I. Une structure qui se resserre sur le personnage principal
A. Un cadre spatio-temporel qui s'organise autour du personnage principal
Un cadre temporel précis :
- premiers mots du roman : « Le 15 septembre 1840" = période de la monarchie de Juillet, débutée en 1830 et qui prendra fin en 1848 (avec Louis-Philippe)
- resserrement encore plus précis avec l'heure : "vers six heures du matin » (ligne 1).
- quelques indications temporelles autour de Frédéric : "pendant deux mois" puis "avant d'aller" : on peut donc suivre avec exactitude le jeune homme.
Un cadre spatial qui se concentre progressivement sur le personnage :
- Dès la 2è ligne : nom propre et préposition spatiale « devant le
quai Saint-Bernard » dont on ignore encore où cela se trouve.
- mais énumération de lieux réels lignes 14-15: « l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame », "Paris" : on se situe dans un cadre réel.
- enfin, les lieux sont cités en fonction du personnage, avec le tracé de son parcours : départ du « Havre » jusqu' « à
Nogent-sur-Seine ».B. Un resserrement progressif de la description sur Frédéric
Une description du plus large au plus précis :
- on commence par "des gens", puis l'activité autour du bateau : champ lexical du mouvement et du bruit qui donne une impression de brouillage, de désordre
- tout reste encore indéterminé : déterminants indéfinis "des", pronom indéfini "on", symbolique de "la vapeur" et de la "fumée blanchâtre" qui baignent tout dans le vague, le flou.
- On arrive alors à "un jeune homme" l.11, donc la description se fait plus précise.
- On connaît enfin son nom : "M. Frédéric Moreau" l.16 : le récit se précise encore.
- le retour à la description l. 22 à 31 est apaisé : "le tumulte s'apaisait", comme si le fait de connaître enfin le nom du personnage principal débrouillait le tout. De fait, on voit désormais à travers ses yeux : focalisation interne, qui permet d'organiser logiquement ce qui est vu.
C. Une focalisation qui nous fait pénétrer dans l'univers du personnage
- L'extrait débute par une focalisation externe à l'imparfait : description tous azimuts, aussi bien des gens que des marchandises, des matelots ou des bruits. Accumulation d'objets (l.3-4), phrase à cadence majeure : le début est assez heurté, bref, et la fin du paragraphe (5 à 8) est long et ample, avec deux subordonnées.
- Puis passage à la focalisation interne l. 9-10 : comparaison des berges avec "deux larges rubans" : la mise en mouvement du navire donne du mouvement à ce qui est vu du navire, c'est-à-dire aux berges, vues par Frédéric.
- A cette focalisation succède d'ailleurs immédiatement la désignation des yeux par qui tout est vu : ceux d'un "jeune homme de dix-huit ans". Toute la fin de l'extrait est en focalisation interne : nous sommes dans les pensées et le regard de Frédéric, preuve de son importance dans le roman.
- Ce qui est vu par Frédéric : d'abord l'intérieur du bateau, l. 22 à 26 : champ lexical des couleurs, du bruit et du mouvement régulier qui transforme la réalité : il ne s'agit plus de l'agitation brouillonne et bruyante du début, mais d'une vision un peu romantique du monde. Exemple avec la personnification de la cheminée qui "crachait avec un râle lent" : effet pathétique (pour une cheminée !).
- Frédéric voit ensuite l'extérieur du navire, l. 27 à 31 : de la même manière, la description est subjective, poétique ("les brumes errantes se fondirent"), reflétant encore l'état d'esprit de Frédéric.
II. Portrait ironique d'un jeune romantique
- on connaît d'abord le jeune homme physiquement : son âge ("jeune"), sa coupe de cheveux ("longs"), sa posture ("immobile") ; on en sait ensuite un peu plus grâce à la focalisation omnisciente : l'âge précis ("dix-huit ans"), son nom, son état ("bachelier" et futur étudiant en droit), son lieu de vie.
- mais champ lexical du flou : "brouillard", "vapeur", "nuée", "panache de fumée", "brumes errantes" : la vision de Frédéric est déformée, il voit tout à travers le filtre de la rêverie.
- Il est naïf : ignorance du nom des édifices l.13
- Il est dépeint comme une espèce d'artiste : son album sous le bras, le "drame" auquel il pense (un drame est une pièce de théâtre), les "tableaux", les "vers" : cliché du jeune homme plein d'idéaux mais un peu hors de la réalité.
- Il est dans l'inaction : il "pensait", "se déclama", "vit", mais ne fait pas grand-chose à part marcher sur le pont du bateau.
B. Le regard ironique du romancier sur le personnage rêveur
-
toutes ces informations sont chargées de symboles à décrypter :
Frédéric adopte la coupe de cheveu des romantiques, la posture des
romantiques (contemplatif, voir par exemple le tableau de Friedrich :
Voyageur contemplant une mer de nuages"), il ressemble même à un artiste
avec "un album sous son bras".
- des indices parsèment le texte : champ lexical de la contemplation et de l'ennui : « contemplait », « un grand soupir », « immobile », « il devait languir », "vers mélancoliques" = Frédéric est la caricature même du personnage romantique !
- un clin d'oeil à Victor Hugo (chef de file du romantisme) avec l'allusion à "Notre-Dame" et "Paris" (Notre Dame de Paris, grand roman de V. Hugo).
-
Ses pensées sont des clichés du romantisme : "drame" l.32 (le drame
romantique = une création de V. Hugo ; mais on peut aussi imaginer que
Frédéric voudrait vivre une vie trépidante, pleine de drames) ;
"passions" au pluriel ; "excellence" = référence au sublime des
romantiques.
C. Un roman d'apprentissage
Quelques indices symbolique de ce que sera le roman : un roman d'apprentissage, comme il y en a beaucoup chez les écrivains réalistes.
- symboles du départ dans la vie : tôt le matin ; départ du navire ; levé du soleil l. 29-30
- de multiples métaphores de la vie à venir du jeune homme : « album » l.11, du latin alba = blanc désigne un ensemble de pages blanches à remplir, métaphorique de la vie future du jeune homme ; " la route la plus longue » l.21 ; "la rivière" l.26
- Frédéric se projette dans le futur : "la chambre qu'il occuperait" (conditionnel = valeur de futur dans un récit au passé), et marche vite comme pour hâter ce futur : "marchait sur le pont à pas rapides" l.35.
- Son regard s'arrête précisément sur "un monsieur" qui séduit une jeune femme et exhibe sa richesse (champ lexical de la richesse : velours, émeraude, batiste, cuir...). Mais cette description est cyniquement en opposition avec les idéaux romantiques de Frédéric : qu'est-ce qui l'emportera chez le jeune homme ? Ses idéaux ou sa soif de réussir ?
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