L.A
n°5 : Ionesco, Rhinocéros, monologue final de Bérenger
Comment
Ionesco montre-t-il la difficulté de résister à la masse ?
Remarque
sur le choix du rhinocéros :
animal brutal, non
civilisé, borné (pourrait faire référence au casque à pointe des
Allemands + leur uniforme vert)
I.
La difficulté d’être seul contre tous
A.
De la peur de l’autre à l’angoisse de la solitude
-
angoisse de la contamination (rhinocérite) : fermeture des
portes et fenêtres dans les didascalies l.1 et 2
-
4 négations l.1 à 5 qui marquent le refus de Bérenger de devenir
rhinocéros.
-
Surtout, la négation « je ne veux pas les entendre » l.5
+ geste qui accompagne la parole : « Il se met du coton
dans les oreilles » l.6 = refus de la communication
-
répétition de l’adjectif « seul » : « je
suis tout à fait seul maintenant » l.1 + « je suis le
seul à le parler » l.11
-
jeu sur les pronoms « moi » / « eux », « je »
/ « ils » = il est seul contre tous.
-
Les rhinocéros sont d’abord évoqués par le pronom « on »l.1
puis « vous » l.2 puis
« ils » à partir de la l. 5 : Bérenger se
distancie de plus en plus des rhinocéros, prenant conscience de sa
radicale différence, donc de sa radicale solitude
-
multiples répétitions qui montrent ses hésitations et sa peur
(« un être humain » l.3 et 4, « les convaincre »
l.7, « sont-elles réversibles » l.7 et 8, etc.)
-
Gestuelle de plus en plus violente : « soigneusement »
l.1 et 2, puis « Il se précipite » l.15 et 17 puis « les
jette par terre avec fureur » l.22 = panique qui s’amplifie
-
Mais à partir de la ligne 6, changement d’avis, Bérenger se
montre prêt à discuter : lexique du dialogue : « les
convaincre » l.7, « leur parler » l.9, « leur
langue » l.9
-
mais se pose alors le problème
de la langue : « il faut que j’apprenne leur langue. Ou
qu’ils apprennent la mienne ? » l.9 =
Bérenger devient l’étranger dans
son propre pays.
-
Finalement, c’est lui qui tentera de parler leur langue par
onomatopées (l.30 à 32).
B.
Les doutes sur son identité / Bérenger sombre vers la folie
-
multiples interrogations qui traduisent ses doutes.
-
Doute sur la langue parlée : les deux questions « quelle
langue est-ce que je parle ? » l. 10 et « Qu’est-ce
que du Français ? » l.11 = perd peu à peu son identité
d’homme, son humanité.
-
passage d’une affirmation « je ne vous comprends pas »
l.3, à une question existentielle « est-ce que je me
comprends ? » l.12 = Bérenger doute de plus en plus de
lui, à tel point qu’il ne semble plus savoir qui il est.
-
le verbe réfléchi (« se parle ») et le pronom tonique
(« lui-même ») dans la didascalie « se parle à
lui-même dans la glace » l.6 = comme s’il avait besoin
de se voir et de s’entendre pour se sentir être un individu ;
comme si son reflet et sa voix le rassurait.
- Ne sait littéralement pas
où se mettre : change de place à chaque changement d’avis
(« Il va s’asseoir », « Il va vers le milieu de
la chambre »), il s’éparpille.
-
Jeu avec les tableaux :
Bérenger ne distingue plus entre les têtes d’hommes (le pluriel
« tous ces gens-là » l.16 désigne à la fois Botard,
Dudard, Jean, ou Bérenger lui-même), comme si tous les hommes
finissaient par se
confondre.
-
La question « à
quoi je ressemble ? » l.15 : Bérenger ne sait plus
qui il est, il se dilue dans les autres (Botard, Dudard, etc.), puis
tente de
se convaincre qu’il reste un individu : répétition à 4
reprise du pronom tonique « moi » l.18 et 19.
-
rôle de la glace :
élément d’introspection ; quête d’identité. Bérenger ne
cesse de tourner autour, de se regarder dedans, mais plus il se
regarde, plus il a honte de lui (voir didascalies l.13 puis 14, 22,
etc.), et c’est en tournant le dos à cette glace (« Il
tourne le dos à la glace » l.36) qu’il finit par se révolter
= il ne faut pas se
comparer aux autres pour s’apprécier ou évaluer ses propres
valeurs ; des valeurs sont bonnes ou mauvaises indépendamment
de ce que font ou pensent les autres ; une valeur ne peut pas
être comparée à une autre.
C.
Le changement de normes / le renversement des valeurs
-
Omniprésence des rhinocéros : dans les didascalies, on les
entend (« barrissements » l.5 et 29), on les voit («
têtes de rhinocéros » l.2-3 et 38), peut-être même qu’on
sent les vibrations (« courses éperdues » l.5) ; et
ils sont présents partout dans le monologue, sous forme de pronoms
personnels.
Bérenger
se pose le problème de la notion de « beau » et de
« laid », mais à travers ces valeurs, ce sont celles de
« bien » et « mal » qu’il interroge :
-
Gradation : « Un homme n’est pas laid » l.14
(répété deux fois comme pour marquer le doute) puis « Je ne
suis pas beau » l.22 puis « Que c’est laid un front
plat » l.24 et enfin « Comme je suis laid » l.36 =
Bérenger est graduellement gagné par les normes des rhinocéros
-
Une hypothèse en « si », avec du présent (« si
c’est eux qui ont raison ? » l.13) = transforme la
question en quasi question rhétorique, presque en affirmation.
Bérenger commence sérieusement à douter.
-
Vocabulaire mélioratif pour parler des rhinocéros : « beaux »
l.23, « magnifique » l.28, « charme »l.29 =
ils deviennent très attirants
-
C.L des éléments constitutifs du rhino : la corne, la peau, la
couleur, et même le « chant » qui remplace le
« barrissement » du début = renversement des valeurs, le
laid devient beau.
-
l’oxymore « nudité
décente » l.28 = leur aspect bestial devient la norme, ne
choque plus, devient même
attirant.
- laideur de l’humanité par
rapport aux rhinocéros : antithèse « laideur » /
« très belles » dans la didascalie l. 20-21 = problème
de notre jugement qui s’habitue à la norme / à la mode, pour
finir par l’accepter totalement.
-
L’affirmation paradoxale
« Je
suis un monstre » l.34, montre
bien ce changement de norme : le normal,
c’est le rhinocéros ; le monstre (ou l’anormal), c’est
l’homme.
→
Le rhinocéros est vu comme un
héros auquel il faut ressembler : il est beau, fort, viril.
II.
De la tentation du renoncement à la résistance
A.
La honte de soi et la culpabilité / le
refus de l’humanité
-
Didascalie l. 22 : Bérenger jette les tableaux qui représentent
des hommes, donc symboliquement, il jette l’humanité, il la
refuse.
-
Répétition désespérée de « je ne suis pas beau »
l.21-22
-
Signes de désespoir : interjections « oh ! »
l.23, « hélas ! » répété 3x l.23, 33 et 34,
« ah » l.27
-
C.L de la culpabilité : « j’ai eu tort » l.23,
« honte » l.25, « mauvaise conscience » l.33,
« trop honte » l.35-36
-
Description très négative de lui-même : négation « pas
de corne »l.23, et surtout accumulation d’adjectifs
péjoratifs liés aux parties de son corps : son « front
plat » est « laid » l.24, « traits tombants »
l.23, « mains (…) moites » l.26, « peau flasque »
l.27, « corps trop blanc et poilu »l.27
-
même lorsqu’il tente de barrir, c’est « faible » et
ça « manque de vigueur » l.31-32 = mollesse de l’homme
par rapport aux rhinocéros.
B.
La tentative de transformation / le choix de la rhinocérite
-
Tournures exclamatives : « Comme… ! », « Que… ! »
-
Expression du souhait : « je voudrais » répété
3x,
-
Comparaisons : « être comme eux » l.23, « comme
la leur » l.29 », « comme eux » l.30
-
Didascalie l.26 : Bérenger enlève son veston et sa chemise, il
enlève ses vêtements, qui symbolisent l’humanité, pour se mettre
nu, comme les rhinocéros.
-
C.L de l’imitation : « imiter » l.30, « faire
comme eux » l.30, « changer » l.35
-
Polyptote « il essaye » l.30 et « essayons »
l.31 : persiste dans son choix.
-
Succession d’onomatopées l.30 à 32
-
Constat de son échec : multiples négations : « Non »
x3 l.30 et 31, « je n’arrive pas » l.32, « jamais
je ne deviendrai » l.34 , « je ne peux plus »
l.34-35
-
Irréel du passé « j’aurais dû » l.33 + « trop
tard » l.33 = changement impossible.
-
Constat tragique en forme de maxime : « Malheur à celui
qui veut conserver son originalité » l.36 = Bérenger comprend
définitivement qu’il ne pourra jamais se transformer.
C.
Choix de l’humanité et de la lutte
-
didascalie « brusque sursaut » l.37 + le verbe « criant »
l.38 = marques de sa colère
-
les prépositions « face à » (dans « se retourne
face au mur » l.38) et « contre » (dans « contre
tout le monde » l.37 et 38) : affronte ses adversaires
-
verbe « défendrai » + répétition de « ma
carabine » = passage à l’action, alors que jusqu’à
maintenant, Bérenger était dans l’émotion.
-
C.L du combat : « défendrai » l.37, « carabine »
l.37, « ne capitule pas » l.39 ; comme si pour
Ionesco, être humaniste était un acte héroïque (ce qui était le
cas pendant la 2nde GM).
-
emploi du futur « je me défendrai » l.37 et répété
l.39, « je le resterai » = volonté forte, décision
-
choix définitif de l’humanité : constat au présent puis
engagement au futur « je suis le dernier homme, je le resterai
jusqu’au bout » l.39
-
Invitation à ne pas se laisser influencer, à conserver ses
valeurs : « Je ne capitule pas ! » qui termine
le monologue et la pièce.
-
« Eh bien tant pis ! » l.37 : étonnant.
Bérenger semble ne pas choisir l’humanité, mais la subir, ou la
choisir par dépit, et non pas par idéologie. Il n’a aucun
argument rationnel.
Explication
possible : l’humanité ne se démontre pas, elle est
instinctive, intuitive : dès le début, Bérenger l’affirmait :
« Je suis un être humain » l.3, et il le réaffirme dans
« je suis le dernier homme » l.39. D’ailleurs, l.36,
c’est bien le verbe « vouloir » qui est utilisé dans
la formule «Malheur à celui qui veut conserver son originalité »,
comme si c’était un choix de Bérenger de rester un homme.
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