Spleen
IV
4ème
et dernier poème intitulé « Spleen », sur une série de
4 : situé vers la fin de la section « Spleen et Idéal ».
Poème le plus sombre des quatre « Spleen », qui reprend
les thèmes chers au Romantisme Noir (créatures maléfiques, goût
du macabre, satanisme, folie...) pour décrire l'état spleenique.
Poème noir donc, offrant une représentation imagée
Etudier
la structure du poème en lien avec les indices temporels -> deux
parties se dégagent :
La
première, marquée par l'anaphore de « Quand » = les 3
premiers quatrains
La
deuxième, introduite par le connecteur temporel « tout-à-coup »,
4ème strophe.
I.
Les images du spleen
A.
Description d'un paysage angoissant
« Quand
le ciel / Quand la terre / Quand la pluie » : éléments de la
Nature.
-
Une
nature de mauvais temps :
C.L
: « ciel bas et lourd », « pluie »,
« humide », « jour noir »
- Une
nature oppressante, étouffante :
-
Le ciel, habituellement élévation vers l'infini, est ici qualifié
deux fois : « bas » + « lourd » + métaphore
du « couvercle » qui « pèse » ->
oppressant.
-
Ce ciel ne laisse aucune échappatoire, il enveloppe « tout »
l'horizon, v. 3 = déterminant indéfini globalisant
-
Perte de lumière : oxymore « jour noir » v.4 comparé à
la « nuit » v.4 + image du cachot et de la chauve-souris
dans la strophe suivante + l'expression « au fond de »
v.12 -> obscurité qui s'abat.
-
Champ lexical de la prison :
La
terre : métaphore du « cachot » La pluie : « imite les barreaux » d'une « prison »
barrières infranchissables : « les murs » v.7 et « des plafonds » v.8
Aucune
échappatoire possible : cette nature jusqu'à l'« horizon »
v.3, est « immense » v.9, et « vaste » v.10
-> à l'image du spleen qui envahit tout l'être.
- Une
nature effrayante et dégoûtante :
Créature
damnées : chauve-souris (métaphore de l'Espérance) et « infâmes
araignées » v.11 (araignées déjà répugnantes, et
impression de dégoût accentué par le qualificatif).
La
nature est « humide » v.5, a des plafonds « pourris »
v.8, remplis de « filets » d'araignées.
Tout
en mouvements : « verse » v.4, « bat » v.7,
« cogne » v.8, « étale » v.9, « tend »
v.12
B.
Un paysage qui correspond en réalité à l'état d'esprit du poète
Certes,
la nature influence l'esprit : Le jour est « triste » v.4
: il « répand la tristesse » selon l'une des définitions
que le Petit Robert donne à l'adjectif « triste » ->
la nature influence donc nos âmes.
Mais
finalement, c'est plutôt le poète qui utilise la nature pour
décrire son état d'esprit (= caractéristique du Romantisme) :
Chacune
des 3 strophes évoque un élément désignant l'esprit humain :
« esprit » V.2, « Espérance » v.6,
« cerveaux » v.12
Et
ces éléments sont reliés au paysage décrit : le ciel pèse sur
« l'esprit » de la 1ère strophe ; « l'Espérance »
de la 2è strophe est enfermée dans le cachot de la terre ; les
« cerveaux » de la 3è strophe sont envahis des
« filets » des araignées.
Nombreuses images qui expriment visuellement le sentiment du poète :
- Comparaisons : « le ciel … comme un couvercle » v.1 ; « la terre est changée en un cachot » v.5 ; « l'Espérance, comme une chauve-souris » v.6 ; « la pluie … d'une vaste prison imite les barreaux » v.10
-
Métaphore : « peuple muet d'infâmes araignées » v.11
-
Allégories : suite du poème → « l'Espoir » qui pleure
et « l'Angoisse » qui plante un drapeau
->
on passe donc d'images déclarées comme telles grâce aux outils de
comparaison, à des métaphores et allégories qui effacent la
frontière entre symbole et réalité, qui rendent plus présentes et
plus vivantes ces images, qui les font presque passer dans le domaine
de la réalité.
->
la nature représente le poète
C.
Le spleen lié à l'angoisse et à l'ennui
-
La souffrance est présente : « gémissant » v.2,
« battant » v.7 et « se cognant la tête »
v.8
-
Elle s'explique par les sentiments nommés : « ennuis »
v. 2, « triste » v.4 (remarquer l'assonance en [i], qui
marque la stridence de la souffrance)
-
L'ennui est marqué par l'utilisation de nombreux participes présents
: « gémissant », « embrassant »,
« battant », « cognant », « étalant »
-> fait écho à l'allitération en [an] de l'ennui ->
renforce cet ennui.
+
le participe présent évoque une action qui dure, et qui est en
cours de déroulement -> étirement des actions, allongement de
ces actions, donc ennui.
-
« ennuis » est précédé de l'adjectif « longs »
v.2, le tout au pluriel pour accentuer cet effet d'ennui.
-
les alexandrins s'étirent de manière monotone, sans heurt,
longuement.
-
Utilisation du pronom personnel : « nous » : le ciel
« nous verse » v.4, les araignées tendent leurs toiles
au fond de « nos cerveaux » v.12 -> universalité de
ce sentiment, complicité entre poète et lecteurs.
-
Entière passivité du poète : ce « nous » n'est pas
sujet, il subit.
II.
La progression du spleen
A.
La montée de l'angoisse
Premières
strophes = préparent la suite puisqu'elles constituent une seule et
même phrase qui se termine dans l'avant-dernière strophe.
Schéma
de cette phrase : Quand … quand... quand... tout à coup. Les 3
subordonnées (3 premières strophes) préparent la proposition
principale : permettent la dramatisation, la lente montée vers le
spleen.
Ces
subordonnées s'étalent en longueur avec les coordination « et »
v.3, 8 et 11, qui les rallongent.
Les
premières strophes opèrent un resserrement dans un lieu de plus en
plus clos : ciel et horizon (strophe 1) devient terre et cachot,
(strophe 2) puis prison et cerveau (strophe 3). On passe de la
description d'un extérieur triste à l'évocation de l'intériorité
du poète -> l'expérience de l'angoisse devient de plus en plus
personnelle, intime.
Ces strophes créent donc une effet d'attente, une tension.
B.
Le combat de l'esprit contre le spleen
Rupture
au vers 13 : avec le « tout à coup » qui remplace le
« quand » + irruption des « cloches ».
-
Mouvement brutal qui rompt avec la lenteur des strophes précédentes
: « sautent avec furie » + « lancent vers le ciel »
-> mouvements ascendants, tentative de rupture de l'état
léthargique dans lequel s'enfonce le poète.
-
Bruits : Ces cloches = esprit du poète, ou son art, sa création
poétique qui parfois lui permet de s'élever vers l'idéal. En tout
cas ici, les cloches ne font pas entendre un son heureux mais
« affreux ».
Personnification
: « poussent un hurlement », en rupture avec les
gémissements du vers 2 ou le peuple « muet » du v.11.
Allitérations
en [t], [k], [r] -> accélération du mouvement, rythme saccadé.
Comparaison
des cloches avec des « esprits errants » -> image
fantastique et morbide, amplification de la peur, du désespoir.
Image de solitude et de damnation. Lien à faire avec la
chauve-souris et les araignées : le poète ne ressemble plus qu'à
ces créatures damnées, aucun moyen de s'élever, c'est plutôt une
descente aux enfers.
Les
« hurlements » se transforment en gémissements
(« geindre ») -> renoncement du poète qui ne peut
plus accéder à l'idéal, qui est condamné à l'errance éternelle.
Noter
l'adverbe « opiniâtrement » -> accentue l'idée
d'éternité (d'abord parce que le mot est long, ensuite parce qu'il
y a diérèse, enfin parce que le mot suggère l'idée de durée).
Premier
point du poème -> comme une fin, une renonciation à se battre.
C.
Défaite de l'esprit
Insertion
d'un tiret pour introduire la dernière strophe : Rupture totale avec
ce qui précède, chute, introduite par la coordination « et »
qui marque ici la conséquence de ce qui précède.
La
bataille a été remportée :
-
Lexique guerrier : « tambours », « défilent »,
« vaincu », « despotique », « plante
son drapeau » + rythme solennel avec une césure marquée par
une virgule -> victoire de l'Angoisse, sur l'Espoir (allégories
marquées par la majuscule).
-
Lexique morbide : « corbillards », « pleure »,
« crâne », « drapeau noir »
-
Lexique de la souffrance : « pleure », « atroce »
-
Lexique du renoncement, de la défaite : « vaincu »,
« crâne incliné »
Le
tout est marqué par l'absence :
-
absence de musique « sans tambours ni musique »
-
absence de mouvement violent « défilent lentement »
-
absence de référence à la nature, le terrain ici est « mon
crâne » : passage au « je » dans le tout dernier
vers : on passe d'une expérience universelle (utilisation du
« nous » au début du poème), à une expérience intime,
très personnelle (« mon »).
-
absence d'espoir : contre-rejet de « l'Espoir » ->
rythme brisé, espoir condamné. Noter la rime de « Espoir »
avec « noir ».
-
absence de mouvement ascendant, toute tentative d'élévation est
condamnée -> uniquement des mouvements horizontaux (« longs »,
« défilent »), ou orientés vers le bas (« incliné »).
Le terme « esprit » fait place au terme « crâne »,
comme si toute spiritualité était désormais inutile -> crâne
comme référence au corps physique, à la mort.
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