I.
Un début original
A. Un début in
medias res qui ne délivre que peu d’informations sur les
personnages
*Un début in medias res :
- le pronom numéral dans « tous les trois » : comme
si ces « trois » étaient déjà connus du lecteur
- le démonstratif dans « ce cheval » : suggère
qu’on sait de quel cheval le narrateur parle.
*Ce que l’on sait des personnages : quasiment rien
- Ils sont trois
l.1, 12 et l.27 et quasiment toujours évoqués ensemble, soit par le
pronom numéral « trois », soit par des pronoms pluriels
« eux », « ils » → ils fonctionnent comme
une seul personne.
- L’un d’eux
s’appelle Joseph et fume (l.3-4)
- Mention de « la mère » sans nom, mais dont l’âge
avancé est suggéré : comparatif « bien plus vieux que
la mère » l.19
- Absolument rien sur le 3ème personnage.
- On connaît le ressenti commun à ces personnages : « saturés
d’ennui et d’amertume » l.13, et finalement « dégoûtés »
l.24, après la mort du cheval → uniquement des émotions négatives
B. Le cadre
spatio-temporel est lui aussi assez flou et comme hors du monde
- isolé du monde
extérieur, dans un « coin de plaine » l.12 répété
l.25 + adjectif « seuls » l.6 + nom « solitude »
l.26
-
ce coin de plaine est
associé à un lexique soulignant sa pauvreté : « saturé
de sel » l.12, « stérilité » l.26 et métaphore
« désert où rien ne pousse » l.14
- répétition à 3
reprise de l’adverbe « jusque » l.11 et 12 :
accentue l’idée d’éloignement de ce coin de plaine
- par opposition à
« monde extérieur » l.7, « ce monde » l.8,
« du monde » l.17
- le « monde »
est associé au nom propre « Ram » l.28, qui désigne une
ville de Cochinchine (dans l’actuel Cambodge)
- aucune indication
sur l’époque.
C. Finalement, le
cadre et les personnages se confondent (famille repliée sur
elle-même, dans un coin à l’écart ; solitude et désespoir)
- par un jeu de
parallélisme, l’endroit est comparé aux personnages :
« jusqu’à leur coin de plaine saturé de sel, jusqu’à eux
trois saturés d’ennui et d’amertume » l.12-13 → on
comprend alors que la désolation touche tout autant le cadre que les
personnages, et que ce qui est dit du lieu en dit autant sur les
personnages.
- l.26 : « dans la solitude et la stérilité de
toujours » unit dans une même formule les personnages
(concernés par la « solitude ») et le lieu (concerné,
lui, par la « stérilité ») → ici encore, lieu et
personnages sont liés presque sans distinction.
- l’adverbe « toujours » (l.26) instaure une dimension
éternelle à ce lieu, comme s’il ne changeait jamais, comme s’il
restait inexorablement le même. Et par extension, ces trois
personnages semblent figés dans l’ennui et la solitude.
II.
Qui met en tension les thématiques du roman
A. Le cheval
incarne les espoirs et les échecs
- il représente le
trait d’union avec le monde extérieur, permet de sortir de la
solitude de la plaine pour se mêler aux autres, ceux du « monde » :
« reliés par ce cheval au monde extérieur » l.6-7,
« amener jusqu’à leur coin de plaine » l.11-12
- il incarne
l’espoir : il est ironiquement assimilé aux « transports »
l.14, comme si à lui seul il représentait la modernité… ironie
car juste après, par opposition, on apprend qu’il meurt de
vieillesse (l.23).
- C.L de
l’extraction : « faire sortir » l.15, « extraire »
l.8 et 10, « extérieur » l.7 : comme si le cheval
marquait le début de la richesse, de l’extraction de pierres
précieuses. Ce C.L annonce le diamant à venir.
- Les concessives
« même si » répété 3 fois(l.2, 8 et 9) et « tout
de même » (l.7) : en gradation descendante : « payer
les cigarettes de Joseph » puis « extraire quelque
chose » puis « pas grand-chose » et enfin
« misérable » → l’espoir que représente le cheval
s’amenuise de jour en jour, jusqu’à sa mort.
- Le lecteur apprend
alors que le cheval sur lequel tout l’espoir reposait est « trop
vieux » l.18, avec insistance sur cette vieillesse grâce à
l’adverbe « trop », à la comparaison avec l’âge de
la mère (« bien plus vieux que » l.19) et surtout avec
celle du « vieillard centenaire » (l.20).
B. Le narrateur
instaure une certaine distance avec les personnages
- Focalisation zéro
(ou omnisciente) : permet au narrateur d’instaurer une
distance avec ses personnages et ainsi de donner discrètement son
avis.
- Ironie tragique :
le 1er long paragraphe marque l’espoir, même infime que
représente ce cheval, avec une longue phrase (l.5 à 13) égrainant
cet espoir. Espoir réduit en miette par la phrase très brève :
« cela dura huit jours ». Le pronom « cela »
désigne tout aussi bien la durée de vie du cheval que l’espoir
qui y était associé.
- Décalage presque
cynique entre la personnification du cheval (« vieillard »
+ « essaya honnêtement de faire le travail qu’on lui
demandait ») et l’annonce de sa mort, par le verbe familier
« creva » → comme si le narrateur éprouvait de la
pitié pour ce cheval, sentiment non partagé par les personnages qui
ne voient en cette bête qu’un moyen de sortir de leur enclave.
- D’ailleurs, le paragraphe suivant n’évoque que le « dégoût »
des personnages qui se retrouvent sans cheval, et non pas leur
tristesse d’avoir perdu un compagnon → âpreté de ces
personnages dénués d’empathie ?
C.
Et ménage un effet d’attente pour rompre le cercle de
l’enfermement et de l’ennui
- la tournure
emphatique (« c’est...que ») dans « Et c’est le
lendemain à Ram que... »l. 30 + la mise en paragraphe de cette
phrase unique fait office d’élément déclencheur : alerte le
lecteur sur l’importance fondamentale de la rencontre de Ram.
- Analepse :
« la rencontre qui allait changer leur vie » : Ram
est le lieu du monde, de la vie donc de la consolation, du
changement, par opposition à la plaine, immobile et éternelle.
- La « bonne idée » commentée par le narrateur :
- Le commentaire final reprend l’expression de la première phrase
à sa charge (dans la 1ère phrase, la « bonne idée »
était pensée par les personnages dans une focalisation interne),
dans une évolution cyclique.
-
Sorte d’aphorisme : déterminant indéfini « une »
+ adverbe universalisant « toujours » + « est »
au présent de vérité générale
- Quasi anaphore « Comme quoi une idée est toujours une bonne
idée » devient « Comme quoi une idée de ce genre est
toujours une bonne idée », suivies à chaque fois du concessif
« même si » : comme si le narrateur relativisait
l’échec du cheval et tous les échecs possibles (pronom
globalisant « tout » dans « même si tout échoue
lamentablement l.38) → semble insister sur l’importance des
décisions qui poussent à l’action ; l’absence d’idées,
c’est l’immobilisme et la mort.
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