Tristan
et Iseut, Bédier, L.A n°1
Problématique
possible : comment se met en place le mythe / la tragédie
?
- Un cadre spatio-temporel symbolique
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A. La
mer, l'entre-deux mondes
- Iseult emportée vers un ailleurs qu'elle ignore : « où ces étrangers l'entraînaient-ils ? »
- la mer = son destin, insondable, aux « vagues profondes » (l.1)
- C.L. Du mouvement, du voyage : « emportait Iseut » l.1, « elle s'éloignait », « l'entraînaient », « il l'emportait », « la mer qui me porte » => à chaque fois, Iseult n'est qu'objet, elle ne maîtrise pas son destin, subit ce qu'on a décidé pour elle.
- Symboliquement, elle quitte le monde de l'enfance : « arrachée […] à sa mère » ; elle se comporte d'ailleurs encore en enfant : elle pleure, se replie sur elle, refuse les paroles de consolation.
- Elle se trouve dans un entre-deux, là où tout va se jouer : le passé s'éloigne (« elle s'éloignait de la terre d'Irlande »), l'avenir n'est pas encore là (« vers quelle destinée ? »), les questions se succèdent, sans réponse.
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B. La
nef, l'enfermement
- La nef symbolise l'enfermement. Iseut n'a pas le choix, elle doit épouser le Roi Marc : aucune issue n'est possible. Elle pourrait également symboliser l'autorité, la violence : « tranchant » (voire une certaine forme de violence sexuelle selon la symbolique freudienne, Iseut n'a, de fait, pas voulu ce mariage ; les hommes ont décidé pour elle)
- Iseut s'isole encore « sous la tente », renforcé par la relative « où elle s'était renfermée ».
- Elle se qualifie elle-même de « chétive », c'est-à-dire de faible (physiquement), mais il est intéressant de noter que ce terme vient du latin captivus, captif.
- Elle est condamnée à l'inaction : « assise ».
- La symbolique de l'île au bord de laquelle s'arrête le bateau : lieu isolé, n'appartenant à aucune civilisation ; perdition, retour aux pulsion primitives... Iseut n'y descend pas, elle reste dans son enfermement, ce qui causera sa perte.
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C. Un
temps en suspens
- Tout le 1er paragraphe : à l'imparfait, action durative (= sans limitation de durée). On ne sait pas combien de temps dure cette scène. Mais également imparfait d'habitude : « quand Tristan s'approchait », ce qui implique qu'il s'est approché plusieurs fois.
- Un retour en arrière grâce au plus que parfait (« était venu », « avait arrachée », « n'avait pas daigné »), qui rappelle le monde révolu.
- Peu d'actions, ce sont surtout les pensées d'Iseut qui occupent le 1er paragraphe.
- Iseut, un personnage de tragédie
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A. En
proie à la tristesse, la colère
- C.L. De la tristesse : « tristement, « se lamentait », « pleurait » = tristesse de son pays perdu : abandon des racines, de la mère, du passé, de l'enfance.
- Tristesse qui se transmue en colère contre Tristan : « s'irritait », « repoussait », « haine ».
- Elle le tient pour responsable de son malheur, en dresse un portrait peu élogieux : il est « le ravisseur », le « meurtrier », il a utilisé des « ruses » et la violence « l'avais arrachée », et se montre rustre : « n'avait pas daigné », « il l'emportait comme sa proie ».
- Répétition rageuse de « lui », « lui + « il », « il » : c'est Tristan qui est cause de tout.
- Noter la polysémie du terme « ravisseur », à mettre en relation avec l'adjectif « ravis » de la ligne 29 = enlever, arracher, mais aussi : porter à un état de bonheur suprême. Tristan, de fait, sera son « ravisseur », dans tous les sens du terme.
- Ponctuation très expressive : questions + exclamations = indignation d'être traitée comme « une proie » alors qu'elle est « la reine » l. 13.
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B. Seule
au milieu des étrangers
- Discours indirect libre qui rapporte les sombres pensées d'Iseult.
- C.L de l'altérité : « ces étrangers », avec un démonstratifs péjoratif ; « qui » en interrogation ;
- « Terre d'Irlande » puis « son pays » en opposition au méprisant « là-bas ».
- Antithèse entre « la terre ennemie » et « la terre où je suis née »
- Tristan incarne pour elle l'ennemi : il a tué son oncle, le Morholt, l'a « arrachée » à sa mère, et le mène chez lui, « en terre ennemie ». C'est pourquoi elle « le repoussait ».
- Pourtant, le discours indirect libre d'Iseut contraste avec le récit du narrateur : Tristan y apparaît comme un jeune homme attentionné et pacifiste : il tente de « l'apaiser par de douces paroles », puis, plus loin , il tâche de « calmer son coeur ». La peur d'Iseut est donc déjouée, chez le lecteur, par les actes de Tristan.
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C. Désir
de mort
- Passage au discours direct (marqué par les guillemets), qui souligne la brutalité de sa pensée.
- Malédiction lancée contre la mer, et symboliquement, contre son destin : malédiction qui, on le sait, sera accomplie à la lettre.
- Un désir de mort clairement exprimé, dans une alternative où Iseut n'a finalement aucun choix : même le lieu de sa mort, elle ne peut le choisir.
- Ce désir de mort lié aux émotions violentes, contraste fortement avec le passage qui suit, d'un calme presque létal.
- Le basculement dans l'interdit, la faute
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A. L'arrêt
sur image (dramatisation du récit à l'extrême)
- Pensées de Iseut interrompues par le connecteur « un jour », qui marque une rupture (dans le conte, c'est la formule type qui introduit l'élément perturbateur).
- Calme des éléments naturels, par contraste avec les sentiments violents qui agitaient Iseut. Remarquer l'antithèse entre « la haine gonflait son coeur » l.5 et « les voiles pendaient dégonflées ». C'est le moment de l'accalmie dans le cœur d'Iseut.
- La nef s'immobilise : « atterrir », comme si le temps était suspendu.
- Silence total, jusqu'à ce que l'enfant crie. Tout se cristallise alors dans ce cri, au discours direct : à la fois cri de victoire (« j'ai trouvé »), et déchirement du silence, du récit.
- Les deux personnages principaux, eux, ne prononcent pas une parole. Une fois le philtre bu, ils se regardent « en silence ».
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B. Images
de la Chute, du péché originel
- C.L de la chute : « tombèrent », « pendaient », « lassés », « atterrir », « descendirent » = à mettre en relation avec la Chute de l'Ancien Testament, le péché originel.
- Le philtre se substitue au fruit défendu (on remarque d'ailleurs que c'est toujours la femme qui accomplit la première l'acte du péché).
- Tristan et Iseut agissent de concert : « ils avaient soif », « ils demandèrent à boire », « elle but […] Tristan [...] le vida ».
- De même que dans la Genèse, une fois le péché accompli, « leurs yeux s'ouvrirent » et l'homme et la femme découvrent alors qu'ils sont nus, de même ici, Tristan et Iseut « se regardaient », comme s'ils se découvraient l'un, l'autre pour la première fois.
- Lexique du péché encore : « égarés » (// la brebis égarée = l'homme pécheur) ; « ravis » (ne se possèdent plus, sont éloignés de Dieu).
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C. Un
destin scellé
- L'intervention du narrateur horrifié et impuissant, avant que le philtre ne soit bu : quasi discours direct d'un conteur omniscient, réduit au constat : « non » + verbe « être » d'abord à la forme négative, puis à deux reprises à la forme affirmative (« ce n'était pas... c'était... c'était... »). Comme s'il tentait d'abord de suspendre le cours des événements (négation), puis qu'il constatait son impuissance.
- Prolepse réduite à une gradation tragique : « passion... âpre joie...angoisse sans fin... mort » qui ne laisse aucun espoir. Gradation accentuée par la répétition de la conjonction « et », mettant en relief « la mort » finale.
- Brangien, spectatrice impuissante du destin scellé : multiples verbes au passé simple, témoignant de son impuissance : « entra », « vit » x2, « prit », courut », « lança », gémit » = tout passe d'abord par le regard, dans cet épisode de silence, puis les actions s'enchaînent rapidement, dans une phrase construite en parataxe (= les propositions sont posées les unes à côté des autres, sans aucun mot de liaison : cela accélère l'action). Enfin, l'impuissance se traduit dans le gémissement et l'imprécation finale de Brangien.
- Acte désespéré de Brangien : jeter le vase, pourtant vide, dans la mer.
- Ponctuation forte, discours direct : Brangien est celle qui fait prendre conscience de l'inexorabilité du destin. La mort mise en relief par le présentatif « c'est » (on appelle cela une phrase clivée : c'est … que...) : « c'est votre mort que vous avez bue ».
- Métonymie rendant le destin plus tragique encore : les amants croyaient avoir bu du vin, acte anodin ; mais c'est le philtre de la passion, Eros et Thanatos, qu'ils ont bu.
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