mercredi 1 mars 2017

Séquence Humanisme, L.A n°1, Léry, chap.13

L.A n°1 : Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, Chapitre XIII


I. Le récit d’un dialogue qui évolue

A. Un récit de voyage donné pour authentique
- Un narrateur témoin : emploi de la première personne + présent de narration (alors que le voyage a été réalisé vingt ans auparavant) ;
- Souci du narrateur de rendre compte de la culture des Tupinambas:
x Emploi de termes appartenant à leur langue et traduction de ces termes (« leur Arabotan, c’est-à-dire bois de Brésil » ; « Mairs et Peros, c’est-à-dire Français et Portugais »).
x Evocation de leurs coutumes : utilisation du bois de Brésil « pour rougir leurs cordons de coton »
x Une parenthèse explicative : « (comme eux-mêmes, en usaient pour rougir leurs cordons de coton, plumages et autres choses) ».
- Choix du dialogue direct (guillemets + verbes de parole) pour retranscrire le plus fidèlement possible la conversation, sans déformer les propos du vieillard
- Véracité des propos rapportés soulignée dans la dernière phrase du passage : « véridique discours », « j’ai entendu », de la « propre bouche».


B. Une leçon de pédagogie de l’Européen au Sauvage ...
- le dialogue progresse par un jeu de questions/ réponses : le Tupinamba questionne et Léry répond, explique.
- Léry est d’abord en position de maître, d’instructeur :
x Ses répliques sont plus longues que celles du vieillard au début du dialogue, et elles sont plus complexes (« lui ayant répondu que si… mais pas des mêmes… que … mais que... » l.5-7)
x Il considère le Tupinamba comme son élèves : « ayant bien retenu ce que je venais de lui dire » l.12-13
- Il se montre pédagogue :
x Il utilise des connecteurs logiques montrant son raisonnement (« mais », « car »)
x il utilise un vocabulaire simple et concret (« étoffes », « draps rouges », « couteaux, ciseaux, etc»., « marchand », « bois »...)
x volonté de persuader son interlocuteur : intrusions mises entre parenthèses « pour le persuader », « essayant toujours de lui parler de choses qui lui étaient connues ».
x corrige les erreurs de son interlocuteur (« nous ne brûlions pas comme il pensait »)
x recourt à des exemples à valeur pédagogique (« Il y a tel marchand dans notre pays »)
x compare sans arrête avec ce que connaît le Tupinamba (« pas les mêmes espèces que les leurs », « comme eux-mêmes s’en servaient », « plus d’étoffes… que vous n’en avez jamais vues ici »)


L’étonnement et la curiosité du Tupinamba permet la progression du dialogue :
- C.L de l’étonnement : « ébahis » souligné dès la première phrase par l’intensif « tout à fait », « « choses étonnantes » l.12, « de grands fous » l.18
- Ses interrogations font progresser le texte : « m’interrogea », « m’interrogeant plus avant », « me demanda de nouveau »


C. ...Qui se transforme en leçon donnée par le Sauvage à l’Européen
- A partir du milieu du dialogue, l.13, c’est lui qui domine le dialogue (ses phrases s’allongent) et il semble pratiquer la maïeutique : ses vraies questions du départ se transforment en questions rhétoriques pour que Léry se rende compte des contradictions de ses pairs.
- Il emploie une concessive pour revenir à la charge («Soit… mais » l.8)
- Il use à son tour de connecteurs logiques qui prouvent la structure de sa démonstration : « mais », « car », « parce que »)
- Il souligne l’incohérence des Européens grâce à des hyperboles et de nombreux intensifs : « vous veniez de si loin » l.4, « vous en faut-il donc tant », « « cet homme si riche » l.13, « tout le bien qu’il laisse » l.16 »de grands fous » l.18 , « tant de maux » l.19
- Il termine sa démonstration au présent de vérité générale : « Vous autres […] Français êtes de grands fous » l.18
- C'est lui clôt la discussion et a donc le dernier mot. Léry se trouve littéralement privé de parole et d'arguments à la fin de son intervention.
- Le vieux Tupinamba est désigné par « un vieillard », or le vieillard incarne symboliquement la sagesse ; il est aussi ironiquement désigné à la fin texte par « pauvre sauvage américain », ce qui prouve par antiphrase, qu’il est aussi cultivé et intelligent que les Européens.


II. Pour délivrer une réflexion humaniste


A. Les Européens sont caractérisés par leur cupidité
Une critique des Européens qui pillent les ressources naturelles du Brésil :
- Avidité des Européens qui ne cherchent que l'enrichissement matériel : l'énumération « couteau, ciseaux, miroirs et autres marchandises » + hyperbole « tout le bois du Brésil » + comparative « que vous n'en avait jamais vu ici » + jeu d’opposition entre le singulier et le pluriel l'expression « à lui seul » opposée à « plusieurs navires […] chargés ».
- Champ lexical de la richesse de la profusion
- Intempérance des Européens mise en relief par la répétition de l'adverbe « tant » et de la pratique qui instaure l’héritage et les successions qui semblent inconnues aux Tupinambas.
- Critique du comportement absurde des Européens par le paradoxe : « vous endurer tant de maux pour amasser des richesses »
- interjections « ah ! Ah ! » qui marque l’incrédulité devant l’incohérence des Européens.
B. Par opposition, les Sauvages ont des valeurs positives
- L'emploi de la première personne du pluriel dans le discours du vieillard signale qu’il s'exprime au nom de son peuple
- Absence de « je » qui peut être vue comme une absence de possession personnelle : tout appartient à tous
- Opposition entre la tranquillité des indiens (« nous nous reposons ») et la souffrance des Européens (« tant de maux », « tant de peine », « tant travailler »).
- Les Tupinambas incarnent un idéal de tempérance et de respect de la nature, mère nourricière : la répétition des mots « nature » et « nourrir » dessine encore un éloge de la vie sauvage, proche de la nature et respectueuse de ses ressources : « nous avons des parents et des enfants lesquels les nourrira ». Futur de certitude qui exprime la confiance en cette nature : « nourrira ».
- Amour de la famille : redondance « aimons et chérissons » qui insiste sur cette simple valeur primordiale.


C. Ce qui suscite la réflexion d’un humaniste capable de se remettre en question
- Le discours du vieillard révèle une prise de conscience par Léry de l'absurdité de la vie européenne : le vieillard clot la discussion. Léry contente de souligner que tout ce qu’il rapporte est «  véridique » comme pour souligner l'intelligence du sauvages et son étonnement devant une telle intelligence.
- L'intrusion du narrateur sous forme de litote (« lequel comme vous jugerez n’était nullement lourdaud ») prend à témoin le lecteur (pronom « vous ») pour montrer l'intelligence du vieillard. Il prend ainsi le contre-pied des Européens qui prennent les Sauvages pour des barbares. Il salue par ailleurs son éloquence (“beau discoureur”)
- Léry laisse parler le vieillard à la fin, comme pour laisser s'exprimer une vraie leçon de sagesse.
- La vie des indiens ressemble à celle d'Adam et Eve dans l’Eden : le livre de la Genèse : « et l'éternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder » (1-29) ;
« Et dieu dit : voici, je vous donne toute herbe pourtant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant la semence : ce sera votre nourriture » (1-29). Or les Protestants prônent un retour aux sources bibliques, une lecture personnelle et sans intermédiaire.
Le vieillard Tupinamba représenterait donc une vie édénique, une vie d'avant la « Chute ».


En conclusion : un dialogue plaisant qui permet à Léry de dénoncer la cupidité des Européens et le pillage des ressources naturelles au nom de l'enrichissement personnel de quelques marchands. Un passage qui célèbre la sagesse de l'homme sauvage, proche de la nature. Un texte qui annonce le mythe du « Bon sauvage » développé au XVIIIème siècle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire