LA n°
1 – La Mort est mon métier : incipit jusqu’à « je me
mis à trembler », pp 9-12
Robert
Merle est un écrivain français né en 1908 et mort en 2004. Sa vie
a notamment été marquée par son emprisonnement en Allemagne
pendant la seconde guerre mondiale, puis par le prix Goncourt qui lui
a été discerné pour son roman Week-end à Zuydcoote. La
Mort est mon métier est un roman qui retrace, sous la forme d'une autobiographique fictive, la vie du commandant d’Auschwitz,
Rudolf Hoess, baptisé dans la fiction Rudolf Lang.
L’incipit situe l’action en Allemagne 1913 et présente le narrateur, enfant, qui vit dans une famille austère sous l'autorité d'un père tyrannique.
L’incipit situe l’action en Allemagne 1913 et présente le narrateur, enfant, qui vit dans une famille austère sous l'autorité d'un père tyrannique.
- Un incipit traditionnel / Un incipit qui remplit sa fonction
- Un cadre spatio-temporel précis (= où, quand)
-
en Allemagne : « Kaiser-Allee »
(l.1), « La ponctualité -est une vertu allemande-mein
Herr ! » (13), les prénoms des soeurs (Gerta et Bertha)
;
-
en 1913 (titre du chapitre), donc juste avant la 2nde guerre
mondiale.
-
Hiver, « une bouffée de vent et de pluie glaciale cingla mes
jambes », « un samedi » (l. 2-3)
- un narrateur-personnage bien identifié (= qui parle)
-
jamais nommé, c’est lui qui raconte à la première personne
(premier mot du roman : « je »)
-
on ne connaît pas son âge mais on sait qu'il n'est pas encore un
adolescent, puisqu'il porte encore un bermudas : « mes jambes
nues » l.2. On sait également qu'il est l’aîné de deux
soeurs : « j’étais l’aîné mais elles étaient plus grandes
que moi » (l. 75-76) : première mention de la petite taille du
narrateur, qui reviendra souvent dans le roman.
-Se
sachant en retard, Rudolf imagine la voix de son père lui rappelant
la règle de la ponctualité l.13.
-Lorsque
sa mère lui donne des ordres, il obéit immédiatement : « oui,
Maman » l.47.
-Il
obéit à toutes les règles imposées, alors même qu'il n'y a
personne pour le réprimander : l.56-57 : « je n'ouvris pas la
bouche : On n'avait pas le droit de parler », « Je dis
tout bas avec terreur : « Mon Dieu, faites que je n'aie pas
regardé dans la rue » l.64-65
-Pire
: lorsque sa mère enfreint une des règles du père, il le lui fait
remarquer, comme un reproche : « Mais c'est de l'eau chaude ! »
l.104
-Lorsqu'il
s'imagine puni par un officier, qu'il lui obéit « avec
respect », il en éprouve des « picotements » de
plaisir (l.92) comme le prouve l'adverbe « délicieusement »
l.94.
- des personnages sous l'emprise du père (qui)
Le
Père est invisible et absent, pourtant, c'est lui qui semble
faire régner la terreur.
a)
un Père terrifiant et omniprésent
PARADOXE
: Il est le grand absent omniprésent de ce passage : « Et
ce fut comme si Père se dressait devant moi » (l. 12) :
intériorisation par toute la famille des règles et interdits fixés
par le Père. Verbe « se dresser » : évoque une grande taille +
une apparition miraculeuse et impressionnante.
-
désigné par la dénomination respectueuse de « Père », la
majuscule évoque « Dieu le Père » : décisions invisibles et
inexorables.
-
Physique effrayant : « noir et maigre … voix saccadée »
(l. 12-13) : raideur et ascétisme. « grand manteau noir » (l.
30) qui apparaît presque comme une métonymie du père. « les
yeux brillants et le visage maigre de Père » ( l.89-90) :
personnage exalté.
-
Son métier : on apprend qu’il est commerçant « il fait les
comptes du magasin » (l. 18) Milieu social : petite bourgeoisie.
-
Toutes les règles de la maison sont fixées par lui et tout le monde
s’y plie, même quand le père n’est pas là pour surveiller.
-
La religion, la vertu et le patriotisme font partie des valeurs
transmises / imposées par le père : vertu «allemande » de
ponctualité(l. 12-13) ; importance de la faute et de
la prière (l. 64-67)
b)
Maria, la seule note d'humanité
C’est
la première personne qui apparaît dans le roman après le
narrateur, c’est un personnage positif, qui aide silencieusement le
narrateur, celui-ci constate « avec soulagement » (l. 7) que
c’est elle qui lui ouvre la porte.
-
physiquement, elle est imposante et rassurante : « la grosse
Maria » (l. 7) « sa mèche grise »(un peu comme une
grand-mère protectrice) « ses bons yeux bleus » (l. 9) ; «
massive, immobile » (l. 24-25)
-elle
le protège et est la seule à faire attention à lui, à prendre son
angoisse en considération : « ses bons yeux bleus me
regardèrent » (l.
9) , contrairement à la mère qui ne regarde jamais son fils;
elle referme « doucement » la porte d’entrée pour que
le père ne s’aperçoive pas que son fils est en retard et elle lui
apporte ses chaussons pour qu’il n’ait pas à aller dans sa
chambre, ce qui l’obligerait à « passer devant le bureau de
Père » (l. 22). Elle lui apporte l’escabeau : « Elle
avait été le chercher pour moi dans le
débarras » (l. 54-55). A deux reprises, le narrateur la
remercie, une fois à voix haute et une autre fois silencieusement («
Merci Maria » l. 31 et 57). Elle est la seule à avoir un
contact physique avec lui : « … elle me tapota l’épaule »
(geste doux et rassurant) (l. 33) ; elle semble le comprendre « elle
hocha la tête » (l. 33) : geste de compassion muette.
Elle
joue le rôle que la mère n'assume pas, elle contrebalance la menace
que fait planer le père.
c)
Des soeurs effacées
-
elles sont indissociables et interchangeables, sont toujours
désignées par un pluriel : « tes soeurs » (l. 45),« Gerda et
Bertha » (l. 52, 71), « Elles » (l. 53, l. 72, 73,74). Elles
sont toutes les deux plus jeunes et « plus grandes que [lui] »
(l. 76). Ne parlent pas, ni entre elles, ni à leur frère, ne
communiquent d’aucune manière.
-
Elles sont zélées et dociles : « déjà au travail »
(l.45-46),« l’une derrière l’autre » (l. 71).
d)
Une mère soumise
Désignée
par le narrateur par le terme affectueux et enfantin de « Maman »
(contrairement au père). Elle semble définie par sa peur du père,
par sa soumission.
-
Champ lexical de la peur : « d’un ton craintif » (l.
40), « sa main droite tremblait » l.109
Elle
incite son fils à obéir aux règles
imposées par le père, et les seules paroles qu'elle lui adresse
sont des remarques sur le manquement aux règles : « tu es en
retard » (l.40) ou des ordres : « Dépêche-toi »
(l . 46),« Pose tes affaires et viens te laver les mains » (l.
100),« Peigne-toi » (l.112), « Ne pose pas le peigne » (l.
121).
Contrairement
à Maria, elle semble incapable de protéger son fils, est aussi
terrorisée que lui par le Père. Elle n’est pas capable de
protéger ses enfants de la folie du père. Lorsqu'elle semble
vouloir manifester un peu de tendresse à son fils, elle doit
transgresser une des règles imposées (lavage des mains à l'eau
froide). Sa réaction montre sa peur d’avoir transgressé les
ordres de son mari : elle ne répond rien, « soupir[e] » et
se met à « trembl[er] ».
-
Important : c’est son fils qui lui rappelle que l’eau chaude est
interdite et elle vide l’eau chaude pour qu’il se lave les mains
à l’eau froide : déjà, le fils semble être celui qui a
véritablement intériorisé les règles du Père au point de les
faire siennes et la mère lui obéit.
- Les indices de ce que deviendra le narrateur par la suite
- Omniprésence de la peur et du silence
Tous
les personnages semblent habités par la peur du Père et de ses
règles.
-
1er paragraphe : précipitation du narrateur qui se souvient « qu’on
est samedi » : précision énigmatique pour le lecteur, qui
prendra son sens plus loin : le samedi est jour de nettoyage et jour
où le narrateur doit avoir un entretien avec son père, qui le
terrorise. Accumulation de verbes de mouvement au passé simple : «
je tournai », « je fis », « je m’engouffrai »,
« je montai », « je frappai » + termes qui
connotent la précipitation et même la panique : « en courant »,
« engouffrai », « quatre à quatre ».
-
champ lexical de la peur tout au long du texte : « avec angoisse
» (l.3), « avec soulagement » (l. 7), « d’un ton
craintif » (l. 39), « avec terreur » (l. 64), « mon
coeur se mit à battre » (l. 79), « sa main droite tremblait
» (l.111), « je me mis à trembler » (l. 121)
-
maison très silencieuse : tous les personnages parlent à voix basse
ou se taisent : Maria parle « à voix basse et furtivement »
(l.10) ; or, il n’y a personne qui la surveille (peur
intériorisée). Le narrateur s’exprime « dans un souffle »
(l. 15), « je n’ouvris pas la bouche «(l. 59), il chante «
à mi-voix » (l. 69).
- Une maison régie par des règles et des interdits stricts
La
maison est régie par de nombreuses règles et interdits dont le
sens n’apparaît pas clairement au lecteur ; tous les personnages,
y compris la mère, obéissent à ces règles.
a)
Les interdits
-
interdiction de parler : « on n’avait pas le droit de parler
quand on lavait les vitres » (l. 57-58) ; pourquoi ? Il n’y a
normalement aucune incompatibilité entre un travail de nettoyage et
le fait de parler. Règle qui d’emblée semble absurde au lecteur.
-
Règle implicite : ne pas se regarder. La mère, les soeurs et le
narrateur évitent de se regarder et même se tournent souvent le
dos, même en se parlant : « ses yeux pâles glissèrent sur les
miens » (l. 38) ; »je ne vis plus que son dos » (l. 43), «
Elles me tournaient le dos » (l. 53), « je détournai la
tête » (l. 75) : cette dernière phrase semble être la
conséquence de l’affirmation qui vient juste après : « elles
étaient plus grandes que moi » : devant un être supérieur, on
s'incline. « elle… me tourna le dos » (l. 107), « dit
sans me regarder » (l. 110), « ma mère dit derrière mon dos »
(l.119). Une famille, donc, où chacun évite de croiser le
regard de celui qui lui est supérieur, la mère évite le regard de
Rudolf, Rudolf évite celui de ses soeurs. Dans la scène qui suit,
le Père regarde Rudolf droit dans les yeux.
-
interdiction de regarder par la fenêtre quand on lave les vitres : «
Mon Dieu, faites que je n’aie pas regardé par la fenêtre »(l.65),
interdiction qui semble absurde et impossible à respecter.
Important
: ce qu'il voit par la fenêtre, c'est un train et de la fumée. Cela
annonce les camps de concentration...
-
Interdiction de se laver à l’eau chaude : « Père nous
défendait de nous laver à l’eau chaude » (l.101)
b)
Les règles
-ponctualité
féroce : peu de paroles échangées, mais par deux fois la phrase «
Tu es en retard » est dite au narrateur, par Maria (l. 11) et
par la mère (l. 40) ; Le narrateur a alors l’impression que la
figure terrifiante de son père se dresse devant lui ; ponctualité
présentée comme « une vertu allemande » (l.14). La mère «
regard[e] l’horloge du buffet » (l.39). Elle exhorte Rudolf
: « dépêche-toi » l.46.
-ménage
fait par les enfants, apparemment de manière hebdomadaire et selon
un rite immuable : «ta
cuvette et tes chiffons » (l.45), « tes affaires »
(l. 11) les soeurs ont « leur
cuvette à la main » (l. 72) : utilisation des adj.
possessifs, chacun a son propre matériel pour ce rituel du samedi
-propreté
qui semble d’emblée excessive, presque maladive. Toute la famille
est occupée à laver, le linge, les vitres, soi-même : la mère
lave du linge devant l’évier (l. 36), les soeurs et le narrateur
lavent toutes les vitres de la maison. Champ lexical du nettoyage : «
cuvette et … chiffons » (l. 45, 48, 60, 78, 97,105), «
laver » (l. 36, 43, 100), « lavait » (l. 59), « frotter »
(l. 61), « mon chiffon allait et venait sur la vitre » (l.
91-92), « savon » (l. 106), « bassine de linge »
(l. 114), « eau chaude » (l. 102, 103, 104), « évier »
(l. 35 , 101, 106, 108).
- Des indices de la vie adulte de Rudolf
-
Cette propreté excessive rappelle l'obsession de pureté des
Aryens : l'élimination du Juif est une élimination de la
« vermine » (comme on le verra dans la suite du roman).
-
Ce que voit le narrateur par la fenêtre en lavant les vitres est un
train, qui jette de la fumée : prolepse des trains qui amènent
les Juifs à Auschwitz.
-
Le narrateur est fasciné par les portraits de ses aïeux en tenue
militaire ; il prend plaisir à obéir .
-
Litanie d'actions, de descriptions de gestes, mais aucune analyse
psychologique, aucun ressenti des personnages : qu'éprouve
Rudolf, hormis le plaisir procuré par son imagination et la peur
inspirée par le Père ? On l'ignore.
Tous
ces éléments permettent de comprendre pourquoi Rudolf deviendra un
Chef particulièrement obéissant, odieux d'obéissance, soumis à
l'autorité et sans aucun jugement moral pour lui faire prendre
conscience de l'atrocité de ses actes.
Eléments
de conclusion
Incipit
réaliste, cadre historique précis, description d’une famille
catholique rigide, en Allemagne, juste avant la déclaration de la
1ère guerre mondiale.
Tous
les personnages de la famille sont présentés, mais le plus
important, celui qui régit la vie de tous, le Père, est absent des
premières pages et n’apparaît qu’en dernier : effet d’attente
pour le lecteur.
Les
facteurs qui vont permettre au narrateur de construire sa
personnalité sont déjà donnés ou ébauchés : la rigidité, la
peur, la honte, l’importance du regard d’autrui, l’absence
d’amour criante dans ce cadre familial.
On
perçoit déjà que le narrateur est une sorte de double de son père
(l’épisode de l’eau chaude), et qu’il a intériorisé une
éducation fondée sur la terreur, les règles rigides et absurdes,
l’indifférence à autrui.
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