I.
Une scène d’exposition traditionnelle en apparence
A.
Les personnages traditionnels de la comédie
-
Présence de valets :
Figaro = personnage éponyme
de la pièce ; désignations « Monseigneur »,
« monsieur de comte » → est au service d’un seigneur.
Suzanne : sa
future femme (« noces » « oeil amoureux d'un époux »)
et domestique de la comtesse (appellation révérencieuse « Madame »
+ « elle m'a bien recommandé »
)
Tous les deux utilisent un
langage populaire, qui marque leur condition sociale :
x registre familier : « volée
de bois vert », « bête », « friponne »,
« mille sots coquins »
x allusions sexuelles :
"et crac, en trois sauts" / « Quand je pourrai te le
prouver du soir jusqu'au matin »
- Evocation des maîtres :
Le
comte : présenté
de manière élogieuse par Figaro (généreux : « ce beau
lit que Monseigneur nous donne » + en parlant de la chambre :
« il nous la cède »)
La
comtesse : peu d'informations, si ce n'est une certaine
fragilité (argument de Figaro qui sonne comme une habitude « si
Madame est incommodée »)
-
Bazile : présenté très ironiquement par Suzanne :
adjectifs hyperboliques « loyal », « honnête »,
noble » + polysémie de l'expression « maître à
chanter » (fonction, mais aussi « celui fait fait
chanter » au sens de « menacer ») + antithèse
« honnête » / « agent de ses plaisirs »
(honnêteté et plaisir étant ici inconciliables)
B.
Une intrigue de comédie de mœurs
-
C.L. du mariage : « noces », époux, dot, fiancée,
femme, mari » = intrigue principale de la pièce, centre
de l'action.
-
Opposition (antithèse) : « non pas chez sa femme, c'est
sur la tienne [...] » : au moment où un mariage se fait,
un autre se défait → comment résoudre cela ?
- C.L. de l'argent : « dot » + « son or » + « de l'argent » (paraphrase : le comte a donné une dot à Suzanne, que Figaro avait considérée comme un cadeau pour lui. Suzanne lui fait comprendre qu'en faisant cela le comte achète ses faveurs sexuelles)
- deux formules résument bien l'intrigue : « De l'intrigue et de l'argent » (Suzanne) + « moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire tomber dans un bon piège et d'empocher son or !» (Figaro)
- C.L. de l'argent : « dot » + « son or » + « de l'argent » (paraphrase : le comte a donné une dot à Suzanne, que Figaro avait considérée comme un cadeau pour lui. Suzanne lui fait comprendre qu'en faisant cela le comte achète ses faveurs sexuelles)
- deux formules résument bien l'intrigue : « De l'intrigue et de l'argent » (Suzanne) + « moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire tomber dans un bon piège et d'empocher son or !» (Figaro)
C.
Une scène enjouée et comique
Beaumarchais
use d'un procédé : l'économie
du langage, qui dit le strict minimum
→
vivacité du dialogue, on fait appel à l'intelligence du spectateur
pour deviner le reste. Pendant tout le temps où Suzanne refuse de
parler, on assiste à une joute verbale avec utilisation de très
nombreux sous-entendus :
x
litote : « ses
vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas » =
cette chambre placée à côté de celle du comte lui sera utile pour
coucher avec Suzanne ;
x
les points de suspension
plein de sous-entendus ;
x
question rhétorique :
« tu croyais […] que cette dot […] était pour les bons
yeux de ton mérite ? » = Suzanne affirme que la dot n'est
pas gratuite, qu'elle doit payer de son corps ;
x
exclamation en forme de
maxime au présent de vérité générale « que les gens
d'esprit son bêtes » = Figaro est bête ;
x
mise à distance de la
réalité brutale par l'emploi de la 3ème personne : « c'est
de la fiancée qu'il veut racheter [le droit de cuissage]
aujourd'hui » ;
x
métaphore des cornes du
cocu : « mon front fertilisé » + « un petit
bouton »
Le fait que Suzanne reprenne
les mots de Figaro donne un aspect comique ("tinté",
"zeste", "crac").
Les
piques entre les deux personnages sont comiques :
Suzanne à propos de
Figaro : "Que les
gens d'esprit sont bêtes" +
réponse de Figaro qui est un écho aux Liaison
dangereuses
de Choderlos de Laclos (publié deux ans avant, en 1782).
-
ponctuation expressive : exclamations et interrogations
quasiment à chaque réplique + interjections (« Eh »,
« Tiens », « Oh », « Ah », etc.)
= vivacité du dialogue
-
stichomythies de « Dans cette chambre ? » à « Oh !
Quand elles sont sûres de nous ! » = rapidité des
échanges
-
Phrases courtes, beaucoup de phrases non-verbales : « dix-neuf
pieds sur vingt-six », « Tiens, Figaro, voilà mon petit
chapeau », « Sans comparaison, ma charmante »,
« Dans cette chambre ? », etc. (beaucoup d'autres
exemples) = vivacité, rapidité
-
Une scène en trois temps :
1) la dispute de Figaro et Suzanne ; 2) la révélation des
désirs du comte ; 3) la réconciliation → Rapidité
des actions.
II.
En réalité, une scène d’exposition plus novatrice
qu’elle n’y paraît
A.
Une mise en scène appuyée et symbolique
-Espagne : consonance
dans « Almaviva » + « fleurs d'orange »
(didascalie initiale)
-Lieu de la scène : une
chambre à demi démeublée (didascalie initiale) = instabilité de
la situation : le mariage se fera-t-il ?
-
Indication
sur le moment de la journée : discours de Figaro : "le
matin
des Noces".
-
Au début de la scène, Figaro mesure la chambre. A la fin, il court
après Suzanne :
Figaro
est toujours en mouvement, il est très présent physiquement.
Beaumarchais
insère de nombreuses didascalies, ce qui est très novateur :
vivacité de la pièce, des personnages.
-
Le
décor est une chambre du château, symbole de la puissance du
comte.
- La chambre se trouve entre les deux appartements de la comtesse et du comte : preuve de la séparation amoureuse du comte et de la comtesse, même si à cette époque les époux faisaient toujours chambre à part. Chambre donnée par le comte -> marque de la dépendance des futurs mariés vis-à-vis de leurs maîtres. Cette chambre n'est donc pas intime.
- La chambre se trouve entre les deux appartements de la comtesse et du comte : preuve de la séparation amoureuse du comte et de la comtesse, même si à cette époque les époux faisaient toujours chambre à part. Chambre donnée par le comte -> marque de la dépendance des futurs mariés vis-à-vis de leurs maîtres. Cette chambre n'est donc pas intime.
Figaro
s'en accommode et s'en réjouit même (accepte sa dépendance) ;
Suzanne a l'oeil plus critique (saisit le danger que ça représente
pour elle, son asservissement sexuel au comte).
-
« un grand fauteuil de
malade » : seul meuble présent dans la pièce, « au
milieu » → prendra une grande importance dans les scènes
suivantes. Ici, il trône
comme un obstacle entre les deux fiancés.
- « une glace » : symbole des illusions, du décalage entre apparence et réalité (le comte vu par Figaro, puis dévoilé par Suzanne par exemple)
- « une glace » : symbole des illusions, du décalage entre apparence et réalité (le comte vu par Figaro, puis dévoilé par Suzanne par exemple)
B.
Un renversement du statut des personnages
-
Des valets plus
complexes que dans la
comédie classique
x Figaro = amoureux
(apostrophes affectueuses « ma charmante », « belle
fille », « amoureux », « mon amour » +
gestuelle amoureuse « lui prend les mains »), cupide
(intéressé par l'argent), aime échafauder des intrigues, joyeux,
prompt à se mettre en colère ? / spontané (Suzanne le
prépare : « il faudrait m'écouter tranquillement »
+ la réaction impatiente de Figaro qui lance une interjection et une
injure « Eh ! Qu'est-ce qu'il y a ? bon Dieu ? »)
x
Suzanne est franche et
honnête (« je
n'en veux point » répété + « elle me déplaît »
+ avoue franchement les vues du comte sur elle), intelligente
(« prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir
tort »), spirituelle (reprend les termes de Figaro « tinter »,
« zeste », « crac », pour lui faire
comprendre le problème ; paradoxe, voire oxymore « que
les gens d'esprit sont bêtes » ; antithèse « à
mon amant d'aujourd'hui / demain mon mari »), vive et
joyeuse (elle chantonne "Fi-Fi-Figaro", fait de
l'humour (« s'il y venait un petit bouton », + didascalie
« riant »)
= les
valets ont de l'esprit, ils
sont vifs
-
Habituellement,
le mariage termine les
comédies (voir
Le
Barbier de Séville :
dénouement sur le mariage du comte et de Rosine (la comtesse))
- C'est le mariage des valets et non des maîtres comme c’est le cas dans la comédie classique.
- C'est le mariage des valets et non des maîtres comme c’est le cas dans la comédie classique.
C.
Une critique des privilèges de la noblesse
-
Les
domestiques médisent sur le maître (désignation
hyperbolique et péjorative « ce grand trompeur »,
comparaison du comte avec « mille sots coquins » et
le désir de donner « cent coups de fouet » au comte
« pour la peine » → d'habitude, c'est le maître qui
puni le domestique !)
x
Le
comte : un
autre
visage est dévoilé par Suzanne : personnage
immoral (trompe
allègrement sa femme : « las de courtiser les beautés
des environs » + polysémie « ce
grande trompeur » + souhaite
user du droit de cuissage sur
Suzanne)
et déloyal (il avait lui-même aboli cette pratique).
x
La comtesse : délaissée par son mari (« épouses
délaissées »), superstitieuse (« le berger dit que cela
porte bonheur »).
-
critique
des
lois de
l'ancien régime
(« droit honteux ») →
renversement des valeurs : ce n'est plus le maître (ou la loi)
qui incarne le Bien, ce sont les domestiques qui veulent faire
reconnaître leurs droits.
-
critique de la toute-puissance du comte qui fait et défait la loi
comme bon lui semble : avait aboli le droit de cuissage, mais
maintenant « s’en repent » et le rétablit.
=
Une critique de cette toute-puissance se dessine en filigrane, et ce
sont les valets qui remettent en cause cette toute-puissance,
c’est-à-dire le Tiers Etats.
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