mardi 2 février 2016

L.A n°1 : La Boétie, Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un, 1572

C'est pendant ses études de droit, à 18 ans, que Etienne de La Boétie (1530-1563), grand ami de Montaigne écrit le Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un. Ce pamphlet contre la tyrannie et plus encore, contre les peuples qui se laissent priver de leur liberté, incite les nations à se libérer du joug de la servitude. Pour éviter la censure, il emprunte la majorité de ses exemples à l'Antiquité. Ce Discours ne sera publié que bien après sa mort, en 1572, en lien avec le massacre de la Saint Barthélémy, par les Protestants qui utilisent ce texte pour défendre leurs intérêts. Montaigne a rédigé ses Essais autour de ce même texte, auquel ses réflexions devaient servir d'écrin.
La Boétie devient précocement conseiller au Parlement de Bordeaux, meurt tout aussi précocement de maladie à 33 ans à peine.

  1. Un discours virulent et solide pour faire réagir les lecteurs

    1. La Boétie se montre d'emblée virulent
  • apostrophe le peuple dans une énumération de termes péjoratifs
  • ponctuation témoignant de l'indignation : exclamations, questions rhétoriques
  • reprises du pronom « vous », dans une sorte d'accusation martelée
  • emploi du présent : dénonce toutes les formes de soumission, celles de son temps, mais aussi celles de l'Antiquité ou celles des temps à venir...
  • ironie due à l'antithèse entre l'hyperbole « grand bonheur » et l'adverbe « seulement » : « vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât seulement la moitié de vos biens »
  • l. 15-16, de nouveau énumération de GN très péjoratifs, pour désigner ses interlocuteurs : « receleur », complice du meurtrier », « traîtres » = désignations paradoxales puisque les victimes sont en même temps les bourreaux.
  • comparaison des hommes avec les bêtes, l.23 puis l. 22 (métaphore du tyran qui « tient la bride ») : le point commun avec l'animal étant l'absence de dignité (« de tant d'indignités »)
    1. Il recourt à l'émotion et au pathos
    • registre pathétique pour décrire la souffrance endurée :
    • les adjectifs qualificatifs du début sont polysémiques : « pauvres » et « misérables » notamment : pathétique
    • C.L de la misère et du malheur, accentué par des énumérations (par exemple l.6)
    • les énumérations sont souvent dans des phrases à rythme ternaire = technique rhétorique pour donner plus de poids aux propos
    • énumération des possessions les plus précieuses, non seulement au sens pécuniaire (« revenus, champs, maisons ») mais également au sens sentimental (« vieux meubles de vos ancêtres »), énumérations niées par des verbes de spoliation : « enlever, piller, dévaster, dépouiller »
    • L.B répète l'énumération de biens dont le peuple est privé, l.5-6 puis l.16-17
    • mais il y a une gradation dans la désignation de ces biens : L.B passe des possessions matérielles (champs et meubles) aux enfants, victimes du tyran (vos filles, vos enfants).
    • Hyperboles soulignant la misère : « rien n'est plus à vous » l.4, « vous vous usez à la peine » l.20-21, « vous vous affaiblissez » l.22
    1. Mais il construit également un discours qui fait appel à la raison
      • le discours est construit selon le schéma rigoureux de la rhétorique antique :
        • exorde = capter l'attention de l'auditoire (= captatio benevolentiae)
        • narration = récit des faits, causes
        • digression = distraire ou ménager l'auditoire avant la conclusion ; susciter des réactions comme l'indignation, la pitié, la réfutation, la haine, le pardon...
        • péroraison = conclusion, fin du discours
      • le motif de l’aveuglement (emploi de l’adjectif « aveugles » + paradoxe « que vous regardez désormais comme un grand bonheur » + expression « sous vos yeux » ) montre le peuple comme privé de réflexion (image des bêtes), il faut donc lui déciller les yeux, l'ouvrir à la conscience, à la raison. D'où, l.26 : « vous le verrez » = si le peuple entend le discours de L.B, alors il ne fait aucun doute que le tyran s'effondrera (emploi du futur = certitude).
      • « insensés » l.1 : qui est dépourvu de sens, de raison : l'objectif de La Boétie est de lui donner de raison, de lui ouvrir les yeux.
      • Système de causalité mis en évidence dans de multiples phrases : l.6-7 : « … et tous ces malheurs … ne vous viennent pas de … mais certes bien de … » ; l.17 à 22 multiples occurrences de : « vous... pour qu'il... », « vous … afin qu'il...».
      • Les questions rhétoriques font également appel à l'intelligence du lecteur : « d'où... », « comment... », quel... ».
      • lexique de la volonté et de la compréhension : « vouloir » l.24, « soyez résolus » l.25, « donner ces conseils » l.29

  1. pour dénoncer la servitude volontaire

    1. Le peuple est responsable de son malheur
  • le « grand colosse » ne tient debout que grâce au peuple :
    • LB reproche au peuple sa passivité : « vous vous laissez » l.2, « vous laissez » l.3, « vous ne refusez pas » l.9
    • responsabilité du peuple à son propre malheur : « vous avez fait ce qu'il est » l.7 ; « les moyens que vous lui fournissez » l.11, « complices » l.16
  • quasi identité entre le tyran et le peuple, comme s'ils ne formaient qu'un seul corps : « d'où tire-t-il … si ce n'est de vous » l.12, « tant de mains... s'il ne vous les emprunte » l.12-13, « les pieds... ne sont-il pas aussi les vôtres » l.13, « pouvoir qui ne soit de vous-mêmes » l.13-14, « intelligence avec vous » l.14
  • non seulement le peuple ne tente rien pour se débarrasser du tyran, mais pire : il entretient sa puissance par son action. Il semble n'avoir pour but que de nourrir la tyrannie : accumulation de paradoxes opposant les actions quotidienne du peuple, et les conséquences tragiques de ces actions sur eux-mêmes l.16 à 22 : vous semez → il dévaste ; vous meublez → il pille ; vous élevez vos filles → il assouvit sa luxure ; vous nourrissez vos enfants → il les envoie à la guerre ; vous vous usez à la peine → il se prélasse ; vous vous affaiblissez → il devient plus fort
                  2. Le tyran est certes un monstre...   
  • Physiquement :
    • il est d'abord un « on » flou (l.5), dont on imagine qu'il désigne une armée d'ennemis
    • mais il apparaît mystérieux, un peu effrayant à cause de l'énumération des pronoms démonstratifs qui le désignent : « celui-là même », « celui pour qui », « et pour la grandeur duquel »
    • L.B évoque enfin « ce maître », dont on peut se demander si la désignation est ironique
    • de même, une certaine ironie dans les hyperboles : « tous ces yeux » « tant de mains », « les pieds », puisque L.B traduit la frayeur du peuple par une image du tyran en créature monstrueuse.
    • Le tyran = un vampire qui se nourrit de ses victimes l.22 : « vous vous affaiblissez afin qu'il soit plus fort »
    • Il est associé au C.L de la violence : « guerre, mort, détruire, frapper, assaillir, tue, dévaste », etc.
    • énumération de termes au pluriel (tournures hyperboliques) pour accentuer cette violence : « ces dégâts, ces malheurs » (l.6), « vos champs, vos maisons, vos filles, vos enfants »
    • gradation dans l'horreur : « … des soldats dans les meilleurs des cas, pour qu'il les mène à la guerre, à la boucherie » (l.19)
    • répétition du comparatif « plus » l.22 : « plus fort », « plus durement », « plus courte », qui renforce sa puissance et sa cruauté
  • Moralement :
    • L.B recense les catégories de mal (les sept péchés capitaux) auxquelles s'adonne le tyran :
      • paresse malsaine : « se vautrer », « se mignarder »,
      • goût pour la débauche : « luxure », « délices », « convoitises », « plaisirs » (alors qu'auparavant, L.B évoquait déjà son corps, ses yeux, ses mains, ses pieds)
      • C.L du crime : « vol, pillages, meurtres », en lien avec des désignations très péjoratives du tyran : « larron », « meurtrier »
    • C.L du mal : « votre mal » l.1, « malheurs » l.6, « mal » l.15, « sales plaisirs » l.21, « mal » l.30
    • métaphore de la maladie pour désigner les effets de la tyrannie sur le peuple : « médecins », « guérir », « plaies incurables », « maladie »
                3. … mais il est fragile, donc vulnérable
  • il montre que le monstre n'est qu'un homme l.9-10 - utilisation de la tournure restrictive « ne… que » : « n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps », et tout ce qui le rend plus fort vient de ce que le peuple lui apporte.
  • Opposition entre le singulier du tyran (« il ») et la foule du peuple (« vous »)
  • puis opposition entre le pluriel imaginé par le peuple (des ennemis) et le singulier de la réalité (l'ennemi): « ne vous viennent pas des ennemis mais certes bien de l'ennemi » l.6-7
  • métaphore du « Colosse aux pieds d'argile » = tirée du Livre de Daniel dans la Bible, l'argument de L.B s'apparente presque à un argument d'autorité (autorité biblique).
  • Il s'agit donc de cesser de le soutenir
      • Appel à la liberté : « vous pourriez vous délivrer » l.24 ; « vous voilà libres » l.25
      • L.B n'appelle pas à l'action, à l'insurrection ou la révolte : « je ne vous demande pas de le pousser, de l'ébranler »
      • au contraire, il appelle à l'arrêt de l'action : négations « ne plus le servir », « ne plus le soutenir ».
      • La démonstration est donc simple et tient en deux propositions liées par la coordination « et » : « soyez résolus à ne plus le servir, et vous voilà libres » 
      • L.B insiste sur la facilité de l'opération grâce à une tournure restrictive montrant que ce n'est qu'une question de volonté : « même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir »
      • C.L de l'auto-destruction, de la rupture : dès que la base se brise , alors on voit le colosse « fondre », « se rompre » : inutile de recourir à la violence, le refus de l'action entraînera inéluctablement (emploi du futur : « vous le verrez ») la fin du tyran.

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