jeudi 5 avril 2018

(1L) L.A n°1, Huis-clos, Scène d'exposition

L.A n°1, Huis-Clos : la scène d’exposition

  1. Un cadre spatio-temporel brouillé
    1. Un lieu de plus en plus oppressant
      • Juste avant l’extrait, la didascalie initiale + début de dialogue pose un décor bourgeois tape-à-l'oeil (Second Empire + cheminée + bronze de Barbedienne) qui évoquait vaguement une chambre d’hôtel (« garçon d’étage », « clients » l.20)
      • Mais malaise concernant ce lieu qui n’est jamais nommé.
      • Le lieu pourtant se précise l.4 grâce à Garcin évoquant dans une accumulation des objets symbolisant l'enfer dans la représentation chrétienne (instruments de torture + feu + gavage)
      • Mais lieu immédiatement mis en doute par la question ironique du garçon qui met le lecteur / spectateur dans l'incertitude : « Vous voulez rire ? » l.5 => on ne sait pas vraiment où on est.
      • Même l' « ailleurs » ne renseigne pas sur le lieu présent : Garcin évoque un « là-bas » l.87, mais de ce « là-bas », on ne sait rien, sinon qu'il est lié au passé du personnage.
      • Garcin se renseigne également sur le « dehors » l.96, mais cela semble ébranler le garçon (la didascalie indique qu’il reste « ahuri »); ce « dehors » se résume à un couloir → lieu impersonnel ou universel, on pourrait être partout et nulle part.
      • Notion d'enfermement : une pièce sans fenêtre, sans « dehors », et annoncée par le titre de la pièce : « huis-clos ».
      • Absence d'ouverture sur le monde : pas de fenêtre, sonnette en panne régulièrement, pas de lumière naturelle, pas de retour en arrière possible (personne n'a jamais mis les pieds ici comme le rappelle le garçon p.14)
=> un hôtel ? Un lieu dérangeant ? L'enfer ? Un lieu défini en creux par un « ailleurs » qui appartient au passé...

    1. Une temporalité effacée
      • Garcin utilise l'imparfait pour évoquer ce « là-bas » : « j'étais », « je vivais », etc. → c’est du passé, il n’y retournera plus.
      • Au contraire, il utilise le futur lorsqu’il évoque le lieu présent : « il y a certains moments où je regarderai » l.32 + « je vais vivre » l.80 → on comprend que Garcin est amené à rester ici un certain temps.
      • On ignore pour quelle durée, rien ne le précise. Étrangeté de cette absence d'indication temporelle.
      • La chronologie elle-même est effacée, rien ne la marque : absence de nuits (lumière allumée en permanence l.93), de sommeil (« on ne dort jamais » l.46), de clignements d'œil (qui pourraient rythmer les minutes) → « c'est la vie sans coupure » l.65.
      • Sorte d’éternel recommencement : l.55 « tout recommence ».

  1. Des personnages au rôle imprécis
    1. Un Garçon d'étage étrange
    • Il est celui qui répond aux questions, celui qui « sait », qui connaît ce lieu.
    • Physiquement, on sait de lui qu'il a les paupières « atrophiées » l.71, selon Garcin.
    • Psychologiquement, on connaît de lui ce qu'en dit Garcin : « indiscrétion grossière et insoutenable » l.70
    • Il manifeste de l'ironie à l'égard de Garcin à travers des question rhétoriques exprimant son mépris : « vous voulez rire » l.8 (p.15), « est-ce que vous ne pouvez pas réfléchir » l.29 (p.16)
    • son ironie est aussi visible par des antiphrases exclamatives : « c'est formidable ! » l.17 (p.15), « que vous êtes romanesque » l.62 (p.17) + didascalie « ironique » p.20
    • Il se montre familier, presque insultant : « Ils s’amènent » l.21, « je vous jure » l.22, « est-ce que vous ne pouvez pas réfléchir ? » l.25
    • Il semble étranger à toutes nos coutumes : il ne comprend pas lorsque Garcin évoque les coupures de la vie : « quelle coupure ? » l.66 + ne comprend pas la référence à ses paupières atrophiées : « Mais de quoi parlez-vous ? » l.72 + pour lui, le jour correspond aux lampes allumées l.93 + didascalie le décrivant « ahuri » (l.95) lorsque Garcin évoque un « dehors », il pose même une question signifiant son incompréhension : « dehors ? » l.96
    • étrangeté radicale entre Garcin et lui (« nous, nous battions des paupières » l.83 ; « c'est ça votre jour » l.106).
=> Il incarne à la fois celui qui présente les lieux et les habitudes de la maison, et celui qui ignore comment cela se passe « dehors », dans la vie. Il est un peu inquiétant, trop étrange pour nous.

    1. Garcin, entre excès de confiance et naïveté
    • Oscille entre un sentiment de supériorité (« taisez-vous » l.64), d'infériorité (ses questions)
    • Naïf et ignorant : Imaginait l'enfer comme l'imagerie populaire l'enseigne, avec instruments de torture (p.15) + se méprend sur l’absence de glaces et vitres : « rien de fragile » (l.9) ... car enfin, puisqu'il est mort, qu'est-ce que ça pourrait bien faire qu'il y ait des objets tranchants... il ne pourra plus se suicider !
    • Il se montre excessivement sûr de lui (marques de la certitude) : « naturellement » l.9, « je n'ignore rien de ma position » l.16, « on vous a sans doute défendu » l.40, « on ne me prend pas au dépourvu » l.42, « je l'aurai parié » l.50, « voulez-vous que je vous raconte comment cela se passe ? » l.36, « j'en étais sûr » l.69 → arrogant
    • Qualifié de « romanesque » par le garçon l.56, car évoque le plaisir de l'endormissement, puis le plaisir du battement de paupière (« rafraîchissant, repos, petites évasions, douillet, prairies ») l.78 à 90 → on comprend que désormais, tout plaisir sera refusé à Garcin.
    • Nerveux, passe d'un état d'esprit à un autre : se met en colère (didascalies : « violence subite » l.10, « avec colère » l.14), bouge beaucoup (« Il se promène » l.8, « frappant sur le bras du fauteuil » l.14, « Il reprend sa marche » l.45), il cherche ses mots dans des moments d’émotions (l.86).
    • Semble se sentir coupable : « je n’ignore rien de ma position » l.16 et répété l.35 ; personnification de la « situation » l.59 : « je ne veux pas qu’elle saute sur moi par derrière » → peur d'être pris par surprise ?
    • Courageux : semble s’attendre à ce qu’il lui arrive quelque chose de désagréable mais se montre courageux : « je ne crierai pas, je ne gémirai pas » l.57 + « je regarde la situation en face » l.34, répété l.58
Semble tout savoir, se montre courageux, mais au fond, cette assurance masque son angoisse.

Cl) Les deux personnages entretiennent une relation chaotique, tantôt ils sont complices, tantôt Garcin se positionne au-dessus du garçon, et tantôt, c'est le garçon qui se positionne au-dessus de Garcin.

  1. L’enfer selon Sartre
    1. La fonction absurde des objets
    • Absence des objets qu’on s’attend à trouver dans une chambre d’hôtel :
    • lit = absence de repos, liée à l’absence de temporalité ou à l’éternel recommencement
    • brosse à dents = absence d’habitude, de rituel familier, donc de repère.
    • Miroir = impossibilité de se voir de l’extérieur, impossibilité de s’attacher à son apparence
    • Absence d'objets attendus en enfer : pals, grils, entonnoirs → Garcin sait qu’il est en enfer et qu’il va souffrir, mais il ignore de quelle manière.
    • A l’inverse, présence d’objets inutiles : bronze de Barbedienne (+ hors extrait : sonnette en panne, coupe-papier sans livres = les objets ont perdu leur sens) : comme si la laideur devait désormais faire partie du cadre de Garcin.

      B. Se regarder dans la lumière
  • C.L du regard très important dans l’extrait
    • Regard de soi-même : sur ce qui entoure (c'est par l'œil de Garcin que le spectateur découvre la pièce), sur l'autre (c'est par l'œil de Garcin que l'on sait à quoi ressemble le garçon ; c'est aussi à travers son regard que l'on découvre un aspect de sa personnalité)
    • Regard de l'autre : qui distille les informations comme bon lui semble (le garçon est très peu loquace sur le reste de « l'hôtel »)
    • Pas d'échappatoire possible par le rêve (l.90). On est seul face à soi-même, sous la lumière crue de la prise de conscience.
    • L'absence de regard sur soi-même : pas de miroir => on ne se voit pas, on ne se regarde pas en tant qu'objet, on ne doit se regarder qu'en temps que sujet : cf. la lumière qui ne s'éteint jamais et les remarques de Garcin : « vivre les yeux ouverts » répété à 2 reprises et « je regarde la situation en face » et surtout p.20 : « Il fera grand jour dans mes yeux. Et dans ma tête » => l'enfer c'est d'abord se regarder soi-même sans coupure et sans rien cacher, d'où cette question angoissée de Garcin : « comment pourrai-je me supporter  ? » l.83 → c’est peut-être là que réside l’enfer, vivre avec soi-même en permanence !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire