mardi 2 octobre 2018

Exemple de rédaction de commentaire ("Le Crapaud", 2ème axe)


             Le crapaud apparaît comme une créature ambiguë. D’abord, il vit dans un cadre tout en ombres et lumière, comme en témoignent les nombreuses antithèses : « nuit » et « sombre » contre « lune » et « métal clair » dans la première strophe ou « ombre » opposé à « lumière » dans la suite du poème. Par ailleurs, le crapaud lui-même est décrit par des métaphores étonnantes, voire contradictoires, notamment dans l’oxymore « rossignol de la boue », où les idées de liberté, d’envol et de joie suggérées par le « rossignol » sont ruinées par le complément : « la boue » laisse imaginer, au contraire, la pesanteur et le spleen. De même, la métaphore du « poète tondu, sans aile », oppose l’art et la création au manque et à l’absence contenus dans « tondu, sans aile ». Ainsi, on ne sait pas vraiment si le crapaud est considéré comme une créature libre et inspirée ou comme un animal méprisable. En outre, son comportement reste lui-même inexpliqué : lorsqu’ « il s’en va, froid, sous sa pierre », on ignore ce qui le pousse ainsi à se cacher. Est-il vexé par la réaction de rejet qu’il suscite ? A-t-il été dérangé dans son chant ? L’adjectif « froid », qui pourrait apporter une explication est polysémique : s’agit-il du sens propre - froid car vivant enterré, dans la boue - ou du sens figuré - indifférent, voire vexé ? Rien ne nous permet de trancher. On a donc affaire à une créature énigmatique.
             C’est dans le dernier vers du poème que l’on comprend que le crapaud est le double du poète. On peut d’ailleurs parler de poème à chute, grâce à l’effet de surprise ménagé par le vers entier en pointillés. La pointe du sonnet semble à la fois ironique et amère : « Bonsoir – ce crapaud-là, c'est moi. » Le pronom tonique « moi » prouve que le poète s'identifie au crapaud horrible et effrayant du poème. Le « Bonsoir » semble être une réponse amère à la femme qu’il dégoûte. Cette révélation finale invite à une relecture du poème, dans lequel quelques indices suggéraient déjà que le crapaud était le poète : d’abord, Corbière évoque le « chant » du crapaud, et non son coassement. Il annonce le chant ou les vers du poète. D’ailleurs, les nombreuses assonances en [oi] suggèrent le coassement : « pourquoi », « moi » et « vois » répétés deux fois, « froid », « bonsoir » : le poète semble coasser comme le crapaud ! Par ailleurs, la désignation « poète tondu » est transparente et apparaît moins comme une image que comme la réalité : ce crapaud est bel et bien le poète. Enfin, la métaphore « œil de lumière » fait référence au poète visionnaire, au poète déchiffreur de mystères tel que se le représentent les Romantiques.
             Cependant, le crapaud semble bien plutôt être l’allégorie du poète maudit et malheureux que du poète-prophète cher à Victor Hugo. Dans sa forme, d’abord : le sonnet est inversé, les deux tercets précèdent les quatrains, donnant un sonnet-monstre, à l’image du poète qui se trouve monstrueux. Le vers 9 participe de cette monstruosité : il est « boiteux », à l’image de Corbière… Il comporte une syllabe de trop. Le rythme chaotique, dû aux tirets, exclamations et autres coupes peu traditionnelles, reflète l’esprit torturé du poète et le vers 13 suggère une image de mort : « froid, sous la pierre » : méprisé car il fait « horreur », inadapté au monde dans lequel il vit, le poète s’exclut du monde, semble se condamner à mort. Le spleen évoqué dans ce poème semble inspiré par Baudelaire : le poète « sans aile », empêché de voler est une allusion à ce dernier chez qui l’idéal prend souvent la figure d’un oiseau, d’un envol (dans « Élévation » ou « L'Albatros » par exemple). Ici, le poète ne peut atteindre l’idéal, il est plaqué au sol, enfoncé dans le sol : « enterré », « sous sa pierre ». L’oxymore « rossignol de la boue » suggère quant à lui un embourbement dans ce que Baudelaire appelle « la fange » ou « les miasmes sordides » de l’existence. Le poète-rossignol est voué au malheur, à la honte, il reste dans la boue. Cependant, la boue évoque aussi le pouvoir du poète, lorsque l'on pense au vers de Baudelaire « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or ».

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