mardi 12 février 2019

Séquence Incendies, L.A 1, la scène d'exposition


I. Une scène d’exposition qui délivre peu d’informations

A. un cadre spatio-temporel déterminé

- didascalie initiale : « été » + « fenêtre ouverte » à défaut d’ « air conditionné » l.25 = chaleur
- didascalie initiale brève mais précise quant au lieu (repris plus tard l.19 : « nouveau bureau ») : espace confiné, clos.
→ chaleur + espace clos = situation pesante
- C.L. du paysage urbain, sans beauté : « autoroute », « voitures », « vue sur le centre d’achats » , « bâtiment », « bloc » = laideur de l’instant
- Indice discret du pays : une expression relève du parler québécois : le « centre d’achats » (pour le centre commercial) l.4

B. le personnage du notaire, mal à l’aise, bouleversé et sympathique

- son nom : allitération en [l] = fluide et sympathique
- parle avec tournures et vocabulaire familiers : « faut pas » l.3, « c’était pas » l.6 « se raconter de racontars » l.3, « une méchante publicité » l.9 = accessible, bonhomme
- Tirade : parle beaucoup, mais en évitant d’aborder le vrai sujet : justifie la laideur de la vue de son bureau, compare les avantages de son bureau avant et de celui-ci (pouvoir accrocher une publicité ou pouvoir ouvrir la fenêtre en attendant la climatisation) = semble mal à l’aise, tente d’atténuer la douleur de ses interlocuteurs.
- Répète des expressions vides de sens : « c’est sûr » x3 l.1 puis l.35, « Oui. Bon » l.27 et 34 → ne sait pas quoi dire, meuble le silence.
- Phrases courtes, parfois réduites à un mot : « Excusez-moi », « Un peu », « Parfois ». « Je ne sais pas » → confusion, tristesse.
- Répète à deux reprise qu’il aimait la mère : on ignore de quelle sorte d’amour il s’agissait, mais il semble sûr que le notaire l’aimait profondément.
- exprime sa tristesse par les mots : évoque le détail de la pluie le jour de la mort de la mère (polyptote : « pleuvait », « pleuve », « pleut » + « mauvais temps »), comme si ça avait une grande importance « ça m’a fait beaucoup de peine qu’il pleuve », comme si ce n’était ps la mort, mais la pluie qui l’avait affligé = pudeur ? Délicatesse ? Il exprime surtout sa tristesse mais par les gestes : didascalie « Il éclate en sanglots » l.60 = nous apparaît comme très humain, sensible, attachant. Il manifeste l’émotion que les jumeaux ne manifestent pas ici.

C. les autres personnages, énigmatiques
*Les interlocuteurs : un dévoilement qui ne dévoile pas grand chose
- Ne prennent jamais la parole, sont d’abord évoqués par le déterminant « votre » dans « votre mère » l.13, puis dans l’impératif « entrez » : pas de pronom, pas de nom, comme s’ils étaient absents. On ne sait pas s’il s’agit d’un vouvoiement ou d’une adresse à un pluriel.
- Le premier pronom « vous » n’arrive que l.36, puis une précision « les jumeaux » l.46, et enfin « la jumelle », « le jumeau » → un frère et une sœur, on ne sait rien d’autre, aucune identité.
*La mère :
- n’est désignée par par cette dénomination « votre mère » : pas de nom, pas d’identité.
- on comprend qu’elle est morte : Hermile Lebel parle d’elle au passé : « c’est elle qui m’a appris » l.13, « j’aimais votre mère » l.42, « elle disait » l.46, etc.
- Sa mort est d’abord suggérée par l’euphémisme « malheur qui vient de frapper » l.15. Puis Évocation explicite de cette mort l.52 : « quand elle est morte ».
- La mère est liée au mutisme : C.L du mutisme (« elle ne disait jamais rien à personne » l.48, « plus rien dire du tout » l.50, « ne disait rien » l.50, « ne me disait rien sur vous » l.51).
- On sait également qu’elle vient d’un pays chaud : « dans son pays il ne pleut jamais » l.54 = une étrangère au sens propre comme au sens figuré (on ne sait rien d’elle, elle s’était définitivement tue l.49-50).

II. Une scène d’exposition qui brouille les pistes

A. un prologue en forme d’entrée dans la tragédie

- Répétition de « entrez » l.17-18 puis 29 : semble inviter le lecteur (ou le spectateur) à entrer dans l’histoire, comme un chœur antique.
- le dedans et le dehors : comme une scène avec ses quatre murs
- l’évocation à deux reprises du « passage » l. 18 et l.30 + symbolique du déménagement (« Avant » / « Maintenant » ; « de l’autre côté » l.5 / « de ce côté-ci » l.10)  = bouleversement, changement radical dans l’histoire du notaire et des jumeaux, entre-deux qui marque la fin d’une époque et le début d’une autre.
- Mais négations qui indiquent que le passage semble difficile : « c’est pas facile » l.28, puis « je comprends qu’on ne veuille pas entrer » l.31 et « moi, je n’entrerais pas » l.33 → comme si ce qui les attendait de l’autre côté, c’était quelque chose de terrible, une entrée dans l’engrenage tragique // Tirésias qui dissuade Oedipe de mener l’enquête qui lui révélera l’horrible vérité.
- Dans la phrase qui suit immédiatement, évocation de l’enfer (l.37), puis dans les phrases suivantes, la mort = on pénètre bien dans un environnement tragique.
- Autres éléments de la tragédie : les oiseaux, comme des augures annonçant l’avenir ; les répétitions de « c’est sûr » comme destin tracé d’avance ; la pluie qui précède les sanglots du notaire ; un C.L du mal, de la destruction : « malheur qui vient de frapper » l.15, « détruit » l.40, « un mal » l.49.
- L’allégorisation de la mort l.39 à 41 : « la mort, ça n’a pas de parole », « Elle détruit toutes les promesses », « elle vient quand elle veut » : comme un personnage vicieux et perfide, incontrôlable = figure du destin.

B. Quelques éléments comiques qui tiennent le tragique à distance

- expressions erronées dans la bouche de Hermile Lebel : « c’était pas la mer à voir » l.6, « l’enfer est pavé de bonnes circonstances » l.37 ; « je vous dis ça […] de long en large » l.43)
- anecdotes de la pancarte qui fait de la publicité aux heures de pointe (décalé par rapport à la situation) + anecdote du zoizeau (où le notaire apparaît comme très enfantin)
- paradoxes : s’excuse de parler de la mère l.14, alors qu’ils sont là pour ça ; leur demande d’entrer alors qu’il concède que lui-même n’entrerait pas l.33 ; se contredit : « Elle m’a souvent parlé de vous » l.44 puis « Elle ne me disait rien sur vous » l.51.
- des phrases toutes faites, des aphorismes au présent de vérité générale : « Continuer à vivre comme on dit » l.16, « La mort, ça ne se prévoit pas »
- des évidences, des remarques étranges : « un centre d’achat, ce n’est pas un oiseau » l.12 puis « C’est pas comme les oiseaux un testament, c’est sûr, c’est autre chose » l.56, où l’oiseau apparaît comme la légèreté, l’ailleurs.

C. Un prologue qui soulève des questions / annonce les thèmes de la pièce

- La vraie raison de la présence des personnages n’est évoquée qu’en toute fin de tirade : « testament » l.55 qui intervient après les nombreuses remarques sur le mutisme de la mère → tension qui s’instaure entre le non-dit et le dit, le caché et l’écrit. On suppose que le testament va révéler quelque chose ; effet d’attente. D’ailleurs, les jumeaux sont mutiques dans cette scène, en écho au mutisme de la mère et par contraste avec le flot de parole d’Hermile.
- Le mystère autour des trois personnages sans nom : ils sont d’abord positionnés par leurs rapports familiaux, comme si ces rapports comptaient plus que leur nom → une histoire sur la famille, le lien familial ?
- Quelques symboles à déchiffrer :
* les oiseaux : C’est Nawal qui a ouvert les yeux du Notaire sur la prononciation, comme si elle lui avait montré la vérité : « avant, je disais un zoiseau. C’est votre mère qui m’appris qu’il fallait dire un oiseau » + comparaison « c’est pas comme les oiseaux, un testament, c’est sûr »
* l’eau : pluie le jour de l’enterrement de la mère + sanglots du Notaire



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