« Blason
du Laid Tétin », Clément
Marot (1496-1544), Épigrammes, 1535
Tétin
qui n’as rien que la peau,
Tétin
flac, tétin de drapeau,
Grand’tétine,
longue tétasse,
Tétin,
dois-je dire: besace ?
Tétin
au grand bout noir
Comme
celui d’un entonnoir,
Tétin
qui brimballe à tous coups,
Sans
être ébranlé ne secous.
Bien
se peut vanter qui te tâte
D’avoir
mis la main à la pâte.
Tétin
grillé, tétin pendant,
Tétin
flétri, tétin rendant
Vilaine
bourbe en lieu de lait,
Le
Diable te fit bien si laid !
Tétin
pour tripe réputé,
Tétin,
ce cuidé-je, emprunté
Ou
dérobé en quelque sorte
De
quelque vieille chèvre morte.
Tétin
propre pour en Enfer
Nourrir
l’enfant de Lucifer ;
Tétin,
boyau long d’une gaule,
Tétasse
à jeter sur l’épaule
Pour
faire – tout bien compassé -
Un
chaperon du temps passé,
Quand
on te voit, il vient à maints
Une
envie dedans les mains
De
te prendre avec des gants doubles,
Pour
en donner cinq ou six couples
De
soufflets sur le nez de celle
Qui
te cache sous son aisselle.
Va,
grand vilain tétin puant,
Tu
fournirais bien en suant
De
civettes et de parfum
Pour
faire cent mille défunts.
Tétin
de laideur dépiteuse,
Tétin
dont Nature est honteuse,
Tétin,
des vilains le plus brave,
Tétin
dont le bout toujours bave,
Tétin
fait de poix et de glu,
Bren,
ma plume, n’en parlez plus !
Laissez-le
là, ventre saint George,
Vous
me feriez rendre ma gorge.
« O
beaux cheveux d'argent … » (Du
Bellay, Les Regrets,
1556)
O
beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
O
front crespe et serein ! et vous face dorée !
O
beaux yeux de cristal ! ô grand'bouche honorée,
Qui
d'un large reply retrousses tes deux bords !
O
belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui
faites d'un seul ris toute âme énamourée !
O
gorge damasquine en cent plis figurée !
Et
vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
O
beaux ongles dorés ! ô main courte, et grassette !
O
cuisse délicate ! et vous jambe grossette,
Et
ce que je ne puis honnestement nommer !
O
beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
O
divines beauté ! pardonnez-moi, de grace,
Si,
pour estre mortel, je ne vous ose aimer.
« L'Anatomie
de l'oeil », Pierre de Marbeuf, (1596 - vers 1635)
L'oeil
est dans un château que ceignent les frontières
De
ce petit vallon clos de deux boulevards.
Il
a pour pont-levis les mouvantes paupières,
Le
cil pour garde-corps, les sourcils pour remparts.
Il
comprend trois humeurs, l'aqueuse, la vitrée,
Et
celle de cristal qui nage entre les deux :
Mais
ce corps délicat ne peut souffrir l'entrée
A
cela que nature a fait de nébuleux.
Six
tuniques tenant notre oeil en consistance,
L'empêche
de glisser parmi ses mouvements,
Et
les tendons poreux apportent la substance
Qui
le garde, et nourrit tous ses compartiments.
Quatre
muscles sont droits, et deux autres obliques,
Communiquant
à l'oeil sa prompte agilité,
Mais
par la liaison qui joint les nerfs optiques,
Il
est ferme toujours dans sa mobilité.
Bref,
l'oeil mesurant tout d'une même mesure,
A
soi-même inconnu, connait tout l'univers,
Et
conçoit dans l'enclos de sa ronde figure
Le
rond et le carré, le droit et le travers.
Toutefois
ce flambeau qui conduit notre vie,
De
l'obscur de ce corps emprunte sa clarté :
Nous
serons donc ce corps, vous serez l'oeil, Marie,
Qui
prenez de l'impur votre pure beauté.
« La
chevelure », Baudelaire, Les
Fleurs du Mal,
1862
Ô
toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
André
Breton « L'UNION
LIBRE »,
Clair
de terre,
1931
Ma
femme à la chevelure de feu de bois
Aux
pensées d'éclairs de chaleur
A
la taille de sablier
Ma
femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma
femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière
grandeur
Aux
dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A
la langue d'ambre et de verre frottés
Ma
femme à la langue d'hostie poignardée
A
la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A
la langue de pierre incroyable
Ma
femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux
sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma
femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et
de buée aux vitres
Ma
femme aux épaules de champagne
Et
de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma
femme aux poignets d'allumettes
Ma
femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux
doigts de foin coupé
Ma
femme aux aisselles de martre et de fênes
De
nuit de la Saint-Jean
De
troène et de nid de scalares
Aux
bras d'écume de mer et d'écluse
Et
de mélange du blé et du moulin
Ma
femme aux jambes de fusée
Aux
mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma
femme aux mollets de moelle de sureau
Ma
femme aux pieds d'initiales
Aux
pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma
femme au cou d'orge imperlé
Ma
femme à la gorge de Val d'or
De
rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux
seins de nuit
Ma
femme aux seins de taupinière marine
Ma
femme aux seins de creuset du rubis
Aux
seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma
femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au
ventre de griffe géante
Ma
femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au
dos de vif-argent
Au
dos de lumière
A
la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et
de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma
femme aux hanches de nacelle
Aux
hanches de lustre et de pennes de flèche
Et
de tiges de plumes de paon blanc
De
balance insensible
Ma
femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma
femme aux fesses de dos de cygne
Ma
femme aux fesses de printemps
Au
sexe de glaïeul
Ma
femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma
femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma
femme au sexe de miroir
Ma
femme aux yeux pleins de larmes
Aux
yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma
femme aux yeux de savane
Ma
femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma
femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux
yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu
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