mercredi 7 décembre 2016

Figaro, L.A n°2 : Acte III, scène 5


de « le Comte : Autrefois tu me disais tout » à la fin de la scène.

Extrait de la scène 5, acte III. Confrontation entre le Comte et Figaro : le Comte veut savoir si Suzanne a révélé à Figaro le projet de rétablissement du droit de cuissage. Il doit donc user de tactiques pour sonder l'esprit de son valet sans, évidemment, lui avouer son projet.

I. Une confrontation entre deux individus qui ont des choses à cacher

A) Un dialogue impossible : chacun cherche à duper l'autre

Enjeu du dialogue : le comte cherche à savoir si Suzanne a révélé à Figaro ses vues sur elle ; si c'est le cas, il lui fait épouser Marceline. Figaro, qui est au courant de tout, doit faire semblant de n'être au courant de rien.

Méthode employée par le comte pour sonder Figaro : lui propose d'aller à Londres : si Figaro accepte, c'est qu'il ne se méfie pas ; s'il refuse, c'est qu'il sait tout.
Méthode employée par Figaro : refuser Londres, en prétextant son manque d'ambition.

- C.L. du secret : « cache », « louche », « jamais aller droit » et des défauts : « mauvais », « détestable », « torts » = le comte accuse Figaro de ne pas être franc avec lui.
- Multiples apartés qui marquent le double jeu des deux personnages
- Le réel enjeu de la discussion, « Suzanne », n’est jamais affirmé entre eux, il n’est prononcé que dans un aparté l.170.
- Pourtant, quelques allusions à Suzanne dans les désignations : « ma femme » l.142, « ma mie » l.169, « les jeunes » l.174
- L’enjeu apparent de la discussion, « Londres », l.144, est l’occasion d’un duel argumentatif que tout ramène au mariage et à Suzanne :

Le comte
Figaro
Aller à Londres = chemin de la fortune
Renonce à la fortune, privilégie sa femme : « heureux avec ma femme »
Suggère à Figaro d’emmener parfois sa femme avec lui à Londres
Renonce pour ne pas mettre son mariage en péril : « mariage par-dessus la tête »
Pourrait faire de la politique
« J’aime mieux ma mie, ô gué ! »


B) Le Comte cherche à manipuler Figaro

- C'est lui qui pose les questions et mène l'entretien.
- Le comte emploie des sous-entendus, n'est pas franc :
x parle par antiphrase l. 122 « belle association »,
x ironie l. 154 « comme l'anglais, le fond de la langue » (référence au début de la scène, la tirade « god-dam » de Figaro)
x didascalie l.175 « raillant » (= se moque)
x parle par métaphores, sans être très explicite : « jamais aller droit » l.133-134

- Sa stratégie pour faire parler Figaro :
1) Il manie le chantage affectif : l.119, évoque amèrement la complicité passée pour culpabiliser Figaro (les points de suspension au début des répliques l.119 et 151 = marquent un changement de ton, la flatterie ou le chantage)
2) Il se montre de mauvaise foi et humiliant :
x Question qui implique la corruption de Figaro : « combien la Comtesse t'a-t-elle donné ?» = se montre humiliant en posant la question du « combien » et non du « est-ce que » ?
x hyperbole (adverbe généralisant « toujours ») : « pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais ? » = se montre soupçonneux, sans preuve tangible (« il y a du louche » = formule vague « il y a » + partitif « du » qui donne une quantité indéfinie)
x phrase exclamative non verbale : « Une réputation détestable ! » = Accusation non valable puisque fondée sur un argument d'autorité (la rumeur, la réputation) = se montre ingrat (semble avoir oublié les services que Figaro lui a rendus par le passé).
x dernière accusation toujours de mauvaise foi (l.133-134) = certes, utilise cette fois le « je » au lieu de la réputation, mais repose sur une affirmation excessive (hyperbole « cent fois » / « jamais ») sans anecdote concrète (infinitifs « marcher » / « aller » = non fixés dans le temps, abstraits).
3) Il cherche à séduire Figaro, l.151, en faisant miroiter une belle carrière
4) l.172-184 : Evocation du procès contre Marceline, comme une menace, pour faire plier Figaro.

- Finalement, il apparaît injuste aux yeux du lecteur  : accuse Figaro de ses propres défauts :
x accuse Figaro de lui cacher la vérité « tu me disais tout » / ou de faire des choses « louches » - c'est lui qui en réalité lui cache ses vues sur Suzanne
x accuse Figaro de corruption : il corrompt lui-même Suzanne en lui offrant une « dot » en échange de faveurs sexuelles.
x accuse Figaro d'avoir une réputation détestable : c'est lui-même qui a la réputation de « courtiser les beautés des environs » (scène d'exposition)

C) Figaro ne se laisse pas manipuler et se montre même supérieur au comte dans l'art de manier le langage

- il ne répond pas franchement aux attaques du comte :
x lui aussi fait des apartés
x utilise des parallélisme de construction dans la première réplique  = affirme que la complicité passée est toujours d'actualité. Mais un lecteur attentif se rend compte que désormais, les pronoms « je » et « tu » sont séparés par l'adverbe de négation « ne » = en apparence, complicité sauvegardée, en réalité, rupture de confiance.
x autre parallélisme dans sa 2è réponse : « Combien t’a-t-elle donné » / «  Combien me donnâtes-vous » = répond à une vraie question par une question rhétorique = ce n'est pas une réponse nette.
x à la question du « louche », il répond par une maxime « on » gnomique (= généralisant, tous les hommes) + présent de vérité générale (« voit » / « cherche ») = ne s'inclue pas dans sa réponse, et prends également soin de ne pas désigner le comte, donc reste vague et général.
x à l'accusation de sa mauvaise réputation, il emploie le pluriel « beaucoup de seigneurs » + question rhétorique qui évite encore une fois de donner une réponse nette.
x à propos du fait qu'il n'aille pas « droit », il profite de la métaphore de la marche pour lancer une autre métaphore sur « la foule » pour répondre = ici encore, une réponse généralisante, peu précise.

-
Il profite de ses réponses pour attaquer à son tour, subtilement, le comte :
x il lui rappelle qu'il ne l'a pas payé pour l'aider à avoir Rosine (« combien me donnâtes-vous…? ») = souligne l'ingratitude du comte.
x il met à jour une relation de cause à effet pernicieuse l.128-129 (« c'est que… quand... ») pour montrer que le comte est partial (pas objectif). Paraphrase = si vous ne cherchiez pas à montrer que j'ai tort, vous ne verriez pas du louche dans tout ce que je fais.
x il accuse implicitement le comte d'avoir lui-même mauvaise réputation (et d'être encore pire que sa réputation ne le dit), l.131-132 + l. 174 : « Votre Excellence se permet de nous souffler toutes les jeunes [filles] ».
Bilan : Figaro ne se laisse pas manipuler par le comte, au contraire, il retourne ses accusations contre lui, de manière subtile.

II. La confrontation entre deux individus révèle en réalité les aspirations et les critiques sociales de Beaumarchais

A. Figaro et le comte représentent leur classe sociale
-
vouvoiement contre tutoiement
- apostrophes révérencieuses « Monseigneur », « Votre Excellence » / le comte appelle les domestiques par leur prénom (« Suzanne », « Marceline ») et désigne sa femme par son titre de noblesse « la comtesse ».

- Le comte représentatif des nobles, condescendant :
x Il a le pouvoir : lexique de la hiérarchie « gratifié » l.139-140, « t'avancer » l.148, « sous moi » l.151-152
x Il pose l'hypothèse d'une progression sociale de Figaro l.147-148, mais au conditionnel (« tu pourrais »), et avec un connecteur temporel très incertain (« un jour ») = comme si cette progression était illusoire et qu'il n'y croyait pas lui-même.
x Il a une vision caricaturale du valet : fourbe, corrompu, déloyal, etc. (l.121-134)

- Figaro = le Tiers Etat, conscient de sa position, amer des inégalités sociales :
x Il rappelle sa fonction : « homme qui nous sert » l. 125 , « valet » l.125, « conciergerie » l.140
x Mais il insiste surtout sur le fait qu'il est un « homme » avant d'être « un valet » (l.124), et que c'est l'humiliation ressentie qui peut faire de lui un « mauvais valet » : l'antithèse « bien » / « mauvais » l.125 souligne la responsabilité du maître dans le passage de l'un à l'autre.
x Il a également un vision caricaturale du seigneur : l.131-132, sous-entend que la majorité des nobles sont hypocrites, puisqu'ils offrent une belle image au monde (la « réputation ») mais qu'ils valent en réalité moins bien qu'elle.
x l.131-132, il se compare aux seigneurs, pour conclure qu'il vaut mieux qu'eux = assez osé, voire insolent de la part d'un valet.
x l.135-137 : registre épique, accumulation de verbes d'action, C.L. de la rivalité (« courir », « presse », « pousse », « coudoie », « renverse ») = violence des gens du peuple les uns envers les autres, car les places pour réussir sont rares, d'où absence de solidarité, malheur (« le reste est écrasé » l.137 → Beaumarchais / Figaro souhaite une société fondée sur le mérite personnel et non pas sur la naissance. Idée confirmée l.145 dans la question rhétorique « de l'esprit pour s'avancer ? » = Figaro regrette cette société où l'intelligence personnelle ne sert à rien.
x Il montre lui-même sa culture : cite un proverbe italien… en Italien, l.179 ; et cite la phrase d’une chanson utilisée chez Molière, dans Le Misanthrope.
x Il conclut sur leurs différences sociales inconciliables : antithèse « grands » / « petits » l. 177

B. Figaro / Beaumarchais fait une satire de la politique...

- Remise en cause des valeurs de la société d'Ancien Régime, dans le paradoxe l.150 : « Médiocre et rampant ; et l'on arrive à tout » = attaque à la fois de Bazile (qui se donne sans aucune morale au plus offrant), et plus largement des courtisans (qui sont prêts à tout pour obtenir et conserver les faveurs du roi).

- Tirade satirique sur la politique (l.155 à 165) :
x C.L de la plus importante des caractéristiques : le paraître (« feindre » l.155, « paraître » l.160, « jouer […] un personnage » l.161)
x construite sur une liste de paradoxes et d'antithèses qui montrent le renversement de valeurs de la politique (le mal est bien) : « ignorer »/ « sait ; « savoir » / « ignore » ; « entendre » / « ne comprend pas » ; etc.).
x accumulation de verbes à l'infinitif = effet d'insistance sur le renversement de valeurs, et en même temps, mode d'emploi facile à comprendre.
x thématiques critiquées :
-l'ignorance et la bêtise de ceux qui font de la politique (C.L de l'ignorance + « vide et creux »)
-le culte du secret (C.L : « ignorer ce qu'on sait », « ne point ouïr ce qu'on entend », « grand secret », « cacher », « s'enfermer »)
-l'inactivité (« tailler des plumes » + absence de tout autre verbe d'action)
-l'espionnage (C.L : « espions », « traîtres », « amollir des cachets », « intercepter des lettres »)
x conclusion à double sens l.163-164 : « ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets » (paraphrase : faire semblant que les pauvres moyens utilisés sont nobles et grands, puisque leur but est noble et grand) :
sens 1 : ceux qui font de la politique masquent le fait que les moyens utilisés soient immoraux.
sens 2 : seuls les « nobles », bien que médiocres, sont considérés comme « importants », précisément parce qu'ils sont nobles.
= critique des courtisans.

- Equivalence formulée par le comte : politique = intrigue
Equivalence confirmée par Figaro dans la métaphore des « germaines » → immoralité de la politique.

C. … et une satire de la justice inique
Rappel : le comte Almaviva est le « grand corregidor » d'Andalousie (voir didascalie initiale de présentation des personnages) = premier officier de justice. C'est donc lui qui présidera le procès de Figaro.

- Entre l'échange sur la politique et le procès de Figaro, le comte emploie un connecteur logique (« ainsi ») comme si le procès était la conséquence du refus de Figaro d'aller à Londres, donc une punition du comte envers son valet.
- C.L du procès : « procès », « crime », tribunal », « magistrat », « ordonnance », et en parallèle, C.L du bien et du mal : « crime », « mal », « bien » : souhait de Figaro/ Beaumarchais que la Justice soit le lieu du Bien … idée implicite : ce n'est actuellement pas le cas.
- Question rhétorique de Figaro = ironie et impertinence :
x l'expression « faire un crime de » est polysémique : à la fois « reprocher » et également « juger qq chose comme illégal » → en apparence, Figaro demande au comte de ne pas lui reprocher ses goûts ; en réalité, il lui demande de ne pas le condamner à épouser Marceline, comme s'il savait que le comte avait déjà pris sa décision.
x antithèse : « vieille fille » / « toutes les jeunes » : Figaro accuse implicitement le comte de vouloir lui prendre sa femme = très audacieux de sa part, et également dangereux, puisque c'est le comte qui arbitrera le procès.
- maxime énoncée par Figaro : « indulgente aux grands, dure aux petits » (antithèse + phrase non-verbale + pluriel globalisant « aux ») = résume toute la pensée de Beaumarchais à propos de la Justice inique (idem La Fontaine dans « Les Animaux malades de la peste » : « selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
- Figaro a plus confiance en « tempo » (le temps) qu'en le comte pour dire la vérité sur le bien et le mal, comme le souligne le présentatif « c'est lui qui » l.180
- conclusion sur la justice tout à fait inique : malgré ce que le comte affirme à haute voix l.175-175, il rend une justice qui sert ses propres intérêts, au lieu de rendre une justice équitable : « il épousera la duègne » → futur de certitude. Le comte a donc jugé Figaro avant même que le procès n'ait eu lieu.

Bilan : Figaro est ici le double de Beaumarchais qui fait entendre sa critique sur la société inégalitaire de son époque.

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