mercredi 3 février 2016

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, le renoncement

 Voilà un exemple de L.A. , avec seulement des pistes de réflexion pour le II et le III, à compléter, donc.

I. Un dialogue argumenté

A. Les arguments de Mme de Clèves 

- le succès unanime de Nemours auprès des femmes (l.1 à 4) :
  • déterminant globalisant « toutes les femmes » l. 1
  • en antithèse avec avec « il y en a peu » l.2 et « il n'y en a point » l.2-3 (gradation)
  • adverbe catégorique « toujours » l. 3
  • C.L. de l'amour : « goût », « attacher », « plaisiez », « plaire », « amoureux », « aimé ».
=> des tournures hyperboliques pour montrer le succède de Nemours
- d'où sa souffrance si elle se mariait à lui (l. 4 à 7)
  • conditionnel (à valeur de futur dans un récit au passé) : Mme de Clèves se projette dans l'avenir
  • « amant » puis « mari » : argument par hypothèse : elle envisage Nemours comme un mari potentiel, pour mieux faire sortir les conséquences néfastes de cette union.
  • C.L de la souffrance morale : « souffrance », « plaintes », « reproches »
  • Généralisation de cette triste loi de l'amour par le recours au pronom indéfini « on » : c'est une loi naturelle, on n'y échappe pas.
  • émotion visible dans la forme des phrases : interrogation indirecte (« je ne sais même si ») puis directe (« en fait-on à un mari ») qui sont en fait des questions rhétoriques.
- le sentiment de culpabilité vis-à-vis de son défunt mari (l.7 à 11)
  • de nouveau une question rhétorique qui manifeste son émotion.
  • commence par une concession au conditionnel (« quand je pourrais... » signifie : « et même si je pouvais »), mais immédiatement niée par la suite de la phrase (« pourrais-je m'accoutumer à » signifie en réalité : « je ne pourrais pas »)
  • adverbe « toujours » qui insiste sur la permanence de la culpabilité
  • accumulation d'infinitifs (« vous accuser… me reprocher… vous avoir aimé… vous avoir épousé… me faire sentir... ») qui marquent le poids cette culpabilité qui pèse sur Mme de Clèves.
  • Jeu sur les pronoms : « Monsieur de Clèves / vous / me / vous / vous/ me / au vôtre » : seul M. de Clèves n'est pas désigné par un pronom, comme s'il conservait sa grandeur et son autorité pour surveiller les deux amants, dont les pronoms s'entrelacent.
- Conclusion de ces arguments (l. 11 à 13)
  • Tournures catégoriques : « il est impossible » , « il faut que » et « jamais » : la décision de Mme de Clèves semble irrémédiable.
  • Métaphore « passer par-dessus des raisons si fortes » : comme si ces raisons constituaient une muraille infranchissable, comme si la morale était plus contraignante que des barrières concrètes.

B. Réfutation de Nemours (ses arguments, en réponse à ceux-ci)
Un seul argument, développé de manière très rigoureuse :
- deux questions rhétoriques (« croyez-vous… » et « pensez-vous... ») qui mettent en doute la force de Mme de Clèves face à lui.
- la taille de l'adversaire de Mme de Clèves est soulignée par la longueur de la périphrase qui le désigne : « un homme qui… et qui... »).
- Utilise un argument d'autorité pour asseoir et confirmer son propos : présent de vérité générale (« il est », « plaît », « aime ») associé à un pronom globalisant « nous ».
- Antithèse entre C.L de la vertu (« vertu », « résolutions », « résister ») et le C.L des sentiments (« adore », « heureux », « plaire », etc.) : Nemours met en balance ces deux concepts, en insistant particulièrement sur le second, pour montrer qu'il a plus de poids que le premier.
- Concession : revient au passé par l'emploi du plus que parfait (« vous l'avez fait »), et en profite pour louer la vertu de Mme de Clèves grâce à la formule hyperbolique « qui n'eut presque point d'exemple ». L'idée implicite étant que Mme de Clèves a résisté à Nemours parce qu'elle était mariée.
- Mais cette constatation est immédiatement niée par l'adversatif « mais » : idée implicite que les choses ont changé puisque M. de Clèves est mort, la « vertu » de Mme de Clèves autorise son mariage avec Nemours.
- Cependant, incertitude de Nemours qui connaît la grande vertu de Mme de Clèves : emploi le verbe « espérer » (« j'espère que »), insinuant qu'il n'est pas sûr du poids de son argument.

C. La réponse sans appel de Mme de Clèves :
- Concession (« je sais bien » l. 21) puis réfutation (« mais » l. 25).
- La concession reprend l'argument de Nemours, en l'accentuant même par une hyperbole : « rien de plus difficile », au présent de vérité générale.
- Mme de Clèves applique cette vérité générale à elle-même l. 22, comme le montrent les pronoms et déterminants de la 1ère personne (« je », « me », « mes »)
- Elle oppose ses « forces » et ses « raisons » (raisons qui sont celles développées dans sa première intervention),
- puis elle explique comment elle compte consolider ses forces l.23 à 25 : chiasme qui allie le terme « devoir » (répété deux fois) à « intérêt de mon repos » (ou « raisons de mon repos »). Si on paraphrase cette idée : on comprend alors que ses forces seront consolidées à la fois par le sens du devoir et par le désir de sérénité (ou de ne pas culpabiliser).
- On voit donc que la consolidation de ses forces prévue par Mme de Clèves est doublement solide… de quoi convaincre efficacement Nemours de sa décision irrévocable.
- Le réfutation est en réalité la suite logique de ce qui précède : de nouveau, Mme de Clèves reconnaît qu'elle se défie d'elle-même (répétition de la formule de la l. 22), mais c'est pour marquer que c'est de ses sentiments pour Nemours qu'elle se défie, pas de sa résolution de ne pas se marier avec lui (ce qu'elle nomme ses « scrupules »).
- Pour conclure : Mme de Clèves concède à Nemours qu'elle risque de l'aimer effectivement pour toujours, mais que dans les actes, elle ne cédera pas à cette passions. Elle oppose donc sentiments (involontaires) et actes (dus à la volonté). M. de Nemours, d'ailleurs, ne peux plus opposer d'arguments et se soumet.

II. Une scène emprunte de tragique

A. Une scène fortement dramatisée
- longueur des prises de parole : font penser à des tirades de tragédies
- ponctuation expressive (interrogations et exclamations)
- verbes de parole qui ressemblent à des didascalies et manifestent l'émotion : « s'écria » l. 14 et 38
- A l'apparente tranquillité de Mme de Clèves s'oppose l'agitation de Nemours, marquée d'abord par l'interjection « Hé ! » l. 14 puis par le lexique du mouvement l. 33 à 35.
- Importance de la vue : « il lui fit voir » l. 34, « regardant » l. 36, et la référence aux yeux dans ce même passage.
- la symbolique de la position des personnages : Nemours aux pieds de Mme de Clèves : attitude de supplication et d'amour, presque un cliché de l'amour courtois où le chevalier est en-dessous de sa belle.

B. Une scène pathétique
- Champ lexical de la souffrance + celui des larmes
- des tournures hyperboliques qui montrent l'exaltation des sentiments : « homme qui vous adore », « quelque violence qu'il m'en coûte » l.28, « un état qui me fait des crimes » l.30, « la plus vive et la plus tendre passion » l.35, « dont un coeur ait jamais été touché » l. 35-36
- à l'inverse, des litotes qui renforcent la passion : « n'était pas insensible », « un peu grossis par les larmes »36 et 37.
- le lexique de la séparation : « ne chercher aucune occasion de me voir » l.30, « interdit tout commerce entre nous » l.31-32, « sépare » l.41

C. Le poids du destin
- un futur sombre : verbes au futur, 27 à 29 liés à des négations (« ne vaincrai jamais », « priverai », « ne chercher aucune »)
- « la mort » de M. de Clèves comme obstacle à l'amour l.38 (c'est un cliché du dilemme dans les tragédies de Corneille, voir Le Cid par exemple)
- la faute du destin l. 41 : « la destinée nous sépare-t-elle »
- les personnages ne sont pas libres de leur destinée, se montrent impuissants : pronom sujet « elle » dans « elle me rendra malheureuse » l. 27-28 : Mme de Clèves est COD, c'est-à-dire impuissante devant son inclination ; « par tout le pouvoir que j'ai sur vous » l. 29 : Nemours n'est pas libre et doit se soumettre à la décision de son amante ; « la seule bienséance interdit tout commerce » l. 31 : les deux amants sont forcés à agir à cause de la bienséance, sujet du verbe.
- Antithèse qui renforce l'ironie tragique l. 39-40 : « connaître » + « depuis que » + «  libre » en opposition à « connu » + « devant que » + « être engagée » : parmi tous les destins possibles, deux auraient pu fonctionner, mais précisément, c'est un troisième chemin qu'a emprunté le leur.
- Expression des regrets de cette destinée malheureuse : les dernières questions de Mme de Clèves (« Pourquoi… que… pourquoi… pourquoi) traduisent son immense regret de ce qui aurait pu être, mais qui ne peut plus avoir lieu.


III. Une héroïne sublime

A. Une héroïne partagée entre passion et devoir (face à un dilemme, donc)
- Lexique du devoir / de la raison face au lexique de la passion / du coeur
- Oppositions entre le bien et le mal (« vertu », « bienséance » contre « crimes », « scrupules »)
- Lexique de la résistance, du combat à mener
- longueur de ses répliques par rapport à celle de Nemours : prouve le long combat intérieur qu'elle mène.
- Jeu sur les pronoms et les possessifs de la 1ère personne et désignant Mme de Clèves : elle mène le combat contre elle-même (« je me défie de mes forces » l22, « je me défie de moi-même l.26, « je ne vaincrai jamais mes scrupules » l. 26, « je me priverai » l. 28)

B. Une héroïne aux valeurs exemplaires
- Lexique de la vertu qui atteint son apogée
- lucidité de Mme de Clèves devant les difficultés qui l'attendent (« mon expérience me ferait croire » l. 2, « je sais bien » l. 21, « je me défie de » l.22, et répété l.26, « je crois que » l. 26)
- lexique de cette difficulté, des obstacles
- mais également grande résolution du personnage (terme « résolutions » répété ; pas d'infléchissement de sa décision, malgré la souffrance de son amant)
- Mme de Clèves étouffe ses émotions (analyser le calme apparent du personnage, et les émotions, qui pourtant, transparaissent), mais laisse éclater (« s'écria ») sa douleur dans sa dernière réplique.

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