mardi 2 février 2016

L.A n°2 : La Fontaine, « Le Loup et le Chien », Fables, Livre I, 16

  1. Un récit vivant (« plaire »)


A. Un récit très rythmé
  • vers libres : octosyllabes décasyllabes, alexandrins, qui imitent l'état d'esprit du Loup (vers courts = son agitation ; alexandrins = sa prise position assurée) => rythme et vivacité.
  • rimes plates, embrassées et croisées = action qui rebondit, aucune monotonie
  • Enjambements qui intensifient la dramatisation : v.5 à 7 puis 8-9
  • Rythme qui accélère vers la fin : ponctuation très hachée des phrases v .33 à 37 : interrogations, point virgule, virgules ; contre-rejet du v. 34 (« Le collier dont je suis attaché / De ce que vous voyez est peut-être la cause »).
  • Discours indirect libre qui nous fait pénétrer dans les pensées sur Loup (focalisation interne) v. 5 à 9 : « L'attaquer, le mettre en quartiers [...] Mais le mâtin était de taille/ à se défendre hardiment »
  • Discours indirect v.10 à 12 : le Loup flatte le Chien
  • Passage au discours direct au v.13, sans même passage par un verbe de parole introducteur : celui-ci est renvoyé en fin de phrase, pour plus de vivacité : « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire / D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien ».
  • Stichomythies v. 33 à 37 = alternance très rapide de répliques, sans intervention du narrateur.

B. Un récit simple
  • structure narrative simple :
    • situation initiale à l'imparfait qui présente le Loup,
    • élément perturbateur au présent de narration (v.3) qui annonce le Chien
    • hésitations du Loup (attaquera-t-il?) et dialogue constituent les péripéties,
    • dénouement dans la dernière prise de parole du Loup ;
    • situation finale qui rejoint le présent d'énonciation (« et court encore »  v.41)
  • Récit au passé traditionnel (imparfait et présent de narration) v.1 à 4
  • Aucun cadre spatio-temporel : universalité du récit
  • Deux protagonistes seulement, et sans nom, seulement leur titre générique un « Chien », un « Loup ».
  • Vocabulaire simple pour le Classicisme (ne pas oublier que ce livre est dédié à une enfant, le Dauphin)
  • Nombreux verbes au passé simple qui font avancer rapidement l'action au début du récit, sans descriptions qui alourdiraient le récit.

C. Mélange de registres
  • des éléments pathétiques : le Loup efflanqué (v.1), la description pathétique des misérables qui vivent dans les bois (v.15 à 18) le cou pelé du Chien (v.32)
  • des détails réalistes : le travail du Chien (« donner la chasse au gens ») contre son « salaire » : « os de poulets, os de pigeons »
  • des image comiques : le loup qui « aborde humblement » le Chien, parce que ce dernier semble être de taille imposante (« donc ») ; le Loup qui « fait compliment » de l'embonpoint du Chien ; l’image du loup qui pleure de tendresse  (« Le loup déjà se forge une félicité / Qui le fait pleurer de tendresse. ») ; le Chien qui tente d'éluder les questions du Loup.
  • La moralité, inscrite dans les dernières paroles du Loup = registre didactique.
  • Registre épidictique (éloge et blâme) : idéalisation de la vie civilisée, noirceur de la vie dans les bois.

  1. Pour réfléchir sur la liberté (« instruire »)
A. Le Chien, allégorie de la réussite ?
  • Description physique : le Dogue est « gras » v. 4 répété v. 14, il a de l' « embonpoint » v. 12. ; l'accumulation de qualificatifs mélioratifs v. 3 et 4 crée un effet d'insistance sur la bonne santé du Chien.
  • Le Chien est associé au C.L de la nourriture abondante : « franche lippée » v.19, « force reliefs de toutes les façons » v. 27, « os de poulets, os de pigeons » v.28, « tous vos repas » v. 38
  • Il vit dans un « logis » v. 25, lieu de société, il est « poli » (polysémie : il brille, il est propre, mais également il est policé, civilisé, obéissant aux lois, aux normes).
  • Le Chien se donne en exemple à suivre : « aussi gras que moi » v. 14 puis « suivez-moi » v. 21.
  • Il joue de la persuasion en abordant d'abord la vie misérable du Loup, qu'il dépeint dans une accumulation tragique, aboutissant à la mort « mourir de faim » v. 18 ; il poursuit sur la difficulté de cette vie sans assurance du lendemain : « rien d'assuré » en rime interne avec « tout à la point de l'épée » .
  • Il conclut par un impératif enjoignant à l'action : « Suivez-moi » ; l'emploi du futur offre avec certitude une alternative à la destinée tragique du Loup : « vous aurez un bien meilleur destin » v. 21
  • Le Chien répond très exactement à la question du Loup sur les actions à réaliser : « donner la chasse », « flatter », « complaire », ce qu'il réduit à l'euphémisme « presque rien » (v.23).
  • Par contraste avec cet euphémisme, il joue de nouveau de la persuasion en évoquant la nourriture, dans des formules hyperboliques (« force reliefs », « toutes les façons », anaphore de « os »), et en introduisant un nouvel argument : « sans parler de mainte caresse » v. 29.
  • Il y a donc gradation dans les arguments : argument vital (ne pas mourir de faim) à un argument de plaisir (manger en quantité et diverses mets), pour aboutir à un argument de luxe (les caresses).
B. Le Loup, allégorie de l'honneur ?
  • Le Loup est associé à la misère et la privation : tournure restrictive « ne... que » v.1 (« n'avait que les os et la peau »), « misérables », « cancres, haires », « mourir de faim », « rien d' » et « point de » v. 19
  • Description physique : « Un Loup n'avait que les os et la peau » v. 1 en rupture avec la représentation traditionnelle du Loup, être maléfique.
  • Le lieu de vie est symbolique : le Loup vit dans « les bois » v. 15, lieu de l'absence de règles
  • Le Loup pense d'abord à « attaquer » et « mettre en quartier » son adversaire, preuves de sa sauvagerie.
  • Mais ce loup ne correspond pas du tout aux clichés : il est réfléchi, digne, maigre…
Il parle peu, comparativement au Chien, mais il réfléchit :
  • d'abord lorsqu'il avait rencontré le Chien, v. 3, il hésite à l'attaquer, puis mesurant sa taille, renonce et adopte une autre stratégie : la conversation : « Le Loup donc l'aborde » ;
  • ensuite lorsqu'il est alléché par la proposition du Chien, il cherche à en savoir plus : « que me faudra-t-il faire ? » ; il ne suit pas le Chien aveuglément, il attend de connaître la marche à suivre ; il pose encore une question au Chien, montrant qu'il ne se laisse pas berner par des paroles attrayantes, v. 33 : « Qu'est-ce là ? »
  • Il ne se laisse pas démonter par les réticences du Chien à lui répondre, il poursuit sa quête de vérité jusqu'à obtenir une réponse claire.
  • Il est alors capable, malgré l'avenir radieux qui s'offre à lui en suivant le Chien, de renoncer à ce projet en donnant un unique argument dans une question : « vous ne courez donc pas où vous voulez ? ».
  • Le loup fait preuve de superbe, il a de la dignité. A la fin de la fable c’est lui qui parle, s’exprime précisément, domine le chien par le pouvoir de la parole. Il a le dernier mot et sort vainqueur de la confrontation.

C. Une interrogation sur le bonheur et la liberté

  • Le Chien perd la main à la fin de la fable : ses paroles se réduisent au minimum : « rien », « peu de chose », il élude la question du Loup et finit par répondre dans un « peut-être » qui atténue la réalité du « collier ». Cette litote indique une certaine hypocrisie du Chien, ce que corroborent les verbes « flatter » et « complaire » du v. 25. Le collier est ainsi l'allégorie de la soumission à un puissant, à qui faut éviter de déplaire (antonyme de « complaire »).
  • Le Loup, qui veut courir où il veut, incarne alors la liberté de penser, l'indépendance d'esprit, il conserve son libre-arbitre, et ne court pas aveuglément vers ce qui brille : il ne troquerait même pas « un trésor » contre sa liberté.
  • Plus encore : non seulement le Loup refuse de se soumettre à un puissant mais il est également capable de reconnaître la supercherie dans les paroles alléchantes de son compère.
  • La Fontaine semble prendre le parti du Loup : il méprise le Chien qui manque de grandeur et de noblesse → il donne la chasse aux malheureux, v. 23-24, reçoit les appellations de « Dogue » , « Mâtin », « Chien » ; le Loup, au contraire, est appelé « Sire Loup » v. 6, puis « maître Loup » v. 41 ; il a le sens de l'honneur, méprise lui-même le Chien quand il lui jette l'expression : « tous vos repas » v. 38.
  • La moralité de la fable n'est pas exprimée, on parle de morale implicite. Elle se comprend dans le jugement moral porté sur le Chien et le Loup, et sur la phrase narrative qui termine la fable : « Cela dit, maître Loup s'enfuit et court encor » : la liberté l'emporte, elle est une valeur universelle (« encor »)
  • Lier ces deux personnages aux courtisans du XVIIè siècle : hypocrisie, flatterie, bassesse, contre argent et beaux logements… Le Chien incarne bien ce modèle peu reluisant.

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