mercredi 20 mai 2015

Baudelaire, L.A n°2 : Elévation


LA n°2 : « Elévation »

Situé dans la première partie de la section « Spleen et Idéal » : 3ème poème de la section dans toutes les éditions. Il appartient donc au cycle de l'art, cycle dans lequel Baudelaire évoque aussi bien la condition du poète que la création artistique. Le titre est polysémique : élévation comme mouvement ascensionnel, mais désigne également le moment de la célébration où le prêtre lève l'hostie. Ce double sens se retrouve tout au long du poème, où l'on peut interpréter le mouvement vers les hauteurs comme un moment d'exaltation mystique ; il est intéressant de noter que le terme « exaltation » signifie, au sens littéral, « élévation »... Dans ces vers, le poète s'adresse d'abord à son esprit pour décrire un lieu idéal, un lieu de bonheur, loin de la terre et de la matière dans laquelle s'englue le corps, puis chante une sorte de prière qui s'apparente aux « Béatitudes » du Nouveau Testament.

Plusieurs problématiques possibles dans ce poème :

  • Quelle représentation de l'Idéal Baudelaire propose-t-il ?
  • Comment le poète s'affranchit-il du monde pour atteindre son idéal ?
  • Qu'est-ce que l'Idéal pour Baudelaire ?
  • En quoi cette élévation est-elle à la fois physique, spirituelle et mystique ?
  • Que représente l'élévation pour Baudelaire ?

  1. L'élévation : de la terre à un lieu spirituel
A. Les causes de l'élévation : une réalité pesante

  • Le poème débute sur une accumulation d'éléments terrestres à dépasser, comme autant d'obstacles à franchir.
  • Gradation : « étangs » et « vallées » plus enfermants que « montagnes, bois, nuages et mers » qui annoncent une forme de liberté.
  • Rythme régulier du 2ème vers : 4/2/4/2 => comme une marche saccadée.
  • Autre référence à la terre plus loin dans le poème : vers 9, à travers l'expression « miasmes morbides ». Terre porteuse de maux (les miasmes = émanations censées diffuser des maladies) et porteuse de mort. Remarquer l'allitération en [m] qui marque ce monde de la matière et du mal. Expression à rapprocher de l'adjectif « brumeuse », v. 14, qui non seulement comporte également le son [m], mais réfère également à l'aspect flou, gazeux et obscur des miasmes.
  • Vers 13 et 14 : terre porteuse d' « ennuis », de « chagrins » et marquée par un lexique de la pesanteur : « chargent », « poids », qu'on retrouve dans des poèmes évoquant le spleen, par exemple le « Spleen IV » : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ».

=> La terre est le lieu de la matière, de l'engluement, c'est un lieu triste, sombre et pesant. On comprend alors pourquoi le poète veut s'en éloigner.

B. Le mouvement ascensionnel vers un lieu immatériel

  • L'idée d'élévation apparaît d'abord dans le titre
  • Plusieurs gradations dans la 1ère strophe : on a vu l'ascension des éléments bas (étangs et vallées » aux éléments hauts (montagnes, nuages), mais encore des éléments terrestres aux éléments célestes : soleil, éthers et même, dépassement des « confins » (c'est-à-dire des limites!) des étoiles.
  • Gradations accentuées par la répétition de « au-dessus » au v.1, puis le passage à « au-delà » en anaphore aux v. 3 et 4 => « au-dessus » marque un mouvement horizontal (on plane au-dessus de quelque chose), alors que « au-delà » caractérise un mouvement vertical, un dépassement.
  • Tout un lexique de l'envol parsème le poème : « envole-toi » v.9, « aile » v.15, « s'élancer » v.16, « alouettes » v.17, « essor » v.18 , « plane » v.19
  • Ce lieu semble physiquement inaccessible : de par son éloignement d'une part, mais aussi de par sa position dans l'espace : où est-il puisqu'il est encore plus loin que les étoiles ? On en conclut qu'il s'agit plutôt d'un lieu imaginaire, un lieu qui n'existe que dans l'esprit.
  • Interprétation corroborée par l'apostrophe à l'esprit v. 5. Ce lieu est un lieu de l'esprit, l'élévation est une élévation spirituelle.

  1. L'idéal : description
    A. Un lieu de liberté 
Un espace non clos : « immensité profonde » v.7 et « champs » v.16  ; en opposition avec les contraintes terrestres énumérées dans la 1ère strophe

Sans aucune pesanteur : « dans l'onde » ; en opposition avec le champ lexical du poids du vers 14

Liberté de mouvement : « tu te meus avec agilité » , « tu sillonnes », « plane » v.19 => mouvements horizontaux différents des mouvements d'élévation. Ici, mouvements marquant le bonheur.

Adjectif « libre » v.18 : insiste sur le détachement du poète par rapport au monde.

B. Un lieu de pureté

Dans la 2ème strophe, lexique associé à l'eau pour évoquer la pureté qu'on retrouvera dans la strophe suivante : « nageur », « onde » ; puis « bois », « liqueur »

Eau associé aux éléments air (« air », « envoles », « espaces ») et feu (« feu ») => seul l'élément « terre » manque à la purification, ce qui s'explique par le fait que la terre est l'élément dont il faut s'affranchir, l'élément pesant et « morbide ».

Champ lexical de la pureté associé à la lumière : « pure », « purifier », « clair », « limpide », « lumineux » ; opposé aux « miasmes » v.9 et à l'existence « brumeuse » v.14

Noter la double diérèse du vers 10 sur « purifier » (4 syllabes) et « supérieur » (4 syllabes) => accent mis sur ces deux termes, qui sont placés, en plus, au centre du poème (10ème vers sur 20)

C. Un lieu de félicité

Dans la strophe 2, lexique du plaisir physique pour évoquer le bonheur : « se pâme », « mâle volupté ». A relier au fait que tout ce qui désigne l'esprit est décrit à l'aide d'images concrètes : comparaison « comme un bon nageur » v.6, « sillonnes » v.7, l'envol, la liqueur purifiante.

=>le bonheur de l'esprit dans ce lieu idéal est comparable au plaisir du corps sur la terre. Le poète utilise des images connues pour évoquer des émotions inconnues = correspondances concret / abstrait, corps / esprit

=> le v.5 fait prosaïquement penser à l'expression populaire « comme un poisson dans l'eau » => aise de l'esprit, confirmée par un champ lexical qui concerne bel et bien l'esprit (et non plus le corps cette fois ) :

Champ lexical du bonheur : « gaiement, « heureux », « sereins »


  1. Une métaphore de la création poétique
    A. L'accès au divin et à l'harmonie
Champ lexical du divin : « élévation » dans son acception religieuse, « divine » v.11, « les cieux » v.18

L'expression « Heureux celui qui » : reprend une formule biblique (les Béatitudes, Matthieu, 5, 3-12 : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvres... ) : formule qui traduit à la fois une certaine mystique et un espoir de bonheur (de béatitude), mais pas grâce à une divinité, plutôt grâce à la poésie. Attention ne pas traduire cette idée en constatation de l'échec du poète => il y a bel et bien espoir d'idéal, et c'est ce qui est chanté ici.

Evocation de la lumière : « feu clair », « lumineux » toujours associée à un terme marquant la plénitude : le feu clair « remplit les espaces » et les champs lumineux sont « sereins ». La lumière est donc un élément qui comble.

Harmonie entre l'esprit et son environnement : trois comparaisons v. 6, 11 et 17 qui assimilent le bonheur de l'esprit à un élément matériels et terrestres.

D'ailleurs, au v.8, la « mâle volupté » s'apparente à un plaisir érotique procuré par l'immensité, comme s'il y avait acte d'amour entre l'esprit et son environnement.

Réconciliation avec la terre dans la dernière strophe : l'esprit n'est plus dans un ailleurs lointain, mais il « plane sur la vie » et il comprend enfin les éléments de la terre, ici, les « fleurs » => harmonie esprit / corps / terre / univers.

B. Grâce à la création poétique

La métaphore « langage des fleurs » suggère le langage poétique, le langage capable de traduire l'indicible, celui qui touche les émotions et non pas l'intellect.

A mettre en relation avec « comprend sans effort » => comme si la poésie permettait une compréhension universelle et spontanée de tout.

« Elévation » est donc à comprendre comme alors une élévation spirituelle par la poésie, ce qui permet une relecture du poème : toutes les images de l'idéal baudelairien décriraient un état atteint lors de la création poétique.

Ainsi : « tu te meus avec agilité », « comme un bon nageur » suggèrent l'aisance du poète à écrire et le plaisir que cette écriture lui procure. Le « feu clair qui remplit les espaces limpides » transcrirait l'inspiration poétique...

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