Isolde d’être donnée à
Marke et non pas gardée par Tristan.
-Lorsqu'elle
boit, elle le fait pour Tristan : « Je
bois à toi », en dépit de ce qu'elle exprime :
« Traître ! » ;
ses actes démentent donc ses paroles, et
elle accomplit un seul et
ultime geste d'amour : elle partage la
coupe avec Tristan, comme
un sacrement de mariage.
B. Tristan, le loyal, l’amoureux
qui s’ignore ?
-Pousse la loyauté jusqu'à accepter
sa propre mort pour qu'Isolde puisse venger la mort de son fiancé :
double impératif dans sa 1ère réplique pour la pousser à le tuer
avec son épée.
-Il donne plus loin un autre argument
justifiant sa loyauté vis-à-vis d’Isolde : elle l'a sauvé de la
mort : « serment d’expiation que je te fais en
remerciement » l.57-58
-Il affirme explicitement cette loyauté
comme constitutive de son honneur, de sa grandeur : « gloire
de Tristan : loyauté suprême » l.58
-Cette loyauté est dans le même temps
mortifère, comme le souligne le parallélisme de construction des
l.58 à 60 : à cause de cette loyauté à laquelle son honneur
(ou son orgueil) l'empêche de renoncer, il signe sa mort (c'est le
sens du vers : « Supplice de Tristan : orgueil le
plus audacieux ! »).
-Cette loyauté pourrait le rendre
froid mais au contraire, il est tragiquement humain, comme le montre
le registre fortement lyrique de sa réplique l.54 à 62
-Il apparaît comme un homme torturé,
bouleversé par ce qu'il ressent : « s’arrachant à
sa sombre méditation / Où sommes-nous ? »
l.23-24 : la question montre qu’il est perdu, au propre comme
au figuré ; 64 à 74.
-Les
l.54 à 62
sont assez obscures,
mais elles
révèlent à mots couverts l'amour interdit que Tristan éprouve
pour Isolde
(amour : « coeur », « rêve » ;
interdit : « piège ») ce qui expose la vraie raison
du désir de mort de Tristan : « deuil », « oubli ».
-Finalement, il boit le poison « sans
trembler » parce que c'est le seul moyen de résoudre son dilemme,
sa souffrance (C.L de la maladie et de la souffrance).
C. Le philtre comme
révélateur et déclencheur de la tragédie
- Le C.L de la douleur et de la mort
dans la réplique de Tristan l.59 à 62 (« supplice »,
« âme », « deuil éternel », « oubli »
fait place au lexique de la passion. Cette transition est explicite
dans la didascalie l.68-69 : « l’expression du défi à
la mort fait place à une passion brûlante ».
- La longue didascalie l 66 à 73
interrompt le cours du temps pour décrire précisément ce que
chacun voit (C.L du regard soutenu)
- Le philtre n'est finalement que le
révélateur d'une passion qu'ils ne peuvent plus (se) cacher, comme
le montrent les gestes et attitudes corporelles (« tremblants »,
« immobiles », « se regardent les yeux dans les
yeux », « portent leur main au cœur puis au front »,
« baissent les yeux », etc.
- Les exclamations de l'un et l'autre à
partir de la l.74 verbalisent les émotions cachées jusque là :
« si cher ! », « femme adorable ! ».
- Cette révélation de sentiments
intimes et interdits s’oppose aux acclamations publiques des
marins, comme le souligne l’antithèse « silencieux » /
« son des trompettes » l.79-80 + « Gloire au roi
Marke ! » → désormais, les deux amants devront vivre
leur amour de manière cachée.
- Brangaine assume seule la
responsabilité de tout : les adjectifs péjoratifs
« trompeuse » et « stupide » la qualifient
elle (son œuvre, sa fidélité). On comprend que par « fidélité »
pour Isolde, elle a substitué le philtre d’amour au philtre de
mort. Eros et Thanatos se mélangent ici.
- Seule Brangaene a conscience de la
tragédie : d’abord par ses gestes (didascalie : « se
tordant les mains de désespoir ») puis par ses paroles :
répétition de l’interjection tragique « hélas ! »
+ les exclamations + l’hyperbole « détresse éternelle et
inexorable » opposée à « mort soudaine », comme
si cette dernière était préférable à ce qui attend les amants +
le dernier mot de l’extrait : « désespoir ». Elle
connaît d’ores et déjà l’avenir.
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