lundi 15 mai 2017

Poésie du Carpe Diem, L.A n°1 : Ronsard, "Ode à Cassandre"


Le mot « ode » venu du Grec, signifie « chant » (rappel : tragos + oide = chant du bouc → tragédie): chant à la gloire d’une personne (ou d’un événement), qui exprime des sentiments intimes dans un registre lyrique.

I. Un poème galant
A. Une invitation sensuelle
- Apostrophe « Mignonne, v. 1 : hypocoristique qui marque la douceur, sa fragilité et la beauté + marque une intimité (en tout cas espérée) entre le poète et la jeune femme
- Invitation à la promenade : « allons voir » v.1
- « allons » : d’emblée, le poète utilise la 2ème personne du pluriel, qui mêle la femme et le poète : désir de fusion
- Un cadre propice à l’amour : le soir (« vesprée ») ; dans un cadre bucolique (C.L de la nature : « rose » (v.1) ; « Nature » (v.10) ; « fleur » (v.11) ; « fleuronne » (v.14) ; « cueillez » (v.16) »).
- Allitération sensuelle en [p] dans tout le 1er sixain
- La couleur rouge (« pourprée ») symbolise la passion amoureuse et peut faire référence à la bouche de la femme.
- Discret érotisme des enjambements des vers 2-3 et 4-5 : expressions « déclose / Sa robe » et « A point perdu (...) / Les plis de sa robe » peuvent être paraphrasées en « ouvert/ sa robe » et « n’a pas froissé sa robe »
- Même l’élégiaque « ses beautés laissé choir » v.9 pourrait être compris comme « laissé tomber sa robe » = encore une évocation sensuelle.
- Jeu sur les sons [o] ouverts et fermés dans la 1ère strophe (ouverts : « mignonne », « robe » ; fermés : « rose », « déclose », Soleil », vôtre ») : mime l’ouverture et la fermeture de la rose, on peut y voir un appel à l’ouverture de la femme au poète.

B. L’éloge de la beauté de la femme
Registre épidictique :
- C.L de la beauté : « ses beautés », « mignonne », « votre beauté »
- C.L des couleurs qui peint un tableau ravissant de cette femme : « rose », « pourpre », « teint », « verte »
- Beauté renforcée par l’éclat du « soleil » v.3 = éclat, jeunesse.
- L’ode respecte scrupuleusement les règles du genre : octosyllabes, alternance rimes féminines et masculines, rimes élégantes visuellement (même graphie) = ode à l’image de la perfection de la femme.

Métaphore femme-fleur :
- comparaison femme / fleur (« pareil », v.6), mais comparaison est surprenante car contrairement au topos de la femme-fleur, ce n’est pas la rose qui sert de modèle, mais la femme qui sert de modèle à la rose = elle est donc si belle que même la nature s’incline devant elle.
- personnification de la rose qui a une « robe » et un « teint » = permet de complimenter la jeune femme sur sa beauté et sa douceur. Hypallage sur le terme « teint » puisque la femme a un teint, pas la fleur = renforce la comparaison.
- « Fleuronne », « verte », « cueillez » : le lexique végétal poursuit l’analogie femme / fleur
- la rime : mignonne / fleuronne, met encore une fois l’accent sur la métaphore de la femme fleur en rapprochant les sonorités des deux mots.

C. Un poème lyrique, voire élégiaque (expression de l’émotion... feinte ou sincère d’ailleurs)
Passage très rapide et sans aucune transition (de la 1ère à la 2ème strophe), à la déploration du flétrissement de la rose.
- interjections élégiaques (« las ! »), en anaphore et répétées + placées en début de vers
- phrases exclamatives v.9 et 12
- Apostrophe lyrique "Ô" v.10
- allégorie de la nature, mais avec le péjoratif « marâtre » : exprime la souffrance du poète.
- adverbe « vraiment » qui porte sur un nom (« marâtre ») : très original, insiste sur la cruauté de cette Nature qui, au lieu de se comporter comme une mère protectrice, fait vieillir et mourir les hommes.
- le verbe « dure » v.11 homophone de l’adjectif « dur » = encore une insistance sur la cruauté de la Nature.
- allitération en [r] au vers 10 = dureté, âpreté
- la phrase des vers 10 à 12 n’a pas de proposition principale : efficacité et force de la déploration.


II. Un poème de carpe diem
A. Une stratégie d’argumentation efficace
L’art de convaincre :
- La composition du poème dessine un syllogisme : strophe 1 : La rose est comme la femme ; strophe 2 : or, la rose est mortelle ; strophe 3 : donc la femme est mortelle
- C.L de la vue (« voir », v. 1 ; « Voyez », v.7) : le poète semble avoir une démarche par induction, il part de l’observation et en conclut une leçon de vie.
- le connecteur logique « donc » (v. 13) débute la dernière strophe = marque de l’argumentation logique (rapport de cause / conséquence)
- argument par analogie qui repose sur la métaphore « cueillez votre jeunesse » ( v. 16)  et la comparaison « Comme à cette fleur, la vieillesse / Fera ternir votre beauté » (v.17-18).

L’art de persuader :
- Répétition de l’apostrophe « mignonne » : insiste sur le caractère jeune de la femme, comme pour lui marteler sa beauté éphémère
- condition : « si vous m’en croyez » = modalisateur de persuasion (équivalent de « faites-moi confiance »)
l’emploi de l’impératif à plusieurs reprises : le poète se positionne en homme sage, (il a 30 ans alors que Cassandre n’en a que 15!), et qui prodigue des conseils de vie à la jeune femme. L’emploi de l’hypocoristique « Mignonne » corrobore cette idée que le poète se place au-dessus de la jeune femme.
- les exclamations font partie de l’argumentation puisque le poète effraie la jeune femme pour l’inciter à agir vite
antithèse « jeunesse » v. 16 / « vieillesse » v. 17, à la rime + toutes les antithèses du poème (par exemple : « soleil » v.3/ « ternir » v.18 ; « déclose » v.2 / « choir » v.9) = tente encore d’effrayer la jeune femme en montrant la rapidité de la venue de la vieillesse

B. Un poème sur la fuite du temps
- jeu sur les temps verbaux : plus-que-parfait (« avait déclose » v.2), passé composé (« a… perdu » v.4, « a […] laissé choir » v. 8-9), présent (« allons voir », « voyez », « dure » …),  futur (« fera » v.18) = on passe en trois strophes d’un passé révolu à un futur annonçant la vieillesse = résumé d’une vie.
- « allons voir » (v.1) devient « voyez » (v. 7) : la proposition de promenade s’est réalisée dans un temps court, précipité
- termes liés à la chute, la déchéance, présents dans chaque strophe : « perdu » v.4 « choir » v.9, « ternir » v.18 (par opposition au « soleil », v.3, qui est haut dans le ciel, et symbolise l’élévation, la beauté à son apogée)
- idée de brièveté de la vie suggérée par la rime « choir/soir » (v.9 et 12).
- une journée entière résumée en un simple octosyllabe v.12 (« du matin jusques au soir ») = brièveté de la vie
- antithèse « matin » (v. 2) / « vêprée » (v. 4) et reprise de l’antithèse « matin » (v. 12) / « soir » (v. 12) = accentue la rapidité d’une journée
- C.L des moments de la journée (« matin », v.2 et v.12, « vesprée » v.4, « soir » v.12) en parallèle avec le C.L des moments de la vie (« votre âge fleuronne » v.14 « verte nouveauté » v.15, « jeunesse » v.16, « vieillesse » v.17 ) = comparaison entre la brièveté d’une journée et la brièveté d’une vie.
restrictive « ne ... que » + indice temporel « en peu d’espace »  : brièveté de la vie
- nombreux enjambements (v.1-2 ; 4-5 ; 11-12 ; 17-18) : temps qui s’accélère

C. Pour une leçon de carpe diem (profiter de sa jeunesse)
registre didactique : répétition de l’impératif « cueillez » v. 16 : incitation à l’action immédiate, comme s’il y avait urgence.
- le verbe « cueillir » est une référence explicite au « carpe diem » (carpe = « cueille » en latin)
- usage du présent : présent d’énonciation (« allons voir » ou « cueillez ») qui désigne des actions à accomplir ; par opposition au présent de vérité générale à la forme négative (« ne dure » v.11) = c’est dans le moment présent qu’il faut agir, il ne faut pas attendre ni rester passif.
- l’indice temporel « tandis que » v.14 + le superlatif « sa plus verte » v.15 semblent faire écho au « soleil » du v.3 : on est à l’apogée très éphémère d’un cycle, il faut donc en profiter rapidement.
- C.L de la jeunesse : « nouveauté » ; « verte », « fleuronne », « jeunesse », condensée dans la dernière strophe : encore une fois, insistance sur l’urgence à agir car cette jeunesse ne dure pas.
- métaphores : « votre âge fleuronne » v.14 et « cueillez votre jeunesse » = association intime du temps et de la nature, pour montrer que si on ne peut rien faire contre la nature, on peut en revanche profiter de l’instant au maximum.

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