I. Le portrait réaliste d'une pauvre femme
A. Un portrait organisé grâce à la focalisation
- focalisation externe jusqu'à la l.6, introduite par le verbe "voir" ("on vit") : description physique de ce que l'assemblée peut voir. Cette description va du général (la petite vieille dans son ensemble) au détail, dans un mouvement ascendant (pieds, hanches, visage) puis descendant jusqu'aux mains : on suit le regard des bourgeois, qui détaillent cette femme comme une bête curieuse.
- focalisation omnisciente (ou zéro) de la l.6 à la l.12, qui revient sur le passé de la femme grâce au plus que parfait ("avaient encroûtées") : justifie la saleté apparente des mains de la femme. Antithèse "sales" / "rincées d'eau claire" : opposition entre le regard des spectateurs qui voient la saleté et le regard du narrateur qui sait que les mains sont propres.
- focalisation interne de la l.12 à l.16, introduite par le verbe réfléchi "se voir" ("elle se voyait") : on pénètre les pensées de la femme, on voit ce qu'elle voit (les drapeaux, les tambours, etc.), on sait comment elle se tient (immobile) et ce qu'elle pense (ses questions).
- Dernière phrase : réflexion du narrateur.
Bilan : un regard de plus en plus pénétrant, de l'extérieur à l'intérieur, jusqu'à accéder aux pensées du narrateur pourtant externe. Signifie que ce portrait est à lire en profondeur, pour en extraire une réflexion.
B. Un portrait physique qui refuse l'idéalisation
- Champ lexical des vêtements, expansions du nom qui délivrent des informations précises sur la couleur, la taille, la matière => registre réaliste.
- Vêtements très simples, "pauvres", aucun ornement : négation "béguin sans bordure" indique la sobriété. Vêtements en rapport avec sa classe sociale (importance du vêtement dans la description, il est toujours révélateur de la classe sociale, jusqu'au XIXè siècle).
- Contraste en la petitesse de la femme et la largeur des vêtements : antithèses l.1 à 3 ("petite", "ratatinée" / "grosses", "grand") + visage et mains qui disparaissent dans le vêtement.
- Après les vêtements, description du corps de la femme (le réalisme se caractérise notamment par la peinture sans complaisance du corps humain) :
x le visage : emploi de trois adjectifs négatifs (à ne pas confondre avec "péjoratif", qui, lui, suggère du mépris) : "maigre", "plissé", "flétrie" qui indiquent à la fois la pauvreté (maigre) et la vieillesse (plissé).
x les mains : deux adjectifs qualificatifs: "longues" et "noueuses" rejoignent l'idée de vieillesse (longueur des mains // longueur des années) et de travail physique.
x le "regard pâle" : un seul adjectif qui suggère à la fois la vieillesse (regard voilé ou dont les couleurs sont passées), le travail physique (regard comme les mains, "rincées à l'eau claire").
Bilan : tout, dans les vêtements et le corps, suggère la condition sociale de la femme. On va vers un appauvrissement dans l'emploi des adjectifs (on passe de trois à un seul), comme pour insister sur la pauvreté de la femme.
C. Un portrait psychologique qui refus le pathos (= le pathétique)
- le portrait psychologique débute par une négation : "rien de triste ou d'attendri" : refus du pathétique.
- les deux noms "mutisme" et "placidité" sont neutres : description objective mais qui suggère le renoncement, l'acceptation de sa condition.
- "intérieurement effarouchée" : l'adverbe indique qu'elle ne montre pas sa peur, toute intériorisée ; l'adjectif montre qu'elle est semblable aux bêtes (effarouché s'applique d'abord aux animaux).
- Animalisation de cette femme : elle devient semblables aux animaux ("elle avait pris leur mutisme et leur placidité" + le terme "effarouchée"), mais sans jugement de valeur de la part du narrateur : au contraire, il semble que les animaux vaillent mieux que les hommes dans cet extrait.
- Champ lexical de l'immobilité : "rigidité", "mutisme", "immobile" en contraste avec la foule qui l poussait, les tambours, les drapeaux : elle est étrangère à ce monde.
- accumulation de subordonnées interrogatives ("s'il fallait... ou..., ni pourquoi... et pourquoi") : montre son incompréhension et encore une fois son étrangeté par rapport au monde des hommes.
Bilan : une femme qui semble avoir perdu tout caractère humain, mais précisément pour gagner en humanité, voire en grandeur, par contraste avec ceux qui la regardent.
II. Un portrait chargé de signification
A. Une femme emblématique de la condition des petites gens au XIXè siècle
- La dernière phrase du texte = montre que cette femme est une allégorie de "ce demi-siècle de servitude". Tout le portrait est donc à lire comme une dénonciation de cette servitude.
- Accumulation l. 6 : insiste sur la difficulté des tâches, leur nombre, et les conditions de travail insalubres (poussière)
- Accumulation, dans la même phrase, l.7 : conséquences physiques de ce travail, amplifiées par l'intensif "si bien". Noter aussi l'allitération en [r] qui accentue la rugosité des mains, à cause de la rudesse du travail.
- De nouveau un intensif ("à force de") devant le verbe "servir" : montre la longueur de cette servitude ; longueur accentuée par la vieillesse de la femme et l'indicateur temporel "demi-siècle" l. 17.
- "tant de souffrances subies" : encore un intensif ("tant de") devant un nom au pluriel qui traduit l'indignation du narrateur.
- Champ lexical de la servitude : "servi" l.8, "servitude" l.17, "subies", l.10, mais également "camisole", qui désigne à la fois une veste courte, et une contrainte, un enfermement.
Bilan : le portrait est l'occasion d'une dénonciation du travail difficile, qualifié de "servitude", qui détruit des hommes et des femmes.
B. Une femme entre déchéance et grandeur
- certes, déchéance de la femme, présentée comme une bête de foire : elle est sur "l'estrade", offerte au regard des "bourgeois" qui la détaillent comme une curiosité (voir "les examinateurs" et "devant ces bourgeois").
- solitude de cette femme face à l'accumulation de pluriels ("les drapeaux, les tambours, les messieurs"), et face au champ lexical de la foule ("compagnie si nombreuse", "la foule", "les examinateurs", "ces bourgeois").
- Opposition entre sa pauvreté et la richesse du public : pauvre "tablier bleu" en contraste avec les élégants "messieurs en habit noir" : elle est exhibée pour servir de divertissement.
- Cependant, champ lexical de la pureté : "lessives", "rincées", "eau claire", "regard pâle" : cette femme représente une forme de grâce.
- Comparaison avec la "pomme de reinette" : certes, apparence "flétrie", mais intérieur doux et sucré : cette femme renferme une saveur particulière.
- Description presque christique (= comme le Christ) : "monacale" fait référence à la religion ; les mains qui "restaient entrouvertes" font penser à la posture du Christ comme on le voit dans certaines représentations, paumes tournées vers le ciel ; "l'expression de sa figure" renvoie à l'expression extatique de certaines saintes (Thérèse d'Avila par exemple) ; "humble témoignage de tant de souffrances subies" réfère à la passion du Christ.
Bilan : l'animalisation de la femme, bien loin de la rabaisser, l'érige au contraire en martyr, comme si le règne animal était le plus pur, le plus proche de la sainteté.
C. Un portrait pour dénoncer la bêtise et la violence de la bourgeoisie
- Bêtise des bourgeois qui se donnent bonne conscience en remettant une médaille à une pauvre femme.
- Condescendance de leur part : ils "lui souriaient" = à la fois mépris et encouragement.
- "ces bourgeois épanouis" : très péjoratif pour Flaubert. Le démonstratif "ces" les désigne comme coupables ; l'emploi d'un terme de catégorie sociale ("bourgeois") accentue le fossé entre la femme et eux ; l'adjectif "épanouis" est polysémique : ils sont heureux, par contraste avec la rigidité et la peur de la femme, mais ils sont aussi bien développés, c'est-à-dire gros, ils mangent bien, par opposition à la femme maigre.
- le rituel de la remise de la médaille est tourné en dérision : accumulation de la ligne 14 qui montre que les bourgeois en font trop ; la femme ne comprend d'ailleurs pas ce qui se passe ni ce qu'on attend d'elle.
- violence : image symbolique de "la foule la poussait" : la bourgeoisie l'a enfermée dans sa condition difficile.
- violence encore dans la mise en scène de la remise de la médaille : symboles de la patrie (drapeaux, tambour, médaille) comme si la France entière, le gouvernement était complice de "ce demi-siècle de servitude".
Bilan : un portrait qui dénonce la violence de la bourgeoisie à l'égard des pauvres gens. Critique du système social.
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