L.A
n°1 : Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du
Brésil, Chapitre XIII
I.
Le récit d’un dialogue qui évolue
A.
Un récit de voyage donné pour authentique
-
Un narrateur témoin : emploi de la première
personne + présent
de narration (alors que
le voyage a
été réalisé vingt
ans auparavant)
;
-
Souci du narrateur de rendre compte de la culture des Tupinambas:
x
Emploi de termes appartenant à leur langue et traduction de ces
termes (« leur Arabotan, c’est-à-dire bois de
Brésil » ; « Mairs et Peros,
c’est-à-dire Français et Portugais »).
x
Evocation de leurs coutumes : utilisation du bois de Brésil « pour
rougir leurs cordons de coton »
x
Une parenthèse explicative : « (comme eux-mêmes, en usaient pour
rougir leurs cordons de coton, plumages et autres choses) ».
-
Choix du dialogue direct (guillemets + verbes de parole) pour
retranscrire le plus fidèlement possible la conversation, sans
déformer les propos du vieillard
-
Véracité des propos rapportés soulignée dans la dernière phrase
du passage : « véridique discours », « j’ai
entendu », de la « propre bouche».
B.
Une leçon de pédagogie de l’Européen au Sauvage ...
-
le dialogue progresse par un jeu de questions/ réponses : le
Tupinamba questionne et Léry répond, explique.
-
Léry est d’abord en position de maître, d’instructeur :
x
Ses répliques sont plus longues que celles du vieillard au début du
dialogue, et elles sont plus complexes (« lui ayant répondu
que si… mais pas des mêmes… que … mais que... » l.5-7)
x
Il considère le Tupinamba comme son élèves : « ayant
bien retenu ce que je venais de lui dire » l.12-13
-
Il se montre pédagogue :
x
Il utilise des connecteurs logiques montrant son raisonnement
(« mais », « car »)
x
il utilise un vocabulaire simple et concret (« étoffes »,
« draps rouges », « couteaux, ciseaux, etc».,
« marchand », « bois »...)
x
volonté de persuader son interlocuteur : intrusions mises
entre parenthèses « pour le persuader », « essayant toujours de
lui parler de choses qui lui étaient connues ».
x
corrige les erreurs de son interlocuteur (« nous ne brûlions
pas comme il pensait »)
x
recourt à des exemples à valeur pédagogique (« Il y a tel
marchand dans notre pays »)
x
compare sans arrête avec ce que connaît le Tupinamba (« pas
les mêmes espèces que les leurs », « comme eux-mêmes
s’en servaient », « plus d’étoffes… que vous n’en
avez jamais vues ici »)
L’étonnement
et la curiosité du Tupinamba permet la progression du dialogue :
-
C.L de l’étonnement : « ébahis » souligné dès
la première phrase par l’intensif « tout à fait »,
« « choses étonnantes » l.12, « de grands
fous » l.18
-
Ses interrogations font progresser le texte : « m’interrogea »,
« m’interrogeant plus avant », « me demanda de
nouveau »
C.
...Qui se transforme en leçon donnée par le Sauvage à l’Européen
-
A partir du milieu du dialogue, l.13, c’est lui qui domine le
dialogue (ses phrases s’allongent) et il semble pratiquer la
maïeutique : ses vraies questions du départ se transforment en
questions rhétoriques pour que Léry se rende compte des
contradictions de ses pairs.
-
Il emploie une concessive pour revenir à la charge («Soit… mais »
l.8)
-
Il use à son tour de connecteurs logiques qui prouvent la structure
de sa démonstration : « mais », « car »,
« parce que »)
-
Il souligne l’incohérence des Européens grâce à des hyperboles
et de nombreux intensifs : « vous veniez de si loin »
l.4, « vous en faut-il donc tant », « « cet
homme si riche » l.13, « tout le bien qu’il laisse »
l.16 »de grands fous » l.18 , « tant de maux »
l.19
-
Il termine sa démonstration au présent de vérité générale :
« Vous autres […] Français êtes de grands fous » l.18
-
C'est lui clôt la discussion et a donc le dernier mot. Léry se
trouve littéralement privé de parole et d'arguments à la fin de
son intervention.
-
Le vieux Tupinamba est désigné par « un vieillard », or
le vieillard incarne symboliquement la sagesse ; il est aussi
ironiquement désigné à la fin texte par « pauvre sauvage
américain », ce qui prouve par antiphrase, qu’il est aussi
cultivé et intelligent que les Européens.
II.
Pour délivrer une réflexion humaniste
A.
Les Européens sont caractérisés
par leur cupidité
Une
critique des Européens
qui pillent les
ressources naturelles du Brésil :
-
Avidité des Européens
qui ne
cherchent
que l'enrichissement
matériel : l'énumération « couteau, ciseaux,
miroirs
et autres marchandises » +
hyperbole « tout le bois
du Brésil »
+ comparative
« que vous n'en avait jamais vu ici »
+ jeu d’opposition
entre le singulier et le pluriel l'expression « à
lui seul » opposée
à « plusieurs navires […]
chargés ».
-
Champ lexical de la richesse de la
profusion
-
Intempérance des Européens
mise en relief
par la répétition de l'adverbe « tant »
et de la pratique qui instaure l’héritage
et les
successions qui semblent inconnues aux
Tupinambas.
-
Critique du comportement absurde des Européens
par le paradoxe :
« vous endurer tant
de maux pour
amasser des richesses »
-
interjections
« ah ! Ah ! » qui marque l’incrédulité
devant l’incohérence des Européens.
B.
Par opposition, les Sauvages
ont des valeurs positives
-
L'emploi de la
première personne du pluriel dans le discours du vieillard signale
qu’il s'exprime
au nom de son peuple
-
Absence de « je » qui peut être vue comme une absence de
possession personnelle : tout appartient à tous
-
Opposition entre la tranquillité des indiens (« nous
nous reposons »)
et la souffrance des Européens
(« tant de maux », « tant
de peine », « tant travailler »).
-
Les Tupinambas
incarnent un idéal de tempérance et de respect de la nature, mère
nourricière : la répétition des mots « nature » et
« nourrir » dessine encore
un éloge de la vie sauvage, proche de
la nature et respectueuse de ses ressources : « nous avons des
parents et des enfants lesquels les nourrira ». Futur de
certitude qui
exprime la
confiance en cette nature :
« nourrira ».
-
Amour de la famille : redondance « aimons
et chérissons » qui insiste sur cette simple valeur
primordiale.
C.
Ce qui suscite la réflexion d’un humaniste
capable de se remettre en question
-
Le discours du vieillard révèle une prise de conscience par Léry
de l'absurdité de la vie
européenne : le vieillard clot
la discussion. Léry
contente de souligner que tout ce qu’il
rapporte est « véridique »
comme pour souligner l'intelligence du sauvages et son étonnement
devant une telle intelligence.
-
L'intrusion du narrateur sous forme de litote (« lequel
comme vous jugerez n’était nullement
lourdaud ») prend à
témoin le lecteur (pronom
« vous ») pour montrer
l'intelligence du vieillard. Il prend ainsi le contre-pied des
Européens qui
prennent les Sauvages
pour des barbares. Il
salue par
ailleurs son
éloquence (“beau discoureur”)
-
Léry laisse
parler
le vieillard à la fin, comme pour laisser s'exprimer une vraie leçon
de sagesse.
-
La vie des indiens ressemble à celle d'Adam
et Eve dans
l’Eden : le
livre de la Genèse
: « et l'éternel Dieu
prit l'homme et
le plaça dans le
jardin d'Eden
pour le cultiver
et le garder » (1-29) ;
« Et
dieu dit : voici,
je vous donne toute herbe pourtant de la semence et qui est
à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en
lui du fruit d'arbre et portant
la semence : ce sera votre nourriture » (1-29).
Or les Protestants
prônent un
retour aux sources bibliques, une lecture personnelle et sans
intermédiaire.
Le
vieillard Tupinamba
représenterait donc une vie édénique,
une vie d'avant la « Chute ».
En
conclusion : un dialogue plaisant qui permet à Léry de dénoncer
la cupidité des Européens et le pillage des ressources naturelles
au nom de l'enrichissement personnel de quelques marchands. Un
passage qui célèbre la sagesse de l'homme sauvage, proche de la
nature. Un texte qui annonce le mythe du « Bon sauvage »
développé au XVIIIème siècle.
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