mardi 23 mai 2017

Poésie du Carpe Diem, L.A n°2 : Ronsard, "Quand vous serez bien vieille" - Sonnets pour Hélène

Ronsard, poète de la Pléiade et poète officiel de la cour de Catherine de Médicis. Il s’agit d’un poème de commande, dans lequel Ronsard doit célébrer la suivante, Hélène de Surgères, une jeune veuve.





I Une stratégie de séduction étonnante



A. Portrait paradoxal de la femme

Ronsard ne dépeint pas les beautés présentes de la femme, ni son caractère enchanteur, bien au contraire :

- son seul trait de caractère est la redondance du vers 12 : « fier dédain »

- sa seule description physique est celle qu’imagine le poète pour montrer les ravages du temps : le poème est construit sur une prolepse dépeignant à Hélène un avenir peu radieux, puisqu’il attaque d’emblée sur sa vieillesse.

- Ironie du 1er vers, qui insiste cruellement sur la vieillesse de la femme grâce à l’intensif « bien » dans « bien vieille ».

- le mot « vieille » : v.1 est mis en relief par sa position à la césure

- Nombreux futurs

- le « soir » est symbolique : fin de vie

- Le cadre spatial montre le rétrécissement de la vie (lieu clos) : « Assise auprès du feu » (v.2), « au foyer » (v.11)

- le feu suggère en outre que la « vieille » a froid, qu’elle tente de se réchauffer… présence de la mort.

- nombreux participes présents = ennui et monotonie de la vieillesse

- « dévidant » (radical « vide » // vide de sa vie) + référence au mythe des Parque qui déroulent le fil de la vie. Métaphore de la laine comme fil du temps.

- verbe « filant » = temps qui fuit ou qui « file ».

- « Demi-sommeillant » v.6 : approche de la mort.

- Vers 1 : rythme irrégulier (6/2/4) = fragilité de la vie humaine

- Enjambements : v.11-12, qui dépasse la strophe = accélération du temps



B. La stratégie de persuasion : effrayer la femme aimée

Pour inciter Hélène à accepter ses avances, le poète joue sur l’inquiétude et dans les derniers vers il lui propose une solution : le carpe diem.

- Polyptote sur le mot « vieille » v.1 et 11 = insiste cruellement sur la déchéance physique.

- Indices temporels en gradation : « Quand », « Lors », « Déjà » = vers une accélération du temps qui passe

- mise en garde : la « chandelle » est une flamme de la vie bien fragilisée, et qui rime avec « belle » : tout comme la chandelle s’amenuise, la beauté se fane.

- Déchéance de la femme : on passe d’« assise » (v.1) à « accroupie » (v.11).

-Opposition futur/passé : « serez » (v.1) ; « direz » (v.3) ; « célébrait » (v.4) insiste sur le fait que le présent (célébration d’Hélène dans ce poème, maintenant) deviendra du passé dans le futur → marque du regret

- « du temps que j’étais belle » v.4 : imparfait, temps de l’achevé = marque de regret éternel

- emploi explicite du verbe « regrettant » v.12



C. Conseil de Carpe diem

- le tableau de la 1ère strophe fait penser à La Madeleine à la veilleuse, une vanité du peintre Georges de La Tour ( où la pécheresse repentie, Marie Madeleine, médite sur la vie et sa fragilité, évoquée par le crâne et par la petite flamme éphémère et tremblante).

- registre didactique des deux derniers vers grâce aux impératifs : « Vivez », « n’attendez », « cueillez » : le poète administre une leçon de vie à la jeune femme.

- condition « Si m’en croyez » (exactement comme dans l’ode à Cassandre) : le poète se pose en guide qui sait.

- Topos littéraire des roses de la vie : la rose est le symbole de la beauté éphémère.

- antithèse « aujourd’hui » v.13 et « demain » v. 14 : urgence de l’action qui ne peut pas attendre

- l’indice temporel « dès aujourd’hui » confirme le caractère urgent du carpe diem

- Vers 13, le rythme est ascendant (2/4/6) pour laisser entendre l’appel à la vie « Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain ».

- polyptote « vivez », « vie » v.13 et 14



II…qui cherche à mettre en valeur le pouvoir du poète



A. Glorification du poète

- omniprésence du poète : plutôt qu’un poème à la femme aimée, c’est un poème sur soi : Ronsard présent dans toutes les strophes.

- déterminants possessifs : « mes vers » (v.3), « mon nom » (v.7), « mon amour » (v.12) = narcissisme du poète 

- hyperbole v.5-7 : « bruit de Ronsard » (« bruit » = renommée) capable de réveiller une servante , or la servante figure celui qui a peu de culture, donc si elle connaît le nom de Ronsard, c’est qu’il est très connu

- Le discours direct « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle » met en évidence les regrets de la jeune femme ;

- Il se cite deux fois : v.4 et v.7, à des positions qui le mettent en avant : début de vers ou à la césure

- Parle de lui à la 3ème personne au v.7, comme si son nom avait déjà une réputation universelle



B. immortalité du poète / la poésie capable de dépasser la mort

Sa gloire le rend immortel.

Paradoxe : la mort du poète est montrée comme bien plus enviable que la vieillesse de la femme :

- parallélisme des vers 9 et 11 pour marquer la gloire de Ronsard, par opposition à la décrépitude de la femme.

- litote : « je serai sous la terre » v.9→ sa mort n’en est pas vraiment une puisqu’il sera toujours.

- il se repose (« repos ») / tandis qu’elle s’occupe et que sa servante a du « labeur »

- dans un cadre attirant, à l’ombre des myrtes (« Ombres myrteux » = lieu où se trouvent les amoureux dans les enfers de la mythologie ; « ombres », ici, est masculin) / tandis qu’elle tente de se réchauffer

- Il n’est plus gêné par son corps (« fantôme sans os ») / tandis qu’elle est « une vieille accroupie »



C. Pouvoir divin du poète et de la poésie / victoire sur le temps

- C.L de l’éloge : « célébrait », « bénissant », « louange » : c’est la poésie de Ronsard qui fera que le nom d’Hélène sera connu de la postérité.

- le verbe « émerveillant » v.3 est fortement connoté : la merveille est ce qui semble dépasser les forces de la nature ; émerveiller consiste donc à dépasser la nature, voire à dépasser la mort.

- les références aux mythes (les Parque au v.2, les myrtes des Enfers au v.10) font accéder Ronsard à la fonction de démiurge (celui qui crée un monde) : il est celui qui peut empêcher la mort, donc rendre immortel.

- l’adjectif « immortelle » est explicite v.8, et elle rime avec « belle » du v.4 : le poète pourra immortaliser à jamais la beauté d’Hélène.

- Mais il ne cite pas le nom de la femme dans ce sonnet, contrairement au sien : c’est une sorte de chantage, il ne le fera que si elle cède à ses avances.

- C.L de l’ouïe : « oyant », « chantant », « bruit » = symbolise la poésie qui se chante, se dit, et qui reste toujours vivante (contrairement au silence qui est mort)

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