samedi 6 mai 2017

Argumentation, L.A n°5 : Ionesco, Rhinocéros, monologue final de Bérenger

L.A n°5 : Ionesco, Rhinocéros, monologue final de Bérenger

Comment Ionesco montre-t-il la difficulté de résister à la masse ?
Remarque sur le choix du rhinocéros : animal brutal, non civilisé, borné (pourrait faire référence au casque à pointe des Allemands + leur uniforme vert)

I. La difficulté d’être seul contre tous

A. De la peur de l’autre à l’angoisse de la solitude
- angoisse de la contamination (rhinocérite) : fermeture des portes et fenêtres dans les didascalies l.1 et 2
- 4 négations l.1 à 5 qui marquent le refus de Bérenger de devenir rhinocéros.
- Surtout, la négation « je ne veux pas les entendre » l.5 + geste qui accompagne la parole : « Il se met du coton dans les oreilles » l.6 = refus de la communication
- répétition de l’adjectif « seul » : « je suis tout à fait seul maintenant » l.1 + « je suis le seul à le parler » l.11
- jeu sur les pronoms « moi » / « eux », « je » / « ils » = il est seul contre tous.
- Les rhinocéros sont d’abord évoqués par le pronom « on »l.1 puis « vous » l.2 puis « ils » à partir de la l. 5 : Bérenger se distancie de plus en plus des rhinocéros, prenant conscience de sa radicale différence, donc de sa radicale solitude
- multiples répétitions qui montrent ses hésitations et sa peur (« un être humain » l.3 et 4, « les convaincre » l.7, « sont-elles réversibles » l.7 et 8, etc.)
- Gestuelle de plus en plus violente : « soigneusement » l.1 et 2, puis « Il se précipite » l.15 et 17 puis « les jette par terre avec fureur » l.22 = panique qui s’amplifie

- Mais à partir de la ligne 6, changement d’avis, Bérenger se montre prêt à discuter : lexique du dialogue : « les convaincre » l.7, « leur parler » l.9, « leur langue » l.9
- mais se pose alors le problème de la langue : « il faut que j’apprenne leur langue. Ou qu’ils apprennent la mienne ? » l.9 = Bérenger devient l’étranger dans son propre pays.
- Finalement, c’est lui qui tentera de parler leur langue par onomatopées (l.30 à 32).

B. Les doutes sur son identité / Bérenger sombre vers la folie
- multiples interrogations qui traduisent ses doutes.
- Doute sur la langue parlée : les deux questions « quelle langue est-ce que je parle ? »  l. 10 et « Qu’est-ce que du Français ? » l.11 = perd peu à peu son identité d’homme, son humanité.
- passage d’une affirmation « je ne vous comprends pas » l.3, à une question existentielle « est-ce que je me comprends ? » l.12 = Bérenger doute de plus en plus de lui, à tel point qu’il ne semble plus savoir qui il est.
- le verbe réfléchi (« se parle ») et le pronom tonique (« lui-même ») dans la didascalie « se parle à lui-même dans la glace » l.6 = comme s’il avait besoin de se voir et de s’entendre pour se sentir être un individu ; comme si son reflet et sa voix le rassurait.
- Ne sait littéralement pas où se mettre : change de place à chaque changement d’avis (« Il va s’asseoir », « Il va vers le milieu de la chambre »), il s’éparpille.
- Jeu avec les tableaux : Bérenger ne distingue plus entre les têtes d’hommes (le pluriel « tous ces gens-là » l.16 désigne à la fois Botard, Dudard, Jean, ou Bérenger lui-même), comme si tous les hommes finissaient par se confondre.
- La question « à quoi je ressemble ? » l.15 : Bérenger ne sait plus qui il est, il se dilue dans les autres (Botard, Dudard, etc.), puis tente de se convaincre qu’il reste un individu : répétition à 4 reprise du pronom tonique « moi » l.18 et 19.
- rôle de la glace : élément d’introspection ; quête d’identité. Bérenger ne cesse de tourner autour, de se regarder dedans, mais plus il se regarde, plus il a honte de lui (voir didascalies l.13 puis 14, 22, etc.), et c’est en tournant le dos à cette glace (« Il tourne le dos à la glace » l.36) qu’il finit par se révolter = il ne faut pas se comparer aux autres pour s’apprécier ou évaluer ses propres valeurs ; des valeurs sont bonnes ou mauvaises indépendamment de ce que font ou pensent les autres ; une valeur ne peut pas être comparée à une autre.

C. Le changement de normes / le renversement des valeurs
- Omniprésence des rhinocéros : dans les didascalies, on les entend (« barrissements » l.5 et 29), on les voit («  têtes de rhinocéros » l.2-3 et 38), peut-être même qu’on sent les vibrations (« courses éperdues » l.5) ; et ils sont présents partout dans le monologue, sous forme de pronoms personnels.

Bérenger se pose le problème de la notion de « beau » et de « laid », mais à travers ces valeurs, ce sont celles de « bien » et « mal » qu’il interroge :

- Gradation : « Un homme n’est pas laid » l.14 (répété deux fois comme pour marquer le doute) puis « Je ne suis pas beau » l.22 puis « Que c’est laid un front plat » l.24 et enfin « Comme je suis laid » l.36 = Bérenger est graduellement gagné par les normes des rhinocéros
- Une hypothèse en « si », avec du présent (« si c’est eux qui ont raison ? » l.13) = transforme la question en quasi question rhétorique, presque en affirmation. Bérenger commence sérieusement à douter.
- Vocabulaire mélioratif pour parler des rhinocéros : « beaux » l.23, « magnifique » l.28, « charme »l.29 = ils deviennent très attirants
- C.L des éléments constitutifs du rhino : la corne, la peau, la couleur, et même le « chant » qui remplace le « barrissement » du début = renversement des valeurs, le laid devient beau.
- l’oxymore « nudité décente » l.28 = leur aspect bestial devient la norme, ne choque plus, devient même attirant.
- laideur de l’humanité par rapport aux rhinocéros : antithèse « laideur » / « très belles » dans la didascalie l. 20-21 = problème de notre jugement qui s’habitue à la norme / à la mode, pour finir par l’accepter totalement.
- L’affirmation paradoxale « Je suis un monstre » l.34, montre bien ce changement de norme : le normal, c’est le rhinocéros ; le monstre (ou l’anormal), c’est l’homme.

Le rhinocéros est vu comme un héros auquel il faut ressembler : il est beau, fort, viril.

II. De la tentation du renoncement à la résistance

A. La honte de soi et la culpabilité / le refus de l’humanité
- Didascalie l. 22 : Bérenger jette les tableaux qui représentent des hommes, donc symboliquement, il jette l’humanité, il la refuse.
- Répétition désespérée de « je ne suis pas beau » l.21-22
- Signes de désespoir : interjections « oh ! » l.23, « hélas ! » répété 3x l.23, 33 et 34, « ah » l.27
- C.L de la culpabilité : « j’ai eu tort » l.23, « honte » l.25, « mauvaise conscience » l.33, « trop honte » l.35-36
- Description très négative de lui-même : négation « pas de corne »l.23, et surtout accumulation d’adjectifs péjoratifs liés aux parties de son corps : son « front plat » est « laid » l.24, « traits tombants » l.23, « mains (…) moites » l.26, « peau flasque » l.27, « corps trop blanc et poilu »l.27
- même lorsqu’il tente de barrir, c’est « faible » et ça « manque de vigueur » l.31-32 = mollesse de l’homme par rapport aux rhinocéros.

B. La tentative de transformation / le choix de la rhinocérite
- Tournures exclamatives : « Comme… ! », « Que… ! »
- Expression du souhait : « je voudrais » répété 3x,
- Comparaisons : « être comme eux » l.23, « comme la leur » l.29 », « comme eux » l.30
- Didascalie l.26 : Bérenger enlève son veston et sa chemise, il enlève ses vêtements, qui symbolisent l’humanité, pour se mettre nu, comme les rhinocéros.
- C.L de l’imitation : « imiter » l.30, « faire comme eux » l.30, « changer » l.35
- Polyptote « il essaye » l.30 et « essayons » l.31 : persiste dans son choix.
- Succession d’onomatopées l.30 à 32
- Constat de son échec : multiples négations : « Non » x3 l.30 et 31, « je n’arrive pas » l.32, « jamais je ne deviendrai » l.34 , « je ne peux plus » l.34-35
- Irréel du passé « j’aurais dû » l.33 + « trop tard » l.33 = changement impossible.
- Constat tragique en forme de maxime : « Malheur à celui qui veut conserver son originalité » l.36 = Bérenger comprend définitivement qu’il ne pourra jamais se transformer.

C. Choix de l’humanité et de la lutte
- didascalie « brusque sursaut » l.37 + le verbe « criant » l.38 = marques de sa colère
- les prépositions « face à » (dans « se retourne face au mur » l.38) et « contre » (dans « contre tout le monde » l.37 et 38) : affronte ses adversaires
- verbe « défendrai » + répétition de « ma carabine » = passage à l’action, alors que jusqu’à maintenant, Bérenger était dans l’émotion.
- C.L du combat : « défendrai » l.37, « carabine » l.37, « ne capitule pas » l.39 ; comme si pour Ionesco, être humaniste était un acte héroïque (ce qui était le cas pendant la 2nde GM).
- emploi du futur « je me défendrai » l.37 et répété l.39, « je le resterai » = volonté forte, décision
- choix définitif de l’humanité : constat au présent puis engagement au futur « je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout » l.39
- Invitation à ne pas se laisser influencer, à conserver ses valeurs : « Je ne capitule pas ! » qui termine le monologue et la pièce.
- « Eh bien tant pis ! » l.37 : étonnant. Bérenger semble ne pas choisir l’humanité, mais la subir, ou la choisir par dépit, et non pas par idéologie. Il n’a aucun argument rationnel.
Explication possible : l’humanité ne se démontre pas, elle est instinctive, intuitive : dès le début, Bérenger l’affirmait : « Je suis un être humain » l.3, et il le réaffirme dans « je suis le dernier homme » l.39. D’ailleurs, l.36, c’est bien le verbe « vouloir » qui est utilisé dans la formule «Malheur à celui qui veut conserver son originalité », comme si c’était un choix de Bérenger de rester un homme.

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