mardi 24 avril 2018

Huis-Clos, L.A 3 : "Tu n'es rien d'autre que ta vie"

Huis-Clos, L.A n° 3 : « Tu n'es rien d'autre que ta vie »

Problématiques possibles :
Quel enfer pour Garcin ?
Comment Estelle condamne-t-elle Garcin à être lâche ?
Comment cette scène illustre-t-elle l'existentialisme sartrien ?
 
 
Garcin n'est pas sorti du huis-clos quand la porte s'est ouverte, il s'en explique dans cet extrait :
  1. Garcin veut prouver à Inès qu'il n'est pas lâche / Inès, l'espoir de Garcin
1.Garcin choisit Inès parce qu'elle lui ressemble => exclusion d'Estelle

- Surprise : c'est à cause d'Inès, alors qu'auparavant, c'était avec Estelle qu'il faisait front contre Inès.
Cette surprise est marquée par les deux femmes : didascalie d'Estelle : « avec stupeur » l.4 + répétition incrédule d'Inès : « A cause de moi ? » l.6 et 9
 
- Explication de Garcin : « Tu sais ce qu'est un lâche toi » l.11 => insistance avec le pronom tonique « toi » qui différencie Inès d'Estelle (implicitement : Estelle, elle, ne sait pas).

- Inès et Garcin se ressemblent : « oui » répété par l'un et l'autre l. 11 et 13

- Toute la description est faite à la 2ème personne : « tu », qui désigne Inès, et en même temps Garcin.

- Garcin décrit le sentiment de lâcheté par un ensemble de sentiments négatifs : « mal, honte, peur » + incidence sur le corps : « coeur, bras, jambes » => la lâcheté paralyse, empêche d'agir + incidences sur la pensée : « ne savais plus que penser, n'arrivais plus à déchiffrer » => la lâcheté ankylose la réflexion.

Cette description de la lâcheté est en même temps assez surprenante : s'il la connaît si bien, cette lâcheté, c'est qu'il l'a lui-même vécue, donc il est un lâche, selon les dires d'Inès.
- Inès est toujours très honnête, elle affirme sa connaissance de la lâcheté : « oui » l.24 + l.10 et 11 : « je sais, tu sais » + champ lexical de la connaissance l.15 à 25 (« tu sais, tu connais, connaissance de cause »)

- Garcin utilise le « toi », « tu » pour désigner Inès, et en même temps, sa propre conscience.

- Mise en valeur du « toi » par le présentatif « c'est » => accentue la différence avec Estelle, qui n'a pas besoin d'être convaincue puisqu'elle s'en fiche totalement (elle ne s'intéresse qu'au corps)

- « de ma race » = ressemblance G et Inès, compréhension mutuelle

  1. Garcin a besoin de la reconnaissance d'Inès 
- l.1 : « c'est à cause d'elle que je suis resté » => la reconnaissance d'Inès est plus forte que l'emprisonnement physique => Garcin est surtout prisonnier du jugement d'Inès

- « je dois convaincre » l.26 + « je ne pouvais pas » l.27-28 = modalisateurs « devoir » et « pouvoir » qui induisent l'obligation psychologique, pour la tranquillité de conscience de G.

- « Si tu me crois, tu me sauves » l.40 : cette absolution de G. passe par Inès : le « tu » d'Inès est sujet tandis que le « me » de Garcin est objet. Le « me » dépend du « tu » tout-puissant.

- Objectif prioritaire et ultime de Garcin : « j'y mettrai le temps qu'il faudra »

- Inès est décrite comme dominatrice : « triomphante » + « toutes ces pensées » répété 2 x => insistance sur le pouvoir d'Inès : « qui me concernent » => elle possède Garcin parce qu'elle le juge, elle le prend pour un « lâche » : « tu dis que je suis lâche » l.20

- Inès est l'ultime secours de Garcin : « je ne suis plus rien sur terre » l.36 + Estelle « ne compte pas » l.39 => il ne reste qu'Inès.

Inès est le seul espoir, c'est pourquoi G. a tant besoin d'elle.

  1. Une démonstration pour convaincre Inès 
Champ lexical de l'argumentation : « convaincre » l.26, 32, 91 « prouve » x2 l.65, « persuader » l.79, « arguments » l.79, « réponse » l.76
Un argumentaire difficile : « pas facile » l.42, « tête dure » l.42, « le temps » l.45, « réponse à tout » l.76, « effort » l.80
 
Garcin veut qu'Inès le comprenne, sa démonstration :
  • constat de départ qui le disculpe en le montrant comme tout le monde : « chacun a son but » l.48
  • se montre encore sous un jour positif, se dépeint en héros désintéressé (« me foutais de l'argent, de l'amour » l.49) et intrépide (« dangereux » l.53, « dur » l.50).
  • Joue sur un paradoxe dans une question rhétorique : « lâche » vs « les plus dangereux » => montre que la voie qu'il a choisie le disculpe parce qu'elle était difficile et qu'il n'a donc pas pu être lâche.
  • Utilise le pronom indéfini « on » l.51 et 52 au lieu du « je » => se disculpe tout seul, se met à distance, comme si la démonstration de sa non-lâcheté avait été faite.
  • Termine sur une autre question rhétorique, encore un paradoxe, ou au moins une antithèse : « une vie » / « un seul acte » => Sa vie = le choix de « chemins les plus dangereux » et ce « seul acte » = la fuite de Garcin vers Rio pour ne pas avoir à combattre. A cette question, Garcin semble répondre : « non, un seul acte raté ne peut pas condamner toute une vie ».
  • Il montre qu'il a eu la liberté de choisir mais qu'il a « tout misé sur le même cheval » l.50
  • Devant les doutes d'Inès, il se défend en disant qu'il est mort « trop tôt », qu'il n'a pas eu « le temps » de prouver qu'il était un héros ; il était un héros potentiel. Il accuse un « on » qui ne lui a pas laissé le temps.
Il joue aussi de la persuasion :
  • didascalie « la prenant aux épaules » l.47 => veut capter son attention totale, son regard
  • « écoute » + « n'est-ce pas » l.48 => cherche à ce qu'ils soient complices
  • Son dernier « argument », voyant qu'il ne peut pas convaincre Inès, est la violence : didascalie l.89. Mais même cet « argument » ne peut pas fonctionner : d'une part parce qu'ils sont morts, d'autre part, parce qu'Inès montre que sa pensée ne peut pas être empêchée : « on n'attrape pas les pensées avec les mains » l.92
II. Inès ne se laisse pas convaincre
    1. Inès met à mal la démonstration de Garcin
1) en opposant l'acte et l'imagination, l'action et le projet :
-elle pose l'hypothèse que Garcin n'a fait qu'imaginer qu'il était un héros :
répétion de mots de la famille de rêve : « rêvé » l.57, l.64, 67

-Elle montre qu'il n'a jamais agi dans un sens héroïque : répétion du terme « actes » : « les actes » l.68, « mes actes » l.71.

-Elle ironise sur le soi-disant héroïsme de Garcin : « tu avais du coeur » l.58, « héros » l.59, + « danger » l.61, « pied du mur » l. 61 (double ironie, G. est mort fusillé, contre un mur probablement), les points de suspension participent aussi de l'ironie puisque la chute est en décalage avec l'héroïsme qui précède : « Tu as pris le train » = son seul acte était un acte de fuite.

-Elle utilise le champ lexical de la lâcheté

2) en montrant que tout est déjà joué, on ne peut plus revenir dessus :

-Elle se montre très cartésienne, utilise un lexique mathématique irréfutable : « trait tiré » (qui symbolise la mort), « faire la somme » => elle est impitoyable, sait que Garcin ne peut pas la contredire (ce qu'il reconnaît lui-même : « tu as réponse à tout » l.78

-Elle souligne l'idée de la mort comme échéance inexorable : « meurt », « terminée », « trait […] tiré », « la somme ».

2. Une Inès diabolique et toute-puissante

-Elle donne des ordres, comme d'habitude, utilise des impératifs (« fermez la porte »)
 
-Elle accule Garcin, le nargue : répétition de « prouve-le », « prouve » l.67, elle utilise des exclamations et des interjections : « Allons ! » x2, « eh bien » x2, « Ah! » l.84 puis l.90

-Elle est diabolique : « vipère », au sens biblique = le Malin, le diable.

-Elle est sadique : « comme tu vas payer à présent » => elle va le faire payer

-Elle domine Garcin : « tu n'as pas le choix » l.93, « je le veux » x3 (l.86), « je te tiens » l.94, « il faut » l.93 = en opposition avec la liberté de choix qu'avait Garcin quand il était en vie : « a choisi », « tout misé » => maintenant, Garcin a perdu sa liberté, il est sous l'entière dépendance d'Inès.

-Elle est l'enfer de Garcin : « un lâche parce que je le veux » => le rapport de cause à effet montre qu'Inès possède Garcin, elle porte un jugement sur lui qu'il ne peut supporter.

-Elle ironise encore sur la différence entre acte et pensée : elle montre qu'une pensée peut faire du mal, plus de mal qu'un acte : « je suis faible, un souffle », « le regard qui te voit », « pensée incolore », « les pensées ». Ce faisant, elle montre qu'en enfer, seule la pensée compte, par opposition à la vie où seuls les actes comptent. Ironie du sort !

3. Inès incarne l'existentialisme de Sartre

- Pour Inès, la vie = la somme de ses actes, d'où cette formule lapidaire et limpide : « tu n'es rien d'autre que ta vie », donc la somme de tes actes.
- La thèse d'Inès = celle de Sartre : seuls les actes décident de ce qu'on a voulu ; un homme est jugé sur ses actes et non sur ses intentions ; on n'est rien que la somme de nos actes ; « l'existence précède l'essence »
- Inès = Sartre car : c'est elle qui domine l'échange, c'est elle qui gagne la partie
- Elle formule des maximes à valeur universelle : « seuls les actes décident de ce qu'on a voulu » l.68, « on meurt toujours trop tôt – ou trop tard » l.73, « on n'attrape pas les pensées avec les mains » l.92 => on généralisant + adverbe « toujours » universalisant => elle est la voix de la raison, de la logique, de la vérité sartrienne.

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