samedi 30 avril 2016

Tristan et Iseut, LA4, Dupont-Monod

Problématiques possibles : en quoi ce texte redessine-t-il le mythe de Tristan et Iseut ?
En quoi consiste la modernité du mythe ?
E n quoi peut-on dire de ce monologue qu'il est tragique ?


I. Un monologue lyrique

A. Un monologue contre la rumeur de l'innocence
  • C'est un « je » qui parle, et qui exprime sa souffrance. « Je » : sujet de la quasi totalité des phrases dans le 1er paragraphe.
  • Solitude de l'homme réduit à parler seul (monologue). Personne sur qui s'épancher, puisque ni sa femme ni son fils ne peuvent l'écouter.
  • « on dit que » : rumeur, justification de l'amour interdit, par « un philtre », « ensorcelés », « erreur » : irresponsabilité des amants.
  • Mais Marc semble ne pas accorder d'importance à cette rumeur puisque : 1) résume en une phrase un acte, et le jugement commun porté sur l'erreur (« impardonnable »). Mais ne dit pas qui est coupable de l'erreur, ne s'appesantit pas sur les circonstances de l'erreur. 2) Ce « on dit » est nié immédiatement après par un « mais » qui refuse l'excuse du philtre.
B. Marc croit en la culpabilité des amants, leur trahison, :
  • opposition passé / présent l. 11 à 21 : « j'ai appris » → « et c'est aujourd'hui » ; « j'ai parlé » → « allait s'enfouir » ; « « j'ai mangé » → ont définitivement détourné » ; « j'ai serré » → allait devenir mon égal ». Le passé = actes d'amour, ce qu'il a fait ou donné aux personnes qu'il aimait ; le présent = comment ces actes se retournent contre lui et l'excluent. Tout cela est résumé dans la proposition l. 45-46 : « être brisé par ceux qu'on aime ».
  • Les possessifs, « mon fils adoptif », « ma femme », répétés dans de nombreuses occurrences (l. 29 à 37), mais l'excluant toujours : « ma femme » → « pour un autre » ; « mon fils qui aime ma femme » ; « s'uniraient derrière moi ». Il est à chaque fois absent de la relation.
  • « tous les deux » opposés à « moi », dans la 1ère phrase ; idem dans la 2ème phrase : « eux » opposés à « moi ».
  • Le pronom tonique « moi » est régulièrement tenue à distance, dans des formules négatives ou le niant : « non à moi », « loin de moi », « sans moi », « détourné son regard de moi ».
  • Les pensées obsédantes tournent en boucle : « Tristan et Yseut [...] Marc et Iseut ? » l. 32.

C. Il insiste sur l'inceste :
  • Tristan n'est plus le neveu de Marc, ici ; le narrateur insiste sur son rapport paternel à Tristan : gradation avec d'abord « adolescent » l. 11, puis « du fils », puis « mon fils » ;
  • les adjectifs « adoptif » et « presque » (adverbe adjectivé ; tournure très moderne) tiennent l'inceste à distance, comme si l'idée était trop insupportable à Marc.
  • Marc n'a pas seulement éduqué Tristan : « j'ai appris à un adolescent comment ... » ; il l'a aussi aimé : « j'ai serré entre mes bras la tête du fils ».
  • Emploi de mots très crûs ; Marc ne se voile pas la face : « mon fils qui aime ma femme » (noter l'allitération en [m] comme une litanie obsédante ), pour finir sur un amour charnel : « ma femme et mon fils adoptif s'uniraient ». Cet amour charnel est clair tout au long du 1er paragraphe, qui égraine les parties du corps : « bouche, corps, yeux, bras, tête ».


II. Qui dessine un nouveau tragique : celui de l'ironie du sort

A. Modernité de l'écriture :
  • Phrases courtes, réduites parfois au maximum (sujet + verbe) : « J'attendais » , « Je ne savais pas ».
  • Nombreuses phrases nominales (ou non-verbales) : « Et voilà aujourd'hui ma vie », « ma femme geignant pour un autre », « Mon presque fils. Ma femme », etc.
  • Quelques phrases elliptiques : « loin, loin de moi l'erreur, la souffrance […] » l. 27 (sous-entendu : loin de moi, à cette époque, l'idée de l'erreur qui allait se produire et de la souffrance qui allait s'ensuivre).
  • Vocabulaire courant : par exemple, verbes d'action simples (boire, parler, manger, serrer, attendre...).
  • Allusions à la sexualité : « la bouche qui allait s'enfouir dans le corps de ma femme » ; « ma femme geignant pour un autre ».

B. La nouvelle fatalité : l'ironie du sort
  • « mon rang », « je suis le roi » + répétition de « roi » l.24, « une vie digne de ce nom », « couronne » : Martèle de ce qui faisait sa grandeur, comme pour mieux se tourner en dérision ensuite.
  • Auto-dérision : « On est bêtement sûr »  ; il s'inclut dans ce « on », mais en tire de la même manière une leçon universelle, applicable à tout être humain (on appelle cela un « on » gnostique, ou à valeur universelle).
  • tourne en dérision l'attribut du pouvoir dans une comparaison presque burlesque (rappel : le burlesque est le registre qui évoque une action ou un personnage noble, en termes bas, voire grossiers) : « la couronne posée comme un jouet » parce qu'il n'est plus rien, que cette couronne ne lui sert à rien s'il n'a pas l'amour de sa femme et la fidélité de son « presque fils ».
  • Il est le « jouet » du destin (selon la métonymie de la couronne qui le représente, lui), ce qui fait de lui un personnage tragique.
  • Paradoxe qui souligne encore l'ironie du sort : « je suis rayé, banni de ma propre histoire, et c'est moi qui rends la leur vivante » l.8 : c'est son propre malheur, son exclusion, qui donne du piment à l'histoire de Tristan et Iseut.
  • La conscience de cette fatalité moderne qu'est l'ironie du sort : ironie personnifiée en un « rire » : « ce rire derrière mon épaule » l. 22-23.
  • Le paragraphe débute puis se clôt sur le rire : « j'aurais ri. J'adore rire » l.37. Comme si sa vie se résumait à une immense ironie : il croyait son bonheur parfait (femme, fils, couronne, vie digne de ce nom), mais comme le dit le poète : « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son coeur » (« Il n'y a pas d'amour heureux », Aragon).
  • C'est donc le monologue d'un grand désabusement, qui pourrait se réduire à la maxime : « le bonheur, c'est le silence de l'intelligence » : définition du bonheur, qui joue sur une paronomase (les sons se répondent) entre « silence » et « intelligence ».

C. La tragédie de l'amour sans solution
  • Avant de connaître Iseut, marque de l'attente : « j'attendais » répété deux fois et renforcé par le « je guettais » + souligné par la formule itérative : « tous les jours » : amour en attente, espoir d'amour.
  • Après : comparaison : « je m'assèche comme un étang au soleil » l.39 : Iseut comme la sève de sa vie, mais aussi son poison, puisque antithèse : « plus elle s'approche de moi, plus je me sens seul » = impuissance, cercle vicieux, Eros et Thanatos.
  • Même idée de l'amour mortifère dans l'expression « je la cherche » : renforce à la fois le besoin et l'absence d'Iseut.
  • Marc a pleinement conscience du mythe en train de se faire : noter la prolepse : « quand on parlera d'amour, plus tard, on pensera à eux » l. 4-5 et les considérations méta-textuelles : « sans moi, leur romance se raconte en une phrase » l. 6-7. Or, c'est précisément parce que les amants tentent de l'effacer qu'il est nécessaire à la pérennité de leur amour, au mythe (ou plus simplement : c'est parce qu'il y a l'obstacle-Marc que l'histoire d'amour devient intéressante, qu'elle prend toute sa saveur... c'est le drame de l'amour interdit, savoureux parce que, précisément, interdit).
  • Mais aussi, surtout : cet amour impossible est également ce qui alimente l'amour de Marc pour sa femme. C'est parce qu'il y a le « presque fils » que son amour à lui prend toute sa saveur également... Amour et malheur intrinsèquement liés.

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