mercredi 28 novembre 2018

Séquence Barrage, L.A n°1 : l'incipit


I. Un début original

A. Un début in medias res qui ne délivre que peu d’informations sur les personnages

*Un début in medias res :
- le pronom numéral dans « tous les trois » : comme si ces « trois » étaient déjà connus du lecteur
- le démonstratif dans « ce cheval » : suggère qu’on sait de quel cheval le narrateur parle.
*Ce que l’on sait des personnages : quasiment rien
- Ils sont trois l.1, 12 et l.27 et quasiment toujours évoqués ensemble, soit par le pronom numéral « trois », soit par des pronoms pluriels « eux », « ils » → ils fonctionnent comme une seul personne.
- L’un d’eux s’appelle Joseph et fume (l.3-4) 
- Mention de « la mère » sans nom, mais dont l’âge avancé est suggéré : comparatif « bien plus vieux que la mère » l.19
- Absolument rien sur le 3ème personnage.
- On connaît le ressenti commun à ces personnages : « saturés d’ennui et d’amertume » l.13, et finalement « dégoûtés » l.24, après la mort du cheval → uniquement des émotions négatives

B. Le cadre spatio-temporel est lui aussi assez flou et comme hors du monde

- isolé du monde extérieur, dans un « coin de plaine » l.12 répété l.25 + adjectif « seuls » l.6 + nom « solitude » l.26
- ce coin de plaine est associé à un lexique soulignant sa pauvreté : « saturé de sel » l.12, « stérilité » l.26 et métaphore « désert où rien ne pousse » l.14
- répétition à 3 reprise de l’adverbe « jusque » l.11 et 12 : accentue l’idée d’éloignement de ce coin de plaine
- par opposition à « monde extérieur » l.7, « ce monde » l.8, « du monde » l.17
- le « monde » est associé au nom propre « Ram » l.28, qui désigne une ville de Cochinchine (dans l’actuel Cambodge)
- aucune indication sur l’époque.

C. Finalement, le cadre et les personnages se confondent (famille repliée sur elle-même, dans un coin à l’écart ; solitude et désespoir)

- par un jeu de parallélisme, l’endroit est comparé aux personnages : « jusqu’à leur coin de plaine saturé de sel, jusqu’à eux trois saturés d’ennui et d’amertume » l.12-13 → on comprend alors que la désolation touche tout autant le cadre que les personnages, et que ce qui est dit du lieu en dit autant sur les personnages.
- l.26 : « dans la solitude et la stérilité de toujours » unit dans une même formule les personnages (concernés par la « solitude ») et le lieu (concerné, lui, par la « stérilité ») → ici encore, lieu et personnages sont liés presque sans distinction.
- l’adverbe « toujours » (l.26) instaure une dimension éternelle à ce lieu, comme s’il ne changeait jamais, comme s’il restait inexorablement le même. Et par extension, ces trois personnages semblent figés dans l’ennui et la solitude.


II. Qui met en tension les thématiques du roman

A. Le cheval incarne les espoirs et les échecs

- il représente le trait d’union avec le monde extérieur, permet de sortir de la solitude de la plaine pour se mêler aux autres, ceux du « monde » : « reliés par ce cheval au monde extérieur » l.6-7, « amener jusqu’à leur coin de plaine » l.11-12
- il incarne l’espoir : il est ironiquement assimilé aux « transports » l.14, comme si à lui seul il représentait la modernité… ironie car juste après, par opposition, on apprend qu’il meurt de vieillesse (l.23).
- C.L de l’extraction : « faire sortir » l.15, « extraire » l.8 et 10, « extérieur » l.7 : comme si le cheval marquait le début de la richesse, de l’extraction de pierres précieuses. Ce C.L annonce le diamant à venir.
- Les concessives « même si » répété 3 fois(l.2, 8 et 9) et « tout de même » (l.7) : en gradation descendante : « payer les cigarettes de Joseph » puis « extraire quelque chose » puis « pas grand-chose » et enfin « misérable » → l’espoir que représente le cheval s’amenuise de jour en jour, jusqu’à sa mort.
- Le lecteur apprend alors que le cheval sur lequel tout l’espoir reposait est « trop vieux » l.18, avec insistance sur cette vieillesse grâce à l’adverbe « trop », à la comparaison avec l’âge de la mère (« bien plus vieux que » l.19) et surtout avec celle du « vieillard centenaire » (l.20).

B. Le narrateur instaure une certaine distance avec les personnages

- Focalisation zéro (ou omnisciente) : permet au narrateur d’instaurer une distance avec ses personnages et ainsi de donner discrètement son avis.
- Ironie tragique : le 1er long paragraphe marque l’espoir, même infime que représente ce cheval, avec une longue phrase (l.5 à 13) égrainant cet espoir. Espoir réduit en miette par la phrase très brève : « cela dura huit jours ». Le pronom « cela » désigne tout aussi bien la durée de vie du cheval que l’espoir qui y était associé.
- Décalage presque cynique entre la personnification du cheval (« vieillard » + « essaya honnêtement de faire le travail qu’on lui demandait ») et l’annonce de sa mort, par le verbe familier « creva » → comme si le narrateur éprouvait de la pitié pour ce cheval, sentiment non partagé par les personnages qui ne voient en cette bête qu’un moyen de sortir de leur enclave.
- D’ailleurs, le paragraphe suivant n’évoque que le « dégoût » des personnages qui se retrouvent sans cheval, et non pas leur tristesse d’avoir perdu un compagnon → âpreté de ces personnages dénués d’empathie ?

C. Et ménage un effet d’attente pour rompre le cercle de l’enfermement et de l’ennui

- la tournure emphatique (« c’est...que ») dans « Et c’est le lendemain à Ram que... »l. 30 + la mise en paragraphe de cette phrase unique fait office d’élément déclencheur : alerte le lecteur sur l’importance fondamentale de la rencontre de Ram.
- Analepse : « la rencontre qui allait changer leur vie » : Ram est le lieu du monde, de la vie donc de la consolation, du changement, par opposition à la plaine, immobile et éternelle.
- La « bonne idée » commentée par le narrateur  :
- Le commentaire final reprend l’expression de la première phrase à sa charge (dans la 1ère phrase, la « bonne idée » était pensée par les personnages dans une focalisation interne), dans une évolution cyclique.
- Sorte d’aphorisme : déterminant indéfini « une » + adverbe universalisant « toujours » + « est » au présent de vérité générale
- Quasi anaphore « Comme quoi une idée est toujours une bonne idée » devient « Comme quoi une idée de ce genre est toujours une bonne idée », suivies à chaque fois du concessif « même si » : comme si le narrateur relativisait l’échec du cheval et tous les échecs possibles (pronom globalisant « tout » dans « même si tout échoue lamentablement l.38) → semble insister sur l’importance des décisions qui poussent à l’action ; l’absence d’idées, c’est l’immobilisme et la mort.


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