mercredi 20 mars 2019

1L, Tristan et Iseut - L.A n°3, Wagner


I. Un dialogue dramatique et mystérieux
A. une scène fortement dramatisée
-Deux personnages principaux qui occupe quasiment tout l’espace de la parole : resserrement autour d’eux.
-Les matelots sont désignés en groupe, dans identité précise, ils ne sont pas présents sur scène, on n'entend que leur voix.
-Brangaene disparaît à l'arrière-plan et n'a pas son mot à dire : gradation dans ses actes : « hésite et chancelle » puis « commence à préparer » l.18 et 20 ; elle ne parle parle.
-Puis Isolde presse Tristan par un exclamatif et deux questions courtes qui se succèdent : « Presque au but ! Tristan, aurai-je réparation ? Qu’as-tu à me dire ? » l.25-26 + didascalie « impatience » l.33
-Les matelots jouent le rôle d'accélérateurs du temps : ils expriment l'imminence de l'arrivée à Tintagel (interjections) et l'urgence de la décision à prendre. Nombreux verbes d’action qui se succèdent pour montrer l’arrivée rapide : « Lancez », « Jetez », « Lâchez » l.49 à 51
-Les actions de Tristan et Isolde sont brusques : « s’arrachant » l.23, « geste d’impatience » l.33 « s’empare de la coupe » l.53, « elle lui arrache la coupe » l.64, « jette » l.66.

B. Les personnages entretiennent le mystère
-C.L du mystère et du silence : allégorie « maîtresse du silence » l.27, « me taire » l.28, chiasme l.28-29, « silence » l.30 → ils ont tous les deux quelque chose à cacher,
-Mais Tristan comprend le secret d’Isolde : « je saisis » l.28 (il comprend que le philtre est un breuvage mortel), alors qu’Isolde fait semblant de comprendre le secret de Tristan : « je saisis » l.30, et le traduit par de la lâcheté : « tu t’esquives » l.30 (sous-entendu : tu recules devant la mort).
-Tristan est dépeint comme « pâle » l.1, « sombre » répété l.23 et 27, « préoccupé » l.1, en pleine « méditation » l.23 : tout un C.L de l’inquiétude, mais présente uniquement dans les didascalies, comme si Tristan lui-même n’avait pas conscience de cette inquiétude.
-Il parle peu, reste très en retrait, et sa langue se délie juste avant ce qu'il croit être sa mort. Mais même là, il reste obscur (l.54 à 62)
-C.L de la réparation qui glisse vers un C.L de la guérison : « réconciliation » l. 17, 31 et 46, « réparation » l.25, « réparer toute offense » l.48, « bienfaits » l.45, « blessure » l.42, « guérie » l.44, « vertu […] de son art » l.54, « baume » l.55, « guérir complètement » l.56, « consolation » l.61 → comme si le philtre de réconciliation (réparation de la mort du Morold) devenait un baume pour guérir d’une blessure secrète. On ignore quelle est cette blessure dont Tristan doit « guérir complètement aujourd’hui » l.56.
-Importance du regard qui ne communique pas les sentiments (sauf après le philtre)
-Isolde ne s'adresse à Brangaene que par gestes, didascalies : « Elle fait signe à Brangaene » l.18 et « Sur un geste d’impatience d’Isolde » l.33

C. Isolde semble se moquer de Tristan
-Elle semble avoir le dessus : elle désigne Tristan comme un « vassal » l7 , un « homme loyal » l7, un « émissaire » l10 envoyé par son « maître » l6, son « seigneur » l40, et elle emploie qqs impératifs à l’adresse de Tristan : « garde ton épée » l.12, « buvons » l.17 et lui « ordonne » l.27
-Tristan paraît accepter son rang : il l'appelle d'abord « la maîtresse » l.27, il maintient la distance avec la 3è personne l.27 à 30 (« elle »), et accepte finalement la coupe qu’elle lui tend.
-Isolde utilise une exclamation et trois questions rhétoriques pour prouver à Tristan que sa proposition de la tuer avec l’épée est ridicule et peu réfléchie (« Que dirait… ? Accordes-tu si peu de valeur… ? Crois-tu… ? ») l.6 à 11 
-Elle méprise aussi sa fidélité servile à Marke : hyperboles qui apparaissent comme exagérées, donc ironiques : « son meilleur vassal » l.6-7, « l’homme loyal entre tous » l.7, « l’émissaire qui lui livre si loyalement » l.10-11.
-Finalement, c’est dans le discours qu’elle prête à Tristan qu’elle se montre la plus sarcastique : elle le décrit comme orgueilleux lorsqu’il vante ses exploits :« son fiancé, je le lui ai tué jadis et je lui ai envoyé sa tête » ; elle se dépeint comme une femme douce et généreuse dans une accumulation ironique : hyperbole « plus douce compagne » l.41, répétition de l’adjectif dans « douce fille » l.44 et dans « doux philtre » l.46, adverbe « tendrement » l.43 lié à l’adjectif « tendre » l.47, C.L de la générosité : « elle me l’a offerte » l.44 et « offert » l.48, « elle les donne » l.45, « bienveillance »

II. Le philtre lève le voile sur des personnalités ambiguës
A. Isolde, une orgueilleuse passionnée ?
-Elle se montre offusquée par l’image de traîtresse imaginée dans la bouche de Tristan : l’hyperbolisation de sa douceur montre qu’elle déteste cette image d’elle-même, et qu’elle ne peut pas accepter de devenir l’épouse de Marke sans trahir son pays, comme le prouve la redondance mise en valeur en début de phrase de « l’ignominie et la honte » dans  : « l’ignominie et la honte de son pays, elle les donne […] pour devenir ton épouse » l.44-45.
-Dans la même idée, elle refuse d'être considérée comme une traître à son fiancé le Morold : ironie de la phrase « la blessure que son arme [celle du Morold] m’avait faite, elle l’a tendrement guérie » l.42-43.
-Elle préfère donc mourir plutôt que de trahir son pays et son fiancé, et défie Tristan à mourir avec elle.
-La ponctuation forte traduit des sentiments violents et contradictoires : colère ou passion ?
-En réalité, on sent qu’elle admire Tristan : elle rappelle les actions valeureuses qu'il a accomplies : « l’homme loyal entre tous qui lui a conquis couronne et territoire », « ce qu’il te doit » l. 8 : sans Tristan, Marke ne serait rien + elle rappelle qu’il a tué le Morold l.41 (alors qu’il était réputé invincible).
-Elle se justifie de n'avoir pas tué Tristan d'une manière peu convaincante : « cette épée alors… je l’ai laissé tomber... » l.16, avec les points de suspension qui manifestent sa gêne.
-Evolution dans ses désignations de Tristan : elle l'appelait «émissaire » ou « vassal », il devient « traître » l.64. Or l’adjectif « traître » est en antithèse avec tout ce qu’Isolde a pu dire de Tristan auparavant (elle l’admire). Il pourrait donc traduire la déception d’Isolde d’être donnée à Marke et non pas gardée par Tristan.
-Lorsqu'elle boit, elle le fait pour Tristan : « Je bois à toi », en dépit de ce qu'elle exprime : « Traître ! » ; ses actes démentent donc ses paroles, et elle accomplit un seul et ultime geste d'amour : elle partage la coupe avec Tristan, comme un sacrement de mariage.
B. Tristan, le loyal, l’amoureux qui s’ignore ?
-Pousse la loyauté jusqu'à accepter sa propre mort pour qu'Isolde puisse venger la mort de son fiancé : double impératif dans sa 1ère réplique pour la pousser à le tuer avec son épée.
-Il donne plus loin un autre argument justifiant sa loyauté vis-à-vis d’Isolde : elle l'a sauvé de la mort : « serment d’expiation que je te fais en remerciement » l.57-58
-Il affirme explicitement cette loyauté comme constitutive de son honneur, de sa grandeur : « gloire de Tristan : loyauté suprême » l.58
-Cette loyauté est dans le même temps mortifère, comme le souligne le parallélisme de construction des l.58 à 60 : à cause de cette loyauté à laquelle son honneur (ou son orgueil) l'empêche de renoncer, il signe sa mort (c'est le sens du vers : « Supplice de Tristan : orgueil le plus audacieux ! »).
-Cette loyauté pourrait le rendre froid mais au contraire, il est tragiquement humain, comme le montre le registre fortement lyrique de sa réplique l.54 à 62
-Il apparaît comme un homme torturé, bouleversé par ce qu'il ressent : « s’arrachant à sa sombre méditation / Où sommes-nous ? » l.23-24 : la question montre qu’il est perdu, au propre comme au figuré ; 64 à 74.
-Les l.54 à 62 sont assez obscures, mais elles révèlent à mots couverts l'amour interdit que Tristan éprouve pour Isolde (amour : « coeur », « rêve » ; interdit : « piège ») ce qui expose la vraie raison du désir de mort de Tristan : « deuil », « oubli ».
-Finalement, il boit le poison « sans trembler » parce que c'est le seul moyen de résoudre son dilemme, sa souffrance (C.L de la maladie et de la souffrance).
C. Le philtre comme révélateur et déclencheur de la tragédie
- Le C.L de la douleur et de la mort dans la réplique de Tristan l.59 à 62 (« supplice », « âme », « deuil éternel », « oubli » fait place au lexique de la passion. Cette transition est explicite dans la didascalie l.68-69 : « l’expression du défi à la mort fait place à une passion brûlante ».
- La longue didascalie l 66 à 73 interrompt le cours du temps pour décrire précisément ce que chacun voit (C.L du regard soutenu) 
- Le philtre n'est finalement que le révélateur d'une passion qu'ils ne peuvent plus (se) cacher, comme le montrent les gestes et attitudes corporelles (« tremblants », « immobiles », « se regardent les yeux dans les yeux », « portent leur main au cœur puis au front », « baissent les yeux », etc.
- Les exclamations de l'un et l'autre à partir de la l.74 verbalisent les émotions cachées jusque là : « si cher ! », « femme adorable ! ».
- Cette révélation de sentiments intimes et interdits s’oppose aux acclamations publiques des marins, comme le souligne l’antithèse « silencieux » / « son des trompettes » l.79-80 + « Gloire au roi Marke ! » → désormais, les deux amants devront vivre leur amour de manière cachée.
- Brangaine assume seule la responsabilité de tout : les adjectifs péjoratifs « trompeuse » et « stupide » la qualifient elle (son œuvre, sa fidélité). On comprend que par « fidélité » pour Isolde, elle a substitué le philtre d’amour au philtre de mort. Eros et Thanatos se mélangent ici.
- Seule Brangaene a conscience de la tragédie : d’abord par ses gestes (didascalie : « se tordant les mains de désespoir ») puis par ses paroles : répétition de l’interjection tragique « hélas ! » + les exclamations + l’hyperbole « détresse éternelle et inexorable » opposée à « mort soudaine », comme si cette dernière était préférable à ce qui attend les amants + le dernier mot de l’extrait : « désespoir ». Elle connaît d’ores et déjà l’avenir.


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