LA
n°4 « L’Invitation au voyage »
49ème
poème de la section “Spleen et Idéal” dans l'édition de 1857
(53ème dans l'édition de 1861) : fait partie du cycle “Marie
Daubrun”, une actrice avec laquelle Baudelaire a entretenu une
liaison orageuse. Poème peignant un paysage idéal, inspiré par les
yeux de la femme aimée. Correspondance donc entre la femme et le
paysage.
Poème
organisé en trois strophes entrecoupées d'un refrain. Vers impairs,
5 ou 7 syllabes (pentasyllabes et heptasyllabes)
=>
problématiques possibles :
- Quelle image de l'idéal le poète propose-t-il dans ce poème ? // Quelles sont les composantes de l'idéal baudelairien ?
- Comment le poète crée-t-il une correspondance femme / paysage ?
- Quel idéal permet l'évasion dans ce poème ? // comment l'évasion permet-elle d'atteindre l'idéal ?
I.
La correspondance femme / paysage
Présence
de la femme aimée tout au long du poème, c'est elle qui suggère un
ailleurs idéal.
A.
Une femme muse...
La
femme est présente à travers tout le poème :
-
L'apostrophe “Mon enfant, ma soeur” ouvre le poème : il s'agit
d'un discours à l'adresse de la femme aimée
-
Les déterminants possessifs instaurent un lien entre la femme et le
poète “mon, ma”.
-
Les deux termes affectifs “enfant”, “sœur” soulignent le ton
affectueux et protecteur.
-
Nombreux déterminants possessifs et pronom personnel de deuxième
personne = présence de la femme dans tout le poème : “tes” “te”
“ton”
-
« Songe », « Vois »: la femme est présente à travers ces deux
verbes à l’impératif, dont elle est le sujet. Le poète l'invite
à entrer avec lui dans le rêve et à contempler les lieux qu'il
lui décrit.
-
Anaphore du verbe “aimer” v.4 et 5 : la relation entre le poète
et la femme se précise : il s'agit de la femme aimée.
-
Cette femme muse est une âme-soeur : “soeur” v.1 “ensemble”
v.3, elle est celle avec qui le poète veut voyager.
-
Le pronom personnel « nous » dans l'expression « notre chambre »:
implique l'idée du couple. Le poète et la femme fusionnent dans ce
« nous »,
-
Mais ambiguité des yeux de la femme qualifiés de « traîtres » :
dualité de la femme (perdition et volupté) ou yeux envoûtants qui
peuvent faire perdre le sens de la réalité ?
B.
… invitée à voyager
-
comparaison femme / pays au v.6 : « Au pays qui te ressemble ! » =>
ce sont les yeux de la femme qui suggèrent au poète le voyage
-
parallélisme “yeux brillants à travers leurs larmes” et
“soleils mouillés de ces ciels brouillés” => équivalence
femme / pays rêvé, tous deux renferment un mystère : “charmes si
mystérieux”
-
Ce lieu n'est pas nommé: l'adverbe de lieu “là-bas” ne le situe
pas, la “ville” v.37 ne renseigne pas plus. On connait quelques
caractéristiques : “les canaux”, les “ciels brouillés”, les
“vaisseaux” qui viennent de loin suggèrent Amsterdam, mais
l'imprécision est cultivée pour accentuer l'impression d'ailleurs
imaginaire.
-
Les trois occurrences de « Là » renforcent l'imprécision. Ce qui
compte, c'est que ce pays soit situé dans un ailleurs, loin de
l'ici.
-
Champ lexical du voyage, de l'ailleurs : “pays” v.5, et des mots
en rime : “orientale” v.23 et “langue natale” v.26,
“vagabonde” v.31 et “bout du monde” v.34.
C.
… par le rêve et l'imagination
-
Ce « pays » n'est qu'imaginaire,
fantasmé , comme le montrent l'emploi du verbe « Songe »v.2
et les références à l'esprit du
poète: “mon esprit” v. 9, “l'âme” v.25.
-
Emploi du conditionnel « décoreraient », « parlerait » =>
domaine de l'imaginaire, de la rêverie.
-
Pas de verbes de déplacement, exceptés : “aller là-bas” v.3 et
“viennent du bout du monde” v.34 => tout se passe en fait dans
un même lieu, dans lequel les bateaux “viennent” de loin.
-
Le poème progresse vers l'endormissement de la ville, endormissement
propice à la rêverie : ”dormir” v.30, “couchants” v.35,
“s'endort” v.39
-
Passage au présent de l'indicatif dans la dernière strophe :
l'imaginaire se fait réalité dans l'esprit du poète qui vois
réellement la scène. Il passe également du “songe” de la 1ère
strophe à un “vois” ici : on passe d'un fantasme à une vision.
II
- Un lieu idéal
A.
Un pays de calme et de
liberté
-
Le mot « douceur » dans la première strophe annonce le “calme”
repris dans le refrain. Idée suggérée par les meubles “polis”
v.16 => pays de calme et de douceur.
-
Le crépuscule et le thème de l'endormissement dans la dernière
strophe soulignent le calme et la paix qui règnent dans ce lieu. Les
navires personnifiés dorment et le monde “s'endort”.
-
allusion à la “douce langue natale” v. 26 => lieu familier,
comme toujours connu, rassurant, presque maternel (à mettre en
parallèle avec l'idée d'un lieu clos, avec une femme aimée,
désignée par des termes suggérant les liens du sang, “enfant”,
“soeur” ... tout fait penser à la mère !) => ce lieu
serait-il le souvenir d'un paradis vécu dans le ventre maternel ?...
-
Aucune limite spatiale : univers large, bien que clos dans une
“chambre” dans la 2ème strophe : les “miroirs” profonds”
v.22 élargissent l'espace à l'infini ; on peut s'aimer “à
loisir”, c'est-à-dire sans contrainte d'aucune sorte.
-
Les parfums suggèrent également cette impression d'évasion sans
limite.
-
Elargissement à la ville entière dans la 3ème strophe =>
passage d'un lieu clos à un lieu ouvert sur le monde, comme le
prouvent les “vaisseaux” qui vont et viennent : on est dans un
port, un port qui commerce avec “le bout du monde” =>
ouverture sur le monde entier.
B.
Un lieu de luxe et de volupté
-
reprise du terme “volupté” dans le refrain, c'est-à-dire le
plaisir sensuel (= des sens). Ce nom occupe 4 syllabes sur un vers
qui en compte 7 => on accentue sur ce dernier mot, qui prend alors
une importance particulière
-
Toute une strophe (la 2è) consacrée à la description de la chambre
des amants => lieu de volupté par excellence, d'amour charnel.
-
Trois sens sont suggérés, avec prédominance de deux d'entre eux :
odorat (voir champ lexical des parfums), vue (voir champ lexical de
la lumière), toucher (“polis”, “douce”).
-
parfums précieux : « les plus rares fleurs », « mêlant leurs
odeurs », « senteurs de
l'ambre
»
-
la décoration est riche : « des meubles luisants », « riches
plafonds », « miroirs profonds », « splendeur orientale »
-
abondance de pluriels dans la 2ème strophe => soulignent la
richesse et le luxe de cet intérieur.
-
abondance de rimes riches dans cette même strophe => accentue
encore la richesse du lieu
-
champ lexical de la lumière: “brillant” v.8, “luisants”
v.15, “soleils couchants” v.35, lumière faite “d'hyacinthe et
d'or” v.38 et “chaude lumière” v.40 => lumière riche et
chaude.
-
“assouvir ton moindre désir” v.32- 33 => idée de luxe et de
plénitude
C.
Un lieu d'ordre et de beauté, d'art
- jeu sur les couleurs et les lumières,
- référence à Amsterdam,
- poème souvent comparé à un tableau en triptyque (c'es-à-dire en trois panneaux): 1ère strophe = le ciel ; 2ème strophe = l'intérieur de la chambre ; 3ème strophe = la ville
- référence aux miroirs (très présents dans les intérieurs peints par Vermeer)
-
poème parfaitement composé, comme une chanson : 3 strophes et un
refrain ; en pentasyllabes et heptasyllabes, vers impairs et courts
donc => musicalité, bercement, harmonie => accentue d'autant
l'impression de beauté.
-
Poème qui rappelle fortement les tableaux hollandais du XVIIème
siècle, Vermeer notamment :
-
la reprise des termes “ordre et beauté” dans le refrain =>
exigence d'une esthétique rigoureuse, clin d'oeil à ses amis
Parnassiens ?...
1)
Un exemple de tableau de Vermeer
2)
L'invitation au voyage du même poète, mais issu des Petits poèmes
en prose cette fois. Il est intéressant de noter les ressemblances
et les différences entre les deux poèmes.
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