- Une exposition brouillée...
- Un lieu à la fonction incertaine
- didascalie de décor bourgeois tape-à-l'oeil (Second Empire + cheminée + bronze de barbedienne)
- Lexique de l'hôtellerie : « garçon d'étage », « chambres », « Chinois », « Indous », « clients » => hôtel de renommée internationale
- Mais malaise concernant ce lieu : il est désigné par des pronoms impersonnels ou des adverbes « c'est » ou « ça »p.13, « tout ça » p.14 « ici » « y » p.14
- Ces pronoms sont précédés, suivis, voire remplacés par (p.14 : « je ne me serais pas attendu... ») des points de suspension (p.13 et 14) => hésitations concernant ce lieu qu'on n'arrive pas à nommer, et qui ne sera d'ailleurs jamais nommé dans cette scène.
- Le lieu pourtant se précise p.15 grâce à Garcin évoquant dans une accumulation des objets symbolisant l'enfer dans la représentation chrétienne (instruments de torture + feu + gavage l.6)
- Mais lieu immédiatement mis en doute par la question ironique du garçon qui met le lecteur / spectateur dans l'incertitude : « Vous voulez rire ? » l.8 => on ne sait pas vraiment où on est.
- Même l' « ailleurs » ne renseigne pas sur le lieu présent : on évoque un « là-bas » p.14, des « personnes qui n'ont jamais mis les pieds ici », mais de ce « là-bas », on ne sait rien : sinon qu'il est lié au passé.
- On évoque également un « dehors » l.106 (p.18), mais qui semble ébranler le garçon ; ce « dehors » est lui aussi mis en relation avec le temps : « un jour de sortie » (p.19).
- Notion d'enfermement : une pièce sans fenêtre, sans « dehors ».
=>
un hôtel ? Un lieu dérangeant ? L'enfer ? Un lieu défini en creux
par un « ailleurs » qui appartient au passé...
- Une temporalité tout aussi étrange
- L'ailleurs est donc lié au passé : p. 14, Garcin utilise l'imparfait : « j'étais », « je vivais », etc. ce qui implique qu'il n'y est plus et n'y vit plus.
- Le garçon, au contraire, utilise le futur en lien avec le lieu présent: « vous verrez » (p.14) ; plus loin, Garcin lui-même utilise le futur en évoquant le bronze : « il y a certains moments où je regarderai » l.37 (p.16) => on comprend que Garcin est amené à rester ici un certain temps.
- On ignore pour quelle durée, rien ne le précise. Étrangeté de cette absence d'indication temporelle.
- La chronologie elle-même est effacée, rien ne la marque : absence de nuits (lumière allumée en permanence l.104), de sommeil (p.16 : « on ne dort jamais » l.50), de clignement d'œil => « c'est la vie sans coupure » l.72 (p.17).
- Le mélange de registres
- réaliste : la brosse à dent
- tragique : la scène de la noyade,
- lyrique : la nostalgie de l'endormissement
- ironique : certaines répliques du garçon (« c'est formidable » l.17 ou « que vous êtes romanesque » l.62) ou dans la scène de la noyade, la référence au bronze de barbedienne, suivie de « quel cauchemar »
- fantastique : pas de sommeil, pas de paupières, pas de nuit, pas de « dehors »
Cl)
Une exposition qui ne remplit pas tout à fait sa fonction, car on
ignore encore dans quel lieu on est (le mot « enfer n'est
jamais prononcé »), on ignore totalement ce qui va s'y passer,
on n'est en présence que de 2 personnages, sans qu'il soit fait
mention des autres, ceux qui pourtant vont jouer un rôle essentiel
dans la pièce (les deux femmes). Univers fantastique.
- ...Et des personnages au rôle imprécis...
- Un Garçon d'étage ironique
- Il est celui qui répond aux questions, celui qui « sait ».
- Physiquement, on sait de lui qu'il a les paupières « atrophiées » l.79, selon Garcin.
- Psychologiquement, on connaît aussi de lui ce qu'en dit Garcin p.17 : « indiscrétion grossière et insoutenable » l.78
- Il manifeste de l'ironie à l'égard de Garcin à travers des question rhétoriques exprimant son mépris : « qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent » p.14, « comment pouvez-vous croire » p.14, « vous voulez rire » l.8 (p.15), « est-ce que vous ne pouvez pas réfléchir » l.29 (p.16)
- son ironie est aussi visible par des antiphrases exclamatives : « c'est formidable ! » l.17 (p.15), « que vous êtes romanesque » l.62 (p.17) + didascalie « ironique » p.20
- Il est aussi parfois déférent et reprend son rôle de garçon : « excusez-moi » l.23 (p.15), « si vous n'avez plus besoin de moi » p.20, « à votre service » p.21.
- Il semble ignorant des coutumes de la vie : il ne comprend pas lorsque Garcin évoque les coupures de la vie p.17 : « quelle coupure ? » l.74 + ne comprend pas la référence à ses paupières atrophiées : « Mais de quoi parlez-vous ? » l.81 + pour lui, le jour correspond aux lampes allumées l.104 (p.18) + didascalie le décrivant « ahuri » (l.107) lorsque Garcin évoque un « dehors », il pose même une question signifiant son incompréhension : « dehors ? » l.108.
=>
Il incarne à la fois celui qui présente les lieux et les habitudes
de la maison, et celui qui juge d'après sa propre expérience. Il
est étrange, méprisant et déférant, savant et ignorant.
- Garcin, entre excès de confiance et naïveté
- Pose des questions (nombreuses phrases interrogatives)
- Mais se veut lucide: « je pense qu'à la longue » p.13, « je n'ignore rien de ma position » p.15, « j'imagine qu'il y a certains moments » p.16, « on vous a sans doute défendu » p.16, « on ne me prend pas au dépourvu » p.16, « je l'aurai parié » p.16, « voulez-vous que je vous raconte comment cela se passe ? » p.16, « j'en étais sûr » p.17 => arrogant
- Qualifié de « romanesque » par le garçon p.17, car évoque le plaisir de l'endormissement, puis le plaisir du battement de paupière (« rafraîchissant, évasions, douillet, prairies ») p.17-18
- Nerveux, passe d'un état d'esprit à un autre : se met en colère (didascalies : « violence subite » p.15, « avec colère » p.15), bouge beaucoup (« Il se promène » P.15, « frappant sur le bras du fauteuil » p.15, « Il reprend sa marche » p.16, « sursautant » p.20, etc.).
- Naïf et ignorant : Imaginait l'enfer comme l'imagerie populaire l'enseigne, avec instruments de torture (p.15) + se méprend sur absence de glaces et vitres : « rien de fragile » (p.15) ... car enfin, puisqu'il est mort, qu'est-ce que ça pourrait bien faire qu'il y ait des objets tranchants... il ne pourra plus se suicider !
- Semble se sentir coupable : personnification de la « situation » l.66 => peur d'être pris par derrière.
- Oscille entre un sentiment de supériorité (« taisez-vous » l.64), d'infériorité (ses questions), de complicité « ils rient tous deux »), d'étrangeté radicale avec le Garçon d'étage (« nous, nous battions des paupières » l.83 ; « c'est ça votre jour » l.106).
=>
Semble tout savoir mais au fond, cette assurance masque sa nervosité
et son angoisse de la solitude.
- Un spectateur dans la confusion
Multiples
sous-entendus partagés par le garçon et Garcin, qui entretiennent
la confusion du spectateur :
- le « ça » du lieu et le « là-bas » semblent connus des deux personnages, alors que le lecteur ignore encore de quoi il s'agit
- didascalie p.15 : « ils rient tous les deux » => spectateur exclu de cette complicité.
- « ma position » repris plusieurs fois par Garcin : il dit n'en rien ignorer, tout comme le garçon, alors même que le spectateur ne voit pas de quoi il s'agit.
- « naturellement » p.15 => partage une évidence avec le garçon, qu'on ne comprend pas.
- Multiples points de suspensions au début du passage qui indiquent des sous-entendus partagés par les deux personnages.
Cl)
Les deux personnages
entretiennent une relation chaotique, tantôt ils sont complices,
tantôt Gracin se positionne au-dessus du garçon, et tantôt, c'est
le garçon qui se positionne au-dessus de Garcin. Le spectateur /
lecteur, lui, se sent exclut de ce duo qui a l'air de se comprendre.
- ...Dessinent l'enfer sartrien
- La fonction absurde des objets
- Absence d'objets : lit, brosse à dents, livres, miroir => absence de sommeil, de dignité humaine, de divertissement, de vision extérieure à nous-même.
- Objets rendus inutiles : sonnette en panne, coupe-papier sans livres => les objets ont perdu leur sens,
- Absence d'objets attendus : pals, grils, entonnoirs
- Objets encombrants : lampe électrique, bronze de barbedienne
B.
L'enfermement et l'exclusion
- le titre : « huis-clos » = confrontation entre des personnes isolées du monde extérieur
- pas d'ailleurs accessible : le seul « dehors possible » = le reste de cet « hôtel », un labyrinthe de couloirs et de chambres. Or le labyrinthe = image des dédales de la conscience, de soi-même avec ses côtés obscurs.
- Absence d'ouverture sur le monde : pas de fenêtre, sonnette en panne régulièrement, pas de lumière naturelle, pas de retour en arrière possible (personne n'a jamais mis les pieds ici comme le rappelle le garçon p.14)
- Une seule pièce, pas de porte.
- Pas d'échappatoire possible par le rêve (l.97), ni par les livres. On est seul face à soi-même, sous la lumière crue de la prise de conscience.
C.
Le regard, la lumière, la vérité
- Regard de soi-même : sur ce qui entoure (c'est par l'œil de Garcin que le spectateur découvre la pièce), sur l'autre (c'est par l'œil de Garcin que l'on sait à quoi ressemble le garçon ; c'est aussi à travers son regard que l'on découvre un aspect de sa personnalité)
- Regard de l'autre : qui distille les informations comme bon lui semble (le garçon est très peu loquace sur le reste de « l'hôtel »)
- L'absence de regard sur soi-même : pas de miroir ! => on ne se voit pas, on ne se regarde pas en tant qu'objet, on ne doit se regarder qu'en temps que sujet : cf. la lumière qui ne s'éteint jamais et les remarques de Garcin : « vivre les yeux ouverts » répété à 2 reprises et « je regarde la situation en face » et surtout p.20 : « Il fera grand jour dans mes yeux. Et dans ma tête » => l'enfer c'est d'abord se regarder soi-même sans coupure et sans rien cacher, d'où cette question de Garcin : « comment pourrai-je me supporter ? »
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