LA
n°2 : « Elévation »
Situé
dans la première partie de la section « Spleen et Idéal » :
3ème poème de la section dans toutes les éditions. Il appartient
donc au cycle de l'art, cycle dans lequel Baudelaire évoque aussi
bien la condition du poète que la création artistique. Le titre
est polysémique : élévation comme mouvement ascensionnel,
mais désigne également le moment de la célébration où le prêtre
lève l'hostie. Ce double sens se retrouve tout au long du poème, où
l'on peut interpréter le mouvement vers les hauteurs comme un moment
d'exaltation mystique ; il est intéressant de noter que le
terme « exaltation » signifie, au sens littéral,
« élévation »... Dans ces vers, le poète s'adresse
d'abord à son esprit pour décrire un lieu idéal, un lieu de
bonheur, loin de la terre et de la matière dans laquelle s'englue le
corps, puis chante une sorte de prière qui s'apparente aux
« Béatitudes » du Nouveau Testament.
Plusieurs
problématiques possibles dans ce poème :
- Quelle représentation de l'Idéal Baudelaire propose-t-il ?
- Comment le poète s'affranchit-il du monde pour atteindre son idéal ?
- Qu'est-ce que l'Idéal pour Baudelaire ?
- En quoi cette élévation est-elle à la fois physique, spirituelle et mystique ?
- Que représente l'élévation pour Baudelaire ?
- L'élévation : de la terre à un lieu spirituel
A. Les
causes de l'élévation : une réalité pesante
- Le poème débute sur une accumulation d'éléments terrestres à dépasser, comme autant d'obstacles à franchir.
- Gradation : « étangs » et « vallées » plus enfermants que « montagnes, bois, nuages et mers » qui annoncent une forme de liberté.
- Rythme régulier du 2ème vers : 4/2/4/2 => comme une marche saccadée.
- Autre référence à la terre plus loin dans le poème : vers 9, à travers l'expression « miasmes morbides ». Terre porteuse de maux (les miasmes = émanations censées diffuser des maladies) et porteuse de mort. Remarquer l'allitération en [m] qui marque ce monde de la matière et du mal. Expression à rapprocher de l'adjectif « brumeuse », v. 14, qui non seulement comporte également le son [m], mais réfère également à l'aspect flou, gazeux et obscur des miasmes.
- Vers 13 et 14 : terre porteuse d' « ennuis », de « chagrins » et marquée par un lexique de la pesanteur : « chargent », « poids », qu'on retrouve dans des poèmes évoquant le spleen, par exemple le « Spleen IV » : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ».
=>
La terre est le lieu de la matière, de l'engluement, c'est un lieu
triste, sombre et pesant. On comprend alors pourquoi le poète veut
s'en éloigner.
B. Le mouvement ascensionnel vers un lieu immatériel
- L'idée d'élévation apparaît d'abord dans le titre
- Plusieurs gradations dans la 1ère strophe : on a vu l'ascension des éléments bas (étangs et vallées » aux éléments hauts (montagnes, nuages), mais encore des éléments terrestres aux éléments célestes : soleil, éthers et même, dépassement des « confins » (c'est-à-dire des limites!) des étoiles.
- Gradations accentuées par la répétition de « au-dessus » au v.1, puis le passage à « au-delà » en anaphore aux v. 3 et 4 => « au-dessus » marque un mouvement horizontal (on plane au-dessus de quelque chose), alors que « au-delà » caractérise un mouvement vertical, un dépassement.
- Tout un lexique de l'envol parsème le poème : « envole-toi » v.9, « aile » v.15, « s'élancer » v.16, « alouettes » v.17, « essor » v.18 , « plane » v.19
- Ce lieu semble physiquement inaccessible : de par son éloignement d'une part, mais aussi de par sa position dans l'espace : où est-il puisqu'il est encore plus loin que les étoiles ? On en conclut qu'il s'agit plutôt d'un lieu imaginaire, un lieu qui n'existe que dans l'esprit.
- Interprétation corroborée par l'apostrophe à l'esprit v. 5. Ce lieu est un lieu de l'esprit, l'élévation est une élévation spirituelle.
- L'idéal : descriptionA. Un lieu de liberté
Un
espace non clos : « immensité profonde » v.7 et
« champs » v.16 ; en opposition avec les
contraintes terrestres énumérées dans la 1ère strophe
Sans
aucune pesanteur : « dans l'onde » ; en opposition
avec le champ lexical du poids du vers 14
Liberté
de mouvement : « tu te meus avec agilité » ,
« tu sillonnes », « plane » v.19 => mouvements
horizontaux différents des mouvements d'élévation. Ici, mouvements
marquant le bonheur.
Adjectif
« libre » v.18 : insiste sur le détachement du
poète par rapport au monde.
B. Un
lieu de pureté
Dans
la 2ème strophe, lexique associé à l'eau pour évoquer la pureté
qu'on retrouvera dans la strophe suivante : « nageur »,
« onde » ; puis « bois », « liqueur »
Eau
associé aux éléments air (« air », « envoles »,
« espaces ») et feu (« feu ») => seul
l'élément « terre » manque à la purification, ce qui
s'explique par le fait que la terre est l'élément dont il faut
s'affranchir, l'élément pesant et « morbide ».
Champ
lexical de la pureté associé à la lumière : « pure »,
« purifier », « clair », « limpide »,
« lumineux » ; opposé aux « miasmes »
v.9 et à l'existence « brumeuse » v.14
Noter
la double diérèse du vers 10 sur « purifier » (4
syllabes) et « supérieur » (4 syllabes) => accent mis
sur ces deux termes, qui sont placés, en plus, au centre du poème
(10ème vers sur 20)
C. Un lieu de félicité
Dans
la strophe 2, lexique du plaisir physique pour évoquer le bonheur :
« se pâme », « mâle volupté ». A relier au
fait que tout ce qui désigne l'esprit est décrit à l'aide d'images
concrètes : comparaison « comme un bon nageur »
v.6, « sillonnes » v.7, l'envol, la liqueur purifiante.
=>le
bonheur de l'esprit dans ce lieu idéal est comparable au plaisir du
corps sur la terre. Le poète utilise des images connues pour évoquer
des émotions inconnues = correspondances concret / abstrait, corps /
esprit
=>
le v.5 fait prosaïquement penser à l'expression populaire « comme
un poisson dans l'eau » => aise de l'esprit, confirmée par
un champ lexical qui concerne bel et bien l'esprit (et non plus le
corps cette fois ) :
Champ
lexical du bonheur : « gaiement, « heureux »,
« sereins »
- Une métaphore de la création poétiqueA. L'accès au divin et à l'harmonie
Champ
lexical du divin : « élévation » dans son
acception religieuse, « divine » v.11, « les
cieux » v.18
L'expression
« Heureux celui qui » : reprend une formule biblique
(les Béatitudes, Matthieu, 5, 3-12 : « Heureux ceux qui
ont une âme de pauvres... ) : formule qui traduit à la fois
une certaine mystique et un espoir de bonheur (de béatitude), mais
pas grâce à une divinité, plutôt grâce à la poésie. Attention
ne pas traduire cette idée en constatation de l'échec du poète =>
il y a bel et bien espoir d'idéal, et c'est ce qui est chanté ici.
Evocation
de la lumière : « feu clair », « lumineux »
toujours associée à un terme marquant la plénitude : le feu
clair « remplit les espaces » et les champs lumineux sont
« sereins ». La lumière est donc un élément qui
comble.
Harmonie
entre l'esprit et son environnement : trois comparaisons v. 6,
11 et 17 qui assimilent le bonheur de l'esprit à un élément
matériels et terrestres.
D'ailleurs,
au v.8, la « mâle volupté » s'apparente à un plaisir
érotique procuré par l'immensité, comme s'il y avait acte d'amour
entre l'esprit et son environnement.
Réconciliation
avec la terre dans la dernière strophe : l'esprit n'est plus
dans un ailleurs lointain, mais il « plane sur la vie »
et il comprend enfin les éléments de la terre, ici, les « fleurs »
=> harmonie esprit / corps / terre / univers.
B. Grâce à la création poétique
La
métaphore « langage des fleurs » suggère le langage
poétique, le langage capable de traduire l'indicible, celui qui
touche les émotions et non pas l'intellect.
A
mettre en relation avec « comprend sans effort » =>
comme si la poésie permettait une compréhension universelle et
spontanée de tout.
« Elévation »
est donc à comprendre comme alors une élévation spirituelle par la
poésie, ce qui permet une relecture du poème : toutes les
images de l'idéal baudelairien décriraient un état atteint lors de
la création poétique.
Ainsi :
« tu te meus avec agilité », « comme un bon
nageur » suggèrent l'aisance du poète à écrire et le
plaisir que cette écriture lui procure. Le « feu clair qui
remplit les espaces limpides » transcrirait l'inspiration
poétique...
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