lundi 9 mars 2015

L.A n°2 : La Fontaine, "Le Loup et le Chien"

L.A 2 : « Le Loup et le Chien », Fables, Livre I, 16

  1. Un récit vivant (« plaire »)

A. Un récit très rythmé
  • vers libres : octosyllabes décasyllabes, alexandrins, qui imitent l'état d'esprit du Loup (vers courts = son agitation ; alexandrins = sa prise position assurée) => rythme et vivacité.
  • rimes plates, embrassées et croisées = action qui rebondit, aucune monotonie
  • structure narrative simple :
    • situation initiale à l'imparfait qui présente le Loup,
    • élément perturbateur au présent de narration (v.3) qui annonce le Chien
    • hésitations du Loup (attaquera-t-il?) et dialogue constituent les péripéties,
    • dénouement dans la dernière prise de parole du Loup ;
    • situation finale qui rejoint le présent d'énonciation (« et court encore »  v.41)
  • Nombreux verbes d'action qui dramatisent le début du récit : « rencontre », « attaquer », « mettre en quartiers », « livrer bataille », « se défendre »... => suspense.
  • Enjambements qui intensifient la dramatisation : v.5 à 7 puis 8-9
  • Rythme qui accélère vers la fin : ponctuation très hachée des phrases v .33 à 37 : interrogations, point virgule, virgules ; contre-rejet du v. 34 (« Le collier dont je suis attaché / De ce que vous voyez est peut-être la cause »).
B. Alternance discours et récit
  • Récit (imparfait et présent de narration) v.1 à 4
  • Discours indirect libre qui nous fait pénétrer dans les pensées sur Loup (focalisation interne) v. 5 à 9 : « L'attaquer, le mettre en quartiers [...] Mais le mâtin était de taille/ à se défendre hardiment »
  • Discours indirect v.10 à 12 : le Loup flatte le Chien
  • Passage au discours direct au v.13, sans même passage par un verbe de parole introducteur : celui-ci est renvoyé en fin de phrase, pour plus de vivacité : « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire / D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien ».
  • Le narrateur n'intervient que bien plus loin, au v. 30, après les prises de parole alléchantes du Chien et pour introduire un retournement de situation : « Le Loup déjà se forge une félicité /[…] il vit le col du Chien pelé ».
  • Stichomythies v. 33 à 37 = alternance très rapide de répliques, sans intervention du narrateur.
  • Le narrateur intervient une dernière fois dans le dernier vers : « Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor ».

C. Mélange de registres
  • des éléments pathétiques : le Loup efflanqué (v.1), la description pathétique des misérables qui vivent dans les bois (v.15 à 18) le cou pelé du Chien (v.32)
  • des détails réalistes : le travail du Chien (« donner la chasse au gens ») contre son « salaire » : « os de poulets, os de pigeons »
  • des image comiques : le loup qui « aborde humblement » le Chien, parce que ce dernier semble être de taille imposante (« donc ») ; le Loup qui « fait compliment » de l'embonpoint du Chien ; l’image du loup qui pleure de tendresse  (« Le loup déjà se forge une félicité / Qui le fait pleurer de tendresse. ») ; le Chien qui tente d'éluder les questions du Loup.
  • La moralité, inscrite dans les dernières paroles du Loup = registre didactique.
  1. Pour réfléchir sur la liberté (« instruire »)
A. Deux personnages que tout oppose :
  • Description physique : « Un Loup n'avait que les os et la peau » v. 1 / le Dogue est « gras » v. 4 répété v. 14, a de l' « embonpoint » v. 12. ; l'accumulation de qualificatifs mélioratifs v. 3 et 4 crée un effet d'insistance sur la bonne santé du Chien.
  • Le Chien est associé au C.L de la nourriture abondante : « franche lippée » v.19, « force reliefs de toutes les façons » v. 27, « os de poulets, os de pigeons » v.28, « tous vos repas » v. 38 alors que le Loup est associé à la misère et la privation : tournure restrictive « ne... que » v.1 (« n'avait que les os et la peau »), « misérables », « cancres, haires », « mourir de faim », « rien d' » et « point de » v. 19
  • Le lieu de vie est symbolique : le Loup vit dans « les bois » v. 15 ; le Chien, dans un « logis » v. 25,
  • Le Chien est « poli » (polysémie : il brille, il est propre, mais également il est policé, civilisé) alors que le Loup pense d'abord à « attaquer » et « mettre en quartier » son adversaire, preuves de sa sauvagerie.

B. Caractérisés par leurs discours

C'est le Chien qui a la parole le plus longtemps, donc le pouvoir ; le Loup interroge, le Chien semble détenir la connaissance.
  • Le Chien se donne en exemple à suivre : « aussi gras que moi » v. 14 puis « suivez-moi » v. 21.
  • Il joue de la persuasion en abordant d'abord la vie misérable du Loup, qu'il dépeint dans une accumulation tragique, aboutissant à la mort « mourir de faim » v. 18 ; il poursuit sur la difficulté de cette vie sans assurance du lendemain : « rien d'assuré » en rime interne avec « tout à la point de l'épée » .
  • Il conclut par un impératif enjoignant à l'action : « Suivez-moi » ; l'emploi du futur offre avec certitude une alternative à la destinée tragique du Loup : « vous aurez un bien meilleur destin » v. 21
  • Le Chien répond très exactement à la question du Loup sur les actions à réaliser : « donner la chasse », « flatter », « complaire », ce qu'il réduit à l'euphémisme « presque rien » (v.23).
  • Par contraste avec cet euphémisme, il joue de nouveau de la persuasion en évoquant la nourriture, dans des formules hyperboliques (« force reliefs », « toutes les façons », anaphore de « os »), et en introduisant un nouvel argument : « sans parler de mainte caresse » v. 29.
  • Il y a donc gradation dans les arguments : argument vital (ne pas mourir de faim) à un argument de plaisir (manger en quantité et diverses mets), pour aboutir à un argument de luxe (les caresses).
Le Loup parle peu mais réfléchit :
  • d'abord lorsqu'il avait rencontré le Chien, v. 3, il hésite à l'attaquer, puis mesurant sa taille, renonce et adopte une autre stratégie : la conversation : « Le Loup donc l'aborde » ;
  • ensuite lorsqu'il est alléché par la proposition du Chien, il cherche à en savoir plus : « que me faudra-t-il faire ? » ; il ne suit pas le Chien aveuglément, il attend de connaître la marche à suivre ; il pose encore une question au Chien, montrant qu'il ne se laisse pas berner par des paroles attrayantes, v. 33 : « Qu'est-ce là ? »
  • Il ne se laisse pas démonter par les réticences du Chien à lui répondre, il poursuit sa quête de vérité jusqu'à obtenir une réponse claire.
  • Il est alors capable, malgré l'avenir radieux qui s'offre à lui en suivant le Chien, de renoncer à ce projet en donnant un unique argument dans une question : « vous ne courez donc pas où vous voulez ? ».
  • Le loup fait preuve de superbe, il a de la dignité. A la fin de la fable c’est lui qui parle, s’exprime précisément, domine le chien par le pouvoir de la parole. Il a le dernier mot et sort vainqueur de la confrontation.

C. Une morale implicite

  • Le Chien perd la main à la fin de la fable : ses paroles se réduisent au minimum : « rien », « peu de chose », il élude la question du Loup et finit par répondre dans un « peut-être » qui atténue la réalité du « collier ». Cet euphémisme indique une certaine hypocrisie du Chien, ce que corroborent les verbes « flatter » et « complaire » du v. 25. Le collier est ainsi l'allégorie de la soumission à un puissant, à qui faut éviter de déplaire (antonyme de « complaire »).
  • Le Loup, qui veut courir où il veut, incarne alors la liberté de penser, l'indépendance d'esprit, il conserve son libre-arbitre, et ne court pas aveuglément vers ce qui brille : il ne troquerait même pas « un trésor » contre sa liberté.
  • Plus encore : non seulement le Loup refuse de se soumettre à un puissant mais il est également capable de reconnaître la supercherie dans les paroles alléchantes de son compère.
  • La Fontaine semble prendre le parti du Loup : il méprise le Chien qui manque de grandeur et de noblesse → il donne la chasse aux malheureux, v. 23-24, reçoit les appellations de « Dogue » , « Mâtin », « Chien » ; le Loup, au contraire, est appelé « Sire Loup » v. 6, puis « maître Loup » v. 41 ; il a le sens de l'honneur, méprise lui-même le Chien quand il lui jette l'expression : « tous vos repas » v. 38.
  • La moralité de la fable n'est pas exprimée, on parle de morale implicite. Elle se comprend dans le jugement moral porté sur le Chien et le Loup, et sur la phrase narrative qui termine la fable : « Cela dit, maître Loup s'enfuit et court encor » : la liberté l'emporte, elle est une valeur universelle (« encor »)



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