G.T :
Utopie et dystopie dans la science-fiction au
XXème
siècle
TEXTE
A : Zamiatine,
Nous autres,
1924
Le
narrateur est chargé de rédiger son journal, pour d’éventuels
peuples extra-terrestres avec lesquels son gouvernement parviendrait
à communiquer.
Eh
bien, les Tables des Heures, elles, ont fait de chacun de nous un
héros épique à six roues d’acier. Tous les matins, avec une
exactitude de machines, à la même heure et à la même minute,
nous, des millions, nous nous levons comme un seul numéro. À la
même heure et à la même minute, nous, des millions à la fois,
nous commençons notre travail et le finissons avec le même
ensemble. Fondus en un seul corps aux millions de mains, nous
portons la cuiller à la bouche à la seconde fixée par les
Tables ; tous, au même instant, nous allons nous promener,
nous nous rendons à l’auditorium, à la salle des exercices de
Taylor, nous nous abandonnons au sommeil...
Je
serai franc : nous n’avons pas encore résolu le problème du
bonheur d’une façon tout à fait précise. Deux fois par jour,
aux heures fixées par les Tables, de seize à dix-sept heures et de
vingt et une à vingt-deux heures, notre puissant et unique
organisme se divise en cellules séparées. Ce sont les Heures
Personnelles. À ces heures, certains ont baissé sagement les
rideaux de leurs chambres, d’autres parcourent posément le
boulevard en marchant au rythme des cuivres, d’autres encore sont
assis à leur table, comme moi actuellement.
On
me traitera peut-être d’idéaliste et de fantaisiste, mais j’ai
la conviction profonde que, tôt ou tard, nous trouverons place
aussi pour ces heures dans le tableau général, et qu’un jour,
les 86 400 secondes entreront dans les Tables des Heures.
J’ai
eu l’occasion de lire et d’entendre beaucoup d’histoires
incroyables sur les temps où les hommes vivaient encore en liberté,
c’est-à-dire dans un état inorganisé et sauvage. Ce qui m’a
toujours paru le plus invraisemblable est ceci : comment le
gouvernement d’alors, tout primitif qu’il ait été, a-t-il pu
permettre aux gens de vivre sans une règle analogue à nos Tables,
sans promenades obligatoires, sans avoir fixé d’heures exactes
pour les repos ! On se levait et on se couchait quand l’envie
vous en prenait, et quelques historiens prétendent même que les
rues étaient éclairées toute la nuit et que toute la nuit on y
circulait.
C’est
une chose que je ne puis comprendre. Quelque trouble qu’ait été
leur raison, les gens ne devaient pourtant pas être sans
s’apercevoir qu’une vie semblable était un véritable
assassinat de toute la population, un assassinat lent qui se
prolongeait de jour en jour. [...]
N’est-il
pas absurde que le gouvernement d’alors, puisqu’il avait le
toupet de s’appeler ainsi, ait pu laisser la vie sexuelle sans
contrôle ? N’importe qui, quand ça lui prenait... C’était
une vie absolument a-scientifique et bestiale. Les gens produisaient
des enfants à l’aveuglette, comme des animaux. N’est-il pas
extraordinaire que, pratiquant le jardinage, l’élevage des
volailles, la pisciculture (nous savons de source sûre qu’ils
connaissaient ces sciences), ils n’aient pas su s’élever
logiquement jusqu’à la dernière marche de cet escalier : la
puériculture. Ils n’ont jamais pensé à ce que nous appelons les
Normes Maternelle et Paternelle.
Ce
que je viens d’écrire est tellement invraisemblable et tellement
ridicule, que je crains, lecteurs inconnus, que vous ne me preniez
pour un mauvais plaisant. Vous allez croire que je veux tout
simplement me payer votre tête en vous racontant des balivernes sur
un ton sérieux ? Pourtant je ne sais pas blaguer, car dans
toute blague le mensonge joue un rôle caché et, d’autre part, la
Science de l’État Unique ne peut se tromper. Comment pouvait-on
parler de logique gouvernementale lorsque les gens vivaient dans
l’état de liberté où sont plongés les animaux, les singes, le
bétail ? Que pouvait-on obtenir d’eux lorsque, même de nos
jours, un écho simiesque se fait encore entendre de temps en
temps ?
Mais,
fort heureusement, cela n’arrive que rarement et c’est une
petite question de mise au point ; il est facile d’y remédier
sans arrêter la marche éternelle de toute la Machine. Pour
remplacer la clavette tordue, nous avons la main habile et puissante
du Bienfaiteur, nous avons l’œil exercé des Gardiens...
TEXTE
B :
Aldous Huxley,
Le Meilleur des mondes
(chap.17),
1932
John,
dit « Le Sauvage » parce qu’il a
été élevé dans une réserve indienne, discute avec
Mustapha Menier, Administrateur du Gouvernement
Mondial.
-
Pourquoi ne leur faites-vous pas lire Othello ?
-
Je vous l’ai dit : c’est vieux. D’ailleurs, ils ne le
comprendraient pas. […]
Parce que notre
monde n’est pas celui d’Othello.
On ne peut pas faire de tacots sans acier, et l’on ne peut pas
faire de tragédies sans instabilité sociale. Le monde est stable,
à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils
veulent, et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir.
Ils sont à l’aise ; ils sont en sécurité ; ils ne
sont jamais malades ; ils n’ont pas peur de la mort ;
ils sont dans une sereine ignorance de la passion et de la
vieillesse ; ils ne sont encombrés de nuls pères ni mères ;
ils n’ont pas d’épouses, pas d’enfants, pas d’amants, au
sujet desquels ils pourraient éprouver des émotions violentes ;
ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne
peuvent s’empêcher de se conduire comme ils le doivent.
[...]
Vous êtes conditionné de telle sorte que vous ne pouvez vous
empêcher de faire ce que vous avez à faire. Et ce que vous avez à
faire est, dans l'ensemble, si agréable, on laisse leur libre jeu à
un si grand nombre de vos impulsions naturelles, qu'il n'y a
véritablement pas de tentations auxquelles il faille résister. Et
si jamais, par quelque malchance, il se produisait d'une façon ou
d'une autre quelque chose de désagréable, eh bien, il y a toujours
le soma qui vous permet de prendre un congé, de vous évader de la
réalité. Et il y a toujours le soma pour calmer votre colère,
pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et
vous aider à supporter les ennuis. Autrefois, on ne pouvait
accomplir ces choses-là qu'en faisant un gros effort et après des
années d'entraînement moral pénible. A présent, on avale deux ou
trois comprimés d'un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut
être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au
moins la moitié de sa moralité. Le christianisme sans larmes,
voilà ce qu'est le soma.
-
Mais les larmes sont nécessaires. Ne vous souvenez-vous pas de ce
qu'a dit Othello ? « Si, après toute tempête, il advient de tels
calmes, alors, que les vents soufflent jusqu'à ce qu'ils aient
réveillé la mort! » Il y a une histoire que nous contait l'un des
vieux Indiens, au sujet de la Fille de Matsaki. Les jeunes gens qui
désiraient l'épouser devaient passer une matinée à sarcler son
jardin avec une houe. Cela semblait facile ; mais il y avait des
mouches et des moustiques, tous enchantés. La plupart des jeunes
gens étaient absolument incapables de supporter les morsures et les
piqûres. Mais celui qui en était capable, celui-là obtenait la
jeune fille.
-
Charmant ! Mais dans les pays civilisés, dit l'Administrateur, on
peut avoir des jeunes filles sans sarcler pour elles avec une houe;
et il n'y a pas de mouches ni de moustiques pour vous piquer. Il y a
des siècles que nous nous en sommes complètement débarrassés.
Le
Sauvage eut un signe de tête d'acquiescement, avec un froncement
des sourcils,
-
Vous vous en êtes débarrassés. Oui, c'est bien là votre manière.
Se débarrasser de tout ce qui est désagréable, au lieu
d'apprendre à s'en accommoder. C'est trop facile. [...] N'est-ce
pas quelque chose, que de vivre dangereusement ?
-
Je crois bien, que c'est quelque chose! répondit l'Administrateur.
Les hommes et les femmes ont besoin qu'on leur stimule de temps en
temps les capsules surrénales.
-
Comment ? interrogea le Sauvage, qui ne comprenait pas.
-
C'est l'une des conditions de la santé parfaite. C'est pourquoi
nous avons rendu obligatoires les traitements de S.P.V.
-
S.P.V. ?
-
Succédané de Passion Violente. Régulièrement, une fois par mois,
nous irriguons tout l'organisme avec un flot d'adrénaline. C'est
l'équivalent physiologique complet de la peur et de la colère.
Tous les effets toniques que produit le meurtre de Desdémone2
et le fait d'être tuée par Othello, sans aucun des désagréments.
-
Mais cela me plaît, les désagréments.
-
Pas à nous, dit l'Administrateur. Nous préférons faire les choses
en plein confort.
-
Mais je n'en veux pas, du confort. Je veux Dieu, je veux de la
poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je
veux de la bonté. Je veux du péché.
-
En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d'être
malheureux.
-
Eh bien, soit, dit le Sauvage d'un ton de défi, je réclame le
droit d'être malheureux.
-
Sans parler du droit de vieillir, de devenir laid et impotent ; du
droit d'avoir la syphilis et le cancer ; du droit d'avoir trop peu à
manger ; du droit d'avoir des poux ; du droit de vivre dans
l'appréhension constante de ce qui pourra se produire demain ; du
droit d'attraper la typhoïde ; du droit d'être torturé par des
douleurs indicibles de toutes sortes.
Il
y eut un long silence.
-
Je les réclame tous, dit enfin le Sauvage.
Mustapha
Menier haussa les épaules.
-
On vous les offre de grand coeur, dit-il.
1-
citation tirée de Hamlet
de Shakespeare. 2-
Desdémone est tuée par son amant jaloux,
Othello.
TEXTE
C :
Orwell,
1984,
1948
À
l’intérieur de l’appartement de Winston, une voix sucrée
faisait entendre une série de nombres qui avaient trait à la
production de la fonte. La voix provenait d’une plaque de métal
oblongue, miroir terne encastré dans le mur de droite. Winston
tourna un bouton et la voix diminua de volume, mais les mots étaient
encore distincts. Le son de l’appareil (du télécran, comme on
disait) pouvait être assourdi, mais il n’y avait aucun moyen de
l’éteindre complètement. Winston se dirigea vers la fenêtre. Il
était de stature frêle, plutôt petite, et sa maigreur était
soulignée par la combinaison bleue, uniforme du Parti. Il avait les
cheveux très blonds, le visage naturellement sanguin, la peau
durcie par le savon grossier, les lames de rasoir émoussées et le
froid de l’hiver qui venait de prendre fin.
Au-dehors,
même à travers le carreau de la fenêtre fermée, le monde
paraissait froid. Dans la rue, de petits remous de vent faisaient
tourner en spirale la poussière et le papier déchiré. Bien que le
soleil brillât et que le ciel fût d’un bleu dur, tout semblait
décoloré, hormis les affiches collées partout. De tous les
carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait
du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG BROTHER VOUS
REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs
pénétrait les yeux de Winston. Au niveau de la rue, une autre
affiche, dont un angle était déchiré, battait par à-coups dans
le vent, couvrant et découvrant alternativement un seul mot :
ANGSOC. Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un
moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche,
dans un vol courbe. C’était une patrouille qui venait mettre le
nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n’avaient pas
d’importance. Seule comptait la Police de la Pensée.
Derrière
Winston, la voix du télécran continuait à débiter des
renseignements sur la fonte et sur le dépassement des prévisions
pour le neuvième plan triennal. Le télécran recevait et
transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par
Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que
Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il
pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y
avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était
surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la
Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque,
personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle
surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle
pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le
désirait. On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient
instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que,
sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu.
Winston
restait le dos tourné au télécran. Bien qu’un dos, il le
savait, pût être révélateur, c’était plus prudent. À un
kilomètre, le ministère de la Vérité, où il travaillait,
s’élevait vaste et blanc au-dessus du paysage sinistre. Voilà
Londres, pensa-t-il avec une sorte de vague dégoût, Londres,
capitale de la première région aérienne, la troisième, par le
chiffre de sa population, des provinces de l’Océania. [...]
Le
ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue1 –
frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était
une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc
éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents
mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait
encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des
trois slogans du Parti :
LA
GUERRE C’EST LA PAIX
LA
LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE
C’EST LA FORCE
Le
ministère de la Vérité comprenait, disait-on, trois mille pièces
au-dessus du niveau du sol, et des ramifications souterraines
correspondantes. Disséminées dans Londres, il n’y avait que
trois autres constructions d’apparence et de dimensions analogues.
Elles écrasaient si complètement l’architecture environnante
que, du toit du bloc de la Victoire, on pouvait les voir toutes les
quatre simultanément. C’étaient les locaux des quatre ministères
entre lesquels se partageait la totalité de l’appareil
gouvernemental. Le ministère de la Vérité, qui s’occupait des
divertissements, de l’information, de l’éducation et des
beaux-arts. Le ministère de la Paix, qui s’occupait de la guerre.
Le ministère de l’Amour qui veillait au respect de la loi et de
l’ordre. Le ministère de l’Abondance, qui était responsable
des affaires économiques. Leurs noms, en novlangue, étaient :
Miniver, Minipax, Miniamour, Miniplein.
1-
Novlangue : nouvelle langue, destinée à réduire le
vocabulaire, donc la pensée.
TEXTE
D : Ira Levin,
Un bonheur
insoutenable
— Ils
attrapent des animaux, les mangent et s’habillent avec leurs peaux,
disait celui qui parlait, un petit garçon de huit ans. Et aussi, ils
se… « battent ». Ça veut dire qu’ils se font mal, exprès,
avec leurs mains ou bien avec des pierres ou des bâtons. Ils ne
s’aiment pas et ne s’aident pas. Pas du tout.
Les
quatre enfants l’écoutaient bouche bée. Une petite fille, plus
jeune que celui qui avait parlé, dit : « Mais on ne peut pas ôter
les bracelets. C’est impossible. »
Elle
tira sur son propre bracelet avec un doigt, pour montrer la solidité
des maillons.
— Si,
on peut, si on a les outils qu’il faut, dit le garçon. On l’ôte
bien le jour de l’union, non ?
—
Oui, mais seulement pour une
seconde.
—
Peut-être, mais on l’ôte.
— Où
vivent-ils ? demanda un autre.
— Au
sommet des montagnes. Dans des cavernes. Dans un tas d’endroits où
on ne peut pas les trouver.
— Ils
doivent être malades, dit la première petite fille.
—
Bien sûr ! s’exclama le
garçon en riant. C’est pourquoi on les appelle « incurables ».
Incurable veut dire malade. Ils sont très, très malades.
Le
plus jeune des enfants, un garçon d’environ six ans, dit :
— Ils
ne se font pas faire leurs traitements ?
L’autre
le regarda avec dédain.
—
Sans leurs bracelets ? Dans
des cavernes ? […]
Le
petit garçon, que l’on appelait parfois Copeau mais plus souvent
Li – son noméro était Li RM35M4419 –, n’ouvrit pas la bouche
de tout le repas, mais sa sœur Paix bavardait tellement que ses
parents ne remarquèrent même pas son silence. Ce ne fut que lorsque
tous quatre se furent installés dans les fauteuils TV que sa mère
le regarda de plus près.
— Tu
es sûr que tu te sens bien. Copeau ? [...]
—
Jésus nous a raconté des
choses… Jésus DV. Pendant qu’on jouait.
— De
quoi a-t-il parlé ? [...]
— De
membres qui… qui tombent malades et quittent la Famille. Ils
s’enfuient et ôtent leurs bracelets.
— Ah,
les incurables ! dit sa mère un peu sèchement.
Il
hésita, mal à l’aise à cause du ton de sa mère – et aussi
parce qu’elle savait.
—
C’est vrai ? finit-il par
demander.
—
Non. Non, ce n’est pas vrai.
Non. Je vais appeler Bob. Il t’expliquera.
[…]
Elle toucha de son bracelet la plaque du combiné et composa le
noméro imprimé en rouge sur une carte glissée sous le cadran : «
Bob NE20G3018. » Elle attendit, en se frottant nerveusement les
mains. [...]
Vingt
minutes plus tard, Bob était là.
— Il
est dans sa chambre, lui dit la mère de Copeau.
[…]
Il se dirigea vers la chambre de Copeau et regarda par la porte
ouverte.
—
Bonjour, Li.
Copeau
leva la tête.
—
Bonjour, Bob.
Bob
entra et s’assit sur le bord du lit. Il mit son téléord à terre,
posa la main sur le front de Copeau puis lui ébouriffa les cheveux.
[…]
— Il
paraît qu’on t’a raconté un tas d’histoires sur les
incurables ?
—
C’est rien que des histoires
? demanda Copeau.
—
Rien de plus, Li. C’était
vrai il y a très, très longtemps, mais plus maintenant. […] Nous
n’avons pas toujours été aussi forts en chimie et en médecine
que maintenant. Encore une cinquantaine d’années après
l’Unification, il arrivait que des membres tombent malades ; pas
beaucoup, mais tout de même quelques-uns. Ils s’imaginaient qu’ils
n’étaient pas des membres. Il y en avait qui s’enfuyaient et
allaient vivre dans des endroits que la Famille n’utilisait pas,
comme des îles désertes ou des sommets de montagnes, par exemple.
[...]
—
Jésus m’a dit qu’ils…
je crois qu’on dit « se battaient ».
Bob
se détourna, gêné.
— Il
vaut mieux dire « agissaient agressivement ». Oui, ils le
faisaient.
Copeau
leva les yeux sur lui.
—
Mais ils sont morts maintenant
?
—
Oui, ils sont morts. Tous.
Jusqu’au dernier. [...] Il y a longtemps, bien longtemps. Cela
n’arrive plus jamais maintenant. […] Alors, la prochaine fois que
quelqu’un te parlera des incurables, n’oublie pas deux choses :
premièrement, les traitements sont devenus beaucoup plus efficaces
qu’en ce temps-là, et deuxièmement, UniOrd est là et veille sur
nous d’un bout à l’autre de la terre. D’accord ?
—
D’accord, dit Copeau, avec
un sourire confiant.
—
Voyons ce qu’il dit de toi.
Bob
prit son téléord et l’ouvrit sur ses genoux. Copeau s’approcha
et releva la manche de son pyjama pour découvrir son bracelet.
— Tu
crois que j’aurai droit à un traitement supplémentaire, Bob ? […]
—
Demain à 12 h 25,
annonça-t-il.
—
Merveilleux ! Merci, Bob !
— Uni
merci, dit Bob en refermant la machine. Qui t’avait parlé des
incurables ? Jésus comment ?
—
DV33 quelque chose. Il vit au
vingt-quatrième étage. […]
— Il
aura aussi droit à un traitement de plus ?
—
S’il en a besoin. Je vais
avertir son conseiller. Et maintenant, au dodo, petit frère. Il y a
école demain. [...] Les parents de Copeau se levèrent avec
appréhension lorsque Bob revint.
—
Tout va bien, leur
annonça-t-il. Il est déjà presque endormi. Il aura un traitement
supplémentaire demain à l’heure du déjeuner. Sans doute un petit
tranquillisant.
— Ah
! quel soulagement, dit la mère de Copeau, et son père ajouta :
—
Merci, Bob.
— Uni
merci, dit Bob. (Il alla vers le téléphone.) Je voudrais aider
l’autre garçon, expliqua-t-il. Celui qui lui a raconté tout ça.
Il toucha la plaque du combiné.
[…]
Plus tard dans l’après-midi, sur le terrain de jeux, le petit
Jésus DV qui lui avait parlé des incurables s’approcha de Copeau
pour le remercier.
— Uni
merci, dit Copeau. J’ai eu droit à un traitement supplémentaire.
Et toi ?
— Moi
aussi, dit Jésus. De même que les autres, et aussi Bob UT, qui me
l’avait raconté.
— Ça
m’avait fait un peu peur de penser à des membres qui tombent
malades et qui s’enfuient.
— À
moi aussi, un peu. Mais c’était il y a très, très longtemps.
Cela n’arrive plus maintenant.
— Les
traitements sont meilleurs maintenant que dans le temps, renchérit
Copeau.
—
Oui, dit Jésus, et nous avons
UniOrd qui nous surveille d’un bout à l’autre de la terre.
—
Tout
juste, dit Copeau.
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