jeudi 24 mars 2016

1ères L, Humanisme - Documents complémentaires


Documents complémentaires 1 :  L'éducation humaniste

TEXTE A : ERASME, De l'éducation des enfants (1529)

Humaniste hollandais d'expression latine, Erasme a beaucoup voyagé en Europe. Il a rencontré Thomas More en Angleterre et a échangé une correspondance avec Rabelais sur des sujets tels que l'éducation. En 1529, il écrit un traité, De l'éducation des enfants, reflet de la pensée humaniste en plein essor.
Tu vas me demander de t’indiquer les connaissances qui correspondent à l’esprit des enfants et qu’il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.
Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s’acquérir qu’au prix d’un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l’avons dit, par le plaisir naturel de l’imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis – rien de plus délicieux – les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l’expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d’Ésope1 qui, par le rire et la fantaisie, n’en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?
Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L’enfant apprend que les compagnons d’Ulysse ont été transformés par l’art de Circé2 en pourceaux et en d’autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s’exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.
Mais quoi de plus gracieux qu’un poème bucolique3 ? Quoi de plus charmant qu’une comédie ? Fondée sur l’étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l’on s’étonne de voir ignorés même aujourd’hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

1- Fabuliste grec de l'Antiquité ; 2- Magicienne ayant transformé les compagnons d'Ulysse en porcs ; «3- poème ayant pour inspiration la vie à la campagne.


TEXTE B : RABELAIS, Pantagruel (1532)

Pantagruel est le nom d'un géant et le titre d'une œuvre qui rapporte ses exploits. Au chapitre VIII, dans une lettre qu'il lui adresse, son père Gargantua lui fait part de ses recommandations en matière d'étude : ce texte définit ainsi les ambitions d'une éducation nouvelle qui s'oppose à celle du Moyen Âge.

 C'est pourquoi, mon fils, je t'admoneste1 d'employer ta jeunesse à bien profiter dans tes études. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Épistémon: l'un peut te donner de la doctrine par ses instructions vivantes et vocales, l'autre par des exemples louables. J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement: d'abord la grecque, comme le veut Quintilien. Puis la latine. Puis l'hébraïque pour l’Écriture sainte, ainsi que la chaldaïque et l'arabe. Et que tu formes ton style, pour la grecque à l'imitation de Platon, et pour la latine, de Cicéron. Qu'il n'y aie d'histoire que tu n'aies présente à la mémoire, à quoi t'aidera la cosmographie. Les arts libéraux, géométrie, arithmétique, musique, je t'en ai donné quelque goût quand tu étais encore petit, vers tes cinq six ans. Continue le reste; et sache tous les canons d'astronomie; laisse l'astrologie divinatrice et l'art de Lulle2, abus et vanité. Du droit civil, je veux que tu saches par coeur les beaux textes, et que tu les rapproches de la philosophie.
    Quant à la connaissance des sciences naturelle, je veux que tu t'y adonnes avec zèle; qu'il n'y ait mer, rivière, ni fontaine dont tu ne connaisses les poissons; tous les oiseaux de l'air; tous les arbres, arbustes, et fruitiers des forêts, toutes les herbes de la terre; tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de l'Orient et de l'Afrique; que rien ne te soit inconnu.
    Puis avec soin, relis les livres des médecins: grecs, arabes, latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes; et, par de fréquentes dissections, acquiers la parfaite connaissance de ce second monde qu'est l'homme. Et, pendant quelques heures chaque jour, commence par apprendre les Saintes Écritures; d'abord le Nouveau Testament en grec, et les Épitres  des apôtres, puis en hébreu l'Ancien Testament. En somme, que je voie un abîme de science. [...]    Mais par que, selon le sage Salomon, sagesse n'entre pas dans un âme mauvaise, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi orientée par la charité, lui être uni au point que tu n'en sois jamais séparé par le péché.

1- Je t'ordonne ; 2- Lulle : philosophe et astrologue espagnol.


TEXTE C : MONTAIGNE, « De l'éducation des enfants » Essais, I, 26 ( 1595)

Dans cet extrait, Montaigne s'attache à définir les qualités du bon précepteur.

Pour une éducation humaniste

Je voudrais aussi qu'on fût soucieux de lui1 choisir un guide2 qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine et qu'on exigeât chez celui-ci les deux qualités, mais plus la valeur morale et l'intelligence que la science, et je souhaiterais qu'il se comportât dans l'exercice de sa charge d'une manière nouvelle.
On ne cesse de criailler à nos oreilles d'enfants, comme si l'on versait dans un entonnoir, et notre rôle, ce n'est que de redire ce qu'on nous a dit. Je voudrais que le précepteur corrigeât ce point de la méthode usuelle et que, d'entrée, selon la portée de l'âme qu'il a en main, il commençât à la mettre sur la piste, en lui faisant goûter les choses, les choisir et les discerner d'elle-même, en lui ouvrant quelquefois le chemin, quelquefois en le lui faisant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente et parle seul, je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient d'abord parler leurs disciples, et puis ils leur parlaient. «
Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent. »3 [L'autorité de ceux qui enseignent nuit la plupart du temps à ceux qui veulent apprendre.]
Il est bon qu'il le fasse trotter devant lui pour juger de son allure, juger aussi jusqu'à quel point il doit se rabaisser pour s'adapter à sa force. Faute [d'apprécier] ce rapport, nous gâtons tout: savoir le discerner, puis y conformer sa conduite avec une juste mesure, c'est l'une des tâches les plus ardues que je connaisse; savoir descendre au niveau des allures puériles du disciple et les guider est l'effet d'une âme élevée et bien forte. Je marche de manière plus sûre et plus ferme en montant qu'en descendant. [...]
Qu'il ne demande pas seulement
[à son élève] de lui répéter les mots de la leçon qu'il lui a faite, mais de lui dire leur sens et leur substance, et qu'il juge du profit qu'il en aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais par celui de sa vie. Ce que [l'élève] viendra apprendre, qu'il le lui fasse mettre en cent formes et adaptées à autant de sujets différents pour voir s'il l'a dès lors bien compris et bien fait sien, en réglant l'allure de sa progression d'après les conseils pédagogiques de Platon. Regorger la nourriture comme on l'a avalée est une preuve qu'elle est restée crue et non assimilée. L’estomac n'a pas fait son oeuvre s'il n'a pas fait changer la façon d'être et la forme de ce qu'on lui avait donné à digérer."

1- lui = l'enfant ; 2- un guide = un précepteur ; 3- citation de Cicéron, grand rhétoriqueur de l'Antiquité

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