jeudi 2 février 2017

Le Mariage de Figaro, L.A n°4, Le plaidoyer de Marceline, III, 16

L.A n°4 : Acte III, scène 16

de « Des fautes si connues ! » à « il ne manquera rien à ta mère »

I. Le procès de Marceline ?

A. Marceline, de coupable à victime
- scène de procès : C.L du jugement : « fautes », « juge », « coupables », « victimes », « magistrats », « juger »...
- mais jugement plus moral que légal : C.L de la morale : « fautes », « déplorables », « expier », « punir », « erreur », « honnête »
-Au départ, c’est Bartholo qui est en position d’accusation : l.552, emportement visible dans la double exclamation + phrases elliptiques qui marquent l’indignation.
- Marceline commence par plaider coupable dans une concession (« oui »). Elle n’a aucune complaisance pour elle-même : intensifs « même plus qu’on ne croit ».
- Puis connecteur adversatif « mais » l.555 qui montre qu’elle a payé (« expier ») sa faute.
- De nouveau, connecteur adversatif « mais » l.558 qui introduit des circonstances atténuantes dans une longue phrase associant accumulations «(« l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins »), deux circonstancielles (« où » et « pendant que »), une hyperbole (« tant d’ennemis rassemblés ») et une question rhétorique = les circonstances atténuantes sont si nombreuses que la faute n’en est plus une.
- conclusion en forme de retournement de situation : « tel nous juge » est celui qui « a perdu dix infortunées » = l’accusateur devient coupable.

B. Le procès des hommes
- Dans sa 2è réplique, elle commence par une apostrophe accusatrice : « hommes plus qu’ingrats » : elle inverse les rôles et devient à son tour dans l’accusation.
- Mais ce n’est pas Bartholo qui est visé (il ne prend plus la parole) : c’est l’ensemble des hommes (« Hommes » sans article défini + pluriel + « vous » = les hommes en général).
- Registre fortement polémique : martèlement de « vous » et « vos » + hyperboles « tant d’ennemis rassemblés », « sous tous les aspects, votre conduite » l.78
- Présentatif « c’est vous » pour accentuer la faute des hommes : « c’est vous qu’il faut punir » l.567= affirmation assez osée de la part d’une femme.
- Lexique très péjoratif pour décrire l’homme comme un enfant capricieux : « ingrats », « mépris », « passions » + « jouets »
- L’homme est également vu comme un mercenaire brutal dans la métaphore guerrière des l.559 à 561 (« assiègent », « poignarde », « ennemis »).
- Enfin, il est hypocrite et injuste : antithèse « nous juge ici sévèrement » / « a perdu dix infortunées » ; formule appuyée par la sentence de Figaro : paradoxe au présent de vérité générale : « les plus coupables sont les moins généreux » ; « leurrées » + « apparents » l.576

C. L’efficacité du discours de Marceline
- gradation dans l’émotion de Marceline (dans les didascalies) : « s’échauffant par degrés », « vivement », « exaltée »
- pathétique :
x lexique pathétique : « qu’il est dur » l.555, « infortunées » l.562, « malheureuses » l.570, « horreur ou pitié » l.578 (= lexique du tragique (le tragique est ce qui provoque « terreur et pitié »))
x allégorie frappante : « la misère nous poignarde » l.560,
x antithèse « une enfant » / « tant d’ennemis » qui fait figure de combat de la candeur contre le mal
- Très nombreuses exclamations + interjection « ah »
- tournures hyperboliques : « plus que », « trop », « tant de », « plus que », « si », « même » = excès des hommes à l’encontre des femmes.
- Son discours est efficace puisque trois hommes représentatifs de trois classes différentes acquiescent : « raison » répété dans les trois répliques qui suivent (Figaro = les domestiques, la classe populaire ; Brid’Oison = les magistrats, la Justice ; le comte = la noblesse, les dirigeants).

II. Marceline, porteuse des idées des Lumières

A. Marceline, porte-parole de la cause des femmes
- elle passe du « je » à « nous », l.559 : ne défend pas seulement sa cause mais celui des femmes.
x autant des femmes pauvres : « la misère nous poignarde » l.569
x que des femmes nobles : antithèse « dans les rangs même plus élevés »
- elle manie les oppositions pour montrer l’injustice subie par les femmes:
x « rangs […] élevés »/ « considération dérisoire »
x antithèse « respects apparents » / « servitude réelle »
x chiasme « traitées en mineurs pour nos biens » / « « punies en majeures pour nos fautes » l. 578
- elle montre que les femmes sont victimes :
x elles sont complément d’objet et non pas sujets des propositions : « nous assiègent », « nous poignarde », « a perdu dix infortunées », « homme qui flétrissez […] vos victimes », « nous laissent »
x périphrase désignant les femmes : « jouets de vos passions » l.566
x participe passé passif : « leurrées », « traitées », « punies » l.576 - 577

B. Mais elle constate également une société injuste
- les magistrats sont qualifiés péjorativement : « vains », « coupables » « négligence » ; ils sont du côté des oppresseurs, des hommes : « vous et vos magistrats », comme s’ils étaient les soldats des hommes.
- le travail des femmes est impossible, d’où leur dépendance aux hommes : « nous laissent enlever […] tout moyen de subsister » ; référence implicite à la prostitution comme seul moyen de s’en sortir : « honnête moyen de subsister » ; les hommes leur prennent le seul travail qu’elles étaient en droit de faire, la couture : « broder », « parure » ; hyperbole « mille ouvriers de l’autre sexe » qui accentue le fait qu’il ne reste aucun emploi pour les femmes ; accusation renforcée par l’intervention indignée de Figaro (« jusqu’aux soldats »)
- le droit est tout à fait inéquitable : « servitude » de la femme ; paradoxe révoltant : « traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes » (paraphrase : on les considère comme incapables de gérer leur fortune, géré par les maris, alors qu’on les croit capables d’être jugées…).

C. Elle incarne une certaine philosophie du bonheur à la Rousseau
[Rousseau : philosophe défendant l’idée que les hommes sont naturellement bons et que c’est la société qui les pervertit. Il prône un bonheur simple, lié à la nature].
-Marceline est née « bonne » : « j’étais née, moi, pour être sage », « je le suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison »
-Ce sont les hommes qui l’ont pervertie : « les séducteurs nous assiègent »
-Elle a cependant eu une vie humble, voire pauvre : « trente ans d’une vie modeste »
-Elle croit au « droit naturel » l.571 : notion philosophique, qui suppose que même sans loi politique, les hommes ont des lois (et des droits et des devoirs) innées, auxquelles ils obéissent naturellement.
-Dernière réplique de Marceline : recette de bonheur simple (« heureux ») :
« gai, libre et bon » : accumulation d’adjectifs qui définissent le bonheur
« ne regarde pas d’où tu viens » : le bonheur est indépendant de sa classe sociale
« tendres », « chérirons » : l’amour comme ingrédient du bonheur

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