Poème
écrit en 1658 par le dramaturge classique Corneille, pour Thérèse
Du Parc, comédienne de la troupe de Molière très courtisée, et
que l'on surnommait « Marquise ».
Structure
:
1ère
partie = 3 premiers quatrains : Le poète effraie Marquise (le temps
attaque la beauté physique) /
2ème
partie= quatrains n°4 à 7 : Le poète célèbre sa propre gloire ;
immortalité du poète contre beauté éphémère /
3ème
partie = 2 derniers quatrains : Conseil de Carpe Diem
I.
Un poème traditionnel de carpe diem ?
a.
célébrer la beauté de la femme
-
apostrophes à « marquise » v.1 et v.29
-
Jeu entre le « vous » et le « je » du poète
-
alternance rimes féminines, rimes masculines = jeu amoureux
-
« vos roses » métaphore (usée!) de la beauté
-
superlatif « plus belles choses » v. 5 qui inclut Marquise
-
« vous en avez qu’on adore » (« en »
reprend les « charmes ») v.17 : le pronom indéfini
« on » montre que cette adoration est partagée par un
public nombreux.
-
polyptote : « belles » v.5, « belle »
v.27, « belle Marquise » v.29
-
synecdoque « yeux qui me semblent doux » v.22 (les yeux =
Marquise)
b.
Les ravages du temps sur la femme ou comment effrayer la femme aimée
-
C.L du temps : « âge » v.3, « temps »
v.5 et v.16, « durer » v.19 « usés » v.20,
« dans mille ans » v.23
-
Allégorie du temps vu comme un ennemi offensif : « Le
temps […] / se plaît à faire un affront » v.5 et « ravages
du temps » v.16
-
métaphores : la rose qui se fane v. 7 + front ridé v. 8 =
ravages physiques (visibles) du temps
-
C’est d’abord la vieillesse du poète et non celle de la femme
qui est évoquée : « traits un peu vieux » v.2,
« ridé mon front »v.8, « un grison »v.30 :
pour montrer que les effets du temps sur le poète seront bientôt
transposés à la femme aimée.
-
le caractère inexorable du temps qui passe est souligné par le
« cours des planètes » v.9, l’alternance des
« jours » et des « nuits » v.10, la « règle »
universelle v.10 = on ne peut rien y faire.
-
Parallélisme des strophes 2 et 3 : le temps au présent de
vérité générale puis comparaison vous/moi = encore une fois,
caractère implacable du temps.
-
« le même » v.9 : puisque les deux personnages sont
soumis au même temps, alors les marques physiques sur Marquise
seront bientôt les mêmes que celle de Corneille (autrement dit :
Corneille est le reflet futur de ce que sera Marquise… la pauvre
!!!)
c.
Une leçon de carpe diem emprunte
d’ironie (d’humour?)
-
définition de « stance » : poème lyrique
d’inspiration grave, religieuse ; or ici, beaucoup d'ironie,
peu de gravité, le poème est plus un jeu avec Marquise qu'autre
chose ; l'appellation
« Stances » est donc ironique.
-
Un
discours argumentatif
: connecteurs : « si, comme, cependant, mais, quand, qu'autant
que, quoiqu' » =
le poète détourne le lyrisme amoureux en un discours argumenté.
-
impératif aux v. 3 (« souvenez-vous »)
et 29 (« Pensez-y ») :
ton moralisateur. Le poème commence et se termine sur des
conseils,
sortes
de morales
de Carpe Diem.
-
futur de certitude = affirmation cruelles qui ne ressemblent pas
vraiment à un discours amoureux : « […] à mon âge /
vous ne vaudrez guère mieux » v.4 et « Vous serez ce que
je suis » au v.12
-
présent
de vérité générale : « Le
temps aux plus belles choses/Se plaît à faire un affront »
v.5-6 :
le poète se met en position
de sage qui énonce des vérités.
-
Auto-satisfaction bien trop éclatante : quelques litotes
comme « quand il est fait comme moi » v. 32, « où
j'aurai quelques crédit » v. 26, « j'ai quelques
charmes » v. 13 : soit de l'auto-dérision… soit un
orgueil démesuré.
II.
En réalité, un poème de célébration du poète !
a.
Une comparaison à l’avantage
du poète
-
Gradation
dans la comparaison entre les deux individus : d’abord, match
nul, puisque aucun des
deux
ne vaut mieux que l’autre, ils seront tous deux marqués
physiquement
par
le temps :
x
la
comparaison
débute
assez doucement, par une
litote « vous
ne vaudrez guère mieux » v.4
x
autre
comparaison
« il saura faner vos roses / comme il a ridé mon front »
v.7-8, avec opposition des temps verbaux, futur/ passé composé
x
chiasme : « On m'a vu ce que vous êtes // Vous serez ce
que je suis » (v.11 et 12) : joue
sur les pronoms personnels et les temps verbaux (passé composé /
futur).
-
A
partir du v.13, connecteurs
d’opposition (« cependant » v.13, « mais »
v.18, « quoiqu’ » v.30) qui marquent une évolution
différente entre Marquise et le poète :
x
antithèse
« ceux que … durer » / « ceux-là... usés »
v.19-20 :
Marquise soumise au temps (Corneille vient de le
démontrer dans les comparaisons précédentes) alors que lui-même
semble
immortel.
b.
Grâce à sa gloire immortelle
-
Il
utilise beaucoup le « je », parle
beaucoup plus de lui que de Marquise.
-
Termine même le poème sur le pronom tonique « moi ».
-
Synecdoques «mon
front » v. 8 et « des yeux » v. 22 : le front
représente le
siège de la pensée donc
le
génie
de Corneille ;
les yeux représentent la beauté de Marquise, mais une
beauté éphémère.
-
Litote :
« j’ai
quelques charmes » v. 13 + oxymore « assez éclatants »
v.14 = fausse
modestie (évoque ses atouts, mais en paraissant les atténuer)
-
le terme « charmes » vient
du Latin « carmen »
qui signifie « chant, vers » :
c’est
donc bien grâce à ses vers que le poète deviendra immortel.
Contrairement
à Marquise, le poète saura
remporter le combat contre le temps :
x
commence par une litote
« pas
trop d’alarmes / De ces ravages du temps »
x
puis
poursuit par une hyperbole
qui tourne à la science-fiction : « dans
mille ans » v.23,
« chez cette race nouvelle » v.25 =
immortalité du poète
-
C.L
de la gloire : « éclatants » v.14, « gloire »
v.21, « crédit » v.26
-
Gradation dans la certitude de sa gloire future :
x
commence par une tournure hypothétique au conditionnel :
« [mes
charmes] pourraient v.19 »
x
poursuit avec le même verbe hypothétique mais au futur « pourront »
v.21
x
enfin, futur de certitude : « j’aurai quelque crédit »
v.26
c.
Gloire qui l’élève au niveau d’un démiurge diabolique
-
Verbes qui élèvent Corneille au niveau d’un dieu : « sauver
[votre gloire] » v.21, « ce
qu’il me plaira » v. 24.
-
C’est par sa poésie qu’il peut immortaliser la beauté de
Marquise : association du verbe « dire » et de
l’adjectif « belle » (« Vous ne passerez pour
belle / Qu’autant que je l’aurai dit » v.27-28)
-
restrictive « ne… que » v.27 : Marquise soumise à
la volonté du poète.
-
Toute-puissance assez diabolique puisque sous-entendu de mensonge
possible : « faire croire / Ce qu’il me plaira »
v.23-24 (autrement dit : Si Corneille a envie de faire croire
qu’elle était laide, il le peut). C’est le poète qui choisit
l’image de Marquise à laisser à la postérité.
-
Le futur fait place au présent dans la dernière strophe, c’est
une conclusion qui joue sur la menace : le « il vaut
bien » pourrait se lire comme un « il vaut mieux pour
vous ».
-
plutôt qu’à un dieu, c’est à un diable que Corneille finit par
ressembler : image du « grison » effrayant
(« effroi »), qui propose un pacte à la jeune femme :
le courtiser (euphémisme qui signifie plutôt coucher avec lui) en
échange de sa gloire immortelle.
-
lSorte
de marché avec termes économiques : « vaudrez »
v.4, « crédit »
v.26,
« vaut » v.31,
+ bon rapport qualité / prix de lui-même : il durera
longtemps (« bien
durer encore » avec insistance grâce aux deux adverbes
« bien » et « encore » v.19).
Remarque
: le dramaturge Tristan Bernard a imaginé la réponse de Marquise à
Corneille, et Brassens a créé une chanson qui reprend les premières
strophes de ce poème et qui se termine ainsi : « Peut-être
que je serai vieille/ Répond Marquise/ J’ai vingt-six ans, mon
vieux Corneille, / Et je t’emmerde en attendant ! »
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