samedi 17 décembre 2016

Figaro, L.A n°1, la scène d'exposition (I, 1)


I. Une scène d’exposition traditionnelle en apparence

A. Les personnages traditionnels de la comédie

- Présence de valets :
Figaro = personnage éponyme de la pièce ; désignations « Monseigneur », « monsieur de comte » → est au service d’un seigneur.
Suzanne : sa future femme (« noces » « oeil amoureux d'un époux ») et domestique de la comtesse (appellation révérencieuse « Madame » + « elle m'a bien recommandé » )

Tous les deux utilisent un langage populaire, qui marque leur condition sociale :
x registre familier : « volée de bois vert », « bête », « friponne », « mille sots coquins »
x allusions sexuelles : "et crac, en trois sauts" / « Quand je pourrai te le prouver du soir jusqu'au matin »

- Evocation des maîtres :
Le comte : présenté de manière élogieuse par Figaro (généreux : « ce beau lit que Monseigneur nous donne » + en parlant de la chambre : « il nous la cède »)
La comtesse : peu d'informations, si ce n'est une certaine fragilité (argument de Figaro qui sonne comme une habitude « si Madame est incommodée »)

- Bazile : présenté très ironiquement par Suzanne : adjectifs hyperboliques « loyal », « honnête », noble » + polysémie de l'expression « maître à chanter » (fonction, mais aussi « celui fait fait chanter » au sens de « menacer ») + antithèse « honnête » / « agent de ses plaisirs » (honnêteté et plaisir étant ici inconciliables)

B. Une intrigue de comédie de mœurs

- C.L. du mariage : « noces », époux, dot, fiancée, femme, mari » = intrigue principale de la pièce, centre de l'action.
- Opposition (antithèse) : « non pas chez sa femme, c'est sur la tienne [...] » : au moment où un mariage se fait, un autre se défait → comment résoudre cela ?
-
C.L. de l'argent : « dot » + « son or » + « de l'argent » (paraphrase : le comte a donné une dot à Suzanne, que Figaro avait considérée comme un cadeau pour lui. Suzanne lui fait comprendre qu'en faisant cela le comte achète ses faveurs sexuelles)
-
deux formules résument bien l'intrigue : « De l'intrigue et de l'argent » (Suzanne) + « moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire tomber dans un bon piège et d'empocher son or !» (Figaro)

C. Une scène enjouée et comique

Beaumarchais use d'un procédé : l'économie du langage, qui dit le strict minimum vivacité du dialogue, on fait appel à l'intelligence du spectateur pour deviner le reste. Pendant tout le temps où Suzanne refuse de parler, on assiste à une joute verbale avec utilisation de très nombreux sous-entendus :
x litote : « ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas » = cette chambre placée à côté de celle du comte lui sera utile pour coucher avec Suzanne ;
x les points de suspension plein de sous-entendus ;
x question rhétorique : « tu croyais […] que cette dot […] était pour les bons yeux de ton mérite ? » = Suzanne affirme que la dot n'est pas gratuite, qu'elle doit payer de son corps ;
x exclamation en forme de maxime au présent de vérité générale « que les gens d'esprit son bêtes » = Figaro est bête ;
x mise à distance de la réalité brutale par l'emploi de la 3ème personne : « c'est de la fiancée qu'il veut racheter [le droit de cuissage] aujourd'hui » ;
x métaphore des cornes du cocu : « mon front fertilisé » + « un petit bouton » 
Le fait que Suzanne reprenne les mots de Figaro donne un aspect comique ("tinté", "zeste", "crac").
Les piques entre les deux personnages sont comiques : Suzanne à propos de Figaro : "Que les gens d'esprit sont bêtes" + réponse de Figaro qui est un écho aux Liaison dangereuses de Choderlos de Laclos (publié deux ans avant, en 1782).

- ponctuation expressive : exclamations et interrogations quasiment à chaque réplique + interjections (« Eh », « Tiens », « Oh », « Ah », etc.) = vivacité du dialogue
- stichomythies de « Dans cette chambre ? » à « Oh ! Quand elles sont sûres de nous ! » = rapidité des échanges
- Phrases courtes, beaucoup de phrases non-verbales : « dix-neuf pieds sur vingt-six », « Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau », « Sans comparaison, ma charmante », « Dans cette chambre ? », etc. (beaucoup d'autres exemples) = vivacité, rapidité
- Une scène en trois temps : 1) la dispute de Figaro et Suzanne ; 2) la révélation des désirs du comte ; 3) la réconciliation → Rapidité des actions.

II. En réalité, une scène d’exposition plus novatrice qu’elle n’y paraît

A. Une mise en scène appuyée et symbolique

-Espagne : consonance dans « Almaviva » + « fleurs d'orange » (didascalie initiale)
-Lieu de la scène : une chambre à demi démeublée (didascalie initiale) = instabilité de la situation : le mariage se fera-t-il ?
- Indication sur le moment de la journée : discours de Figaro : "le matin des Noces".
- Au début de la scène, Figaro mesure la chambre. A la fin, il court après Suzanne : Figaro est toujours en mouvement, il est très présent physiquement.
Beaumarchais insère de nombreuses didascalies, ce qui est très novateur : vivacité de la pièce, des personnages.
- Le décor est une chambre du château, symbole de la puissance du comte.
-
La chambre se trouve entre les deux appartements de la comtesse et du comte : preuve de la séparation amoureuse du comte et de la comtesse, même si à cette époque les époux faisaient toujours chambre à part. Chambre donnée par le comte -> marque de la dépendance des futurs mariés vis-à-vis de leurs maîtres. Cette chambre n'est donc pas intime.
Figaro s'en accommode et s'en réjouit même (accepte sa dépendance) ; Suzanne a l'oeil plus critique (saisit le danger que ça représente pour elle, son asservissement sexuel au comte).
- « un grand fauteuil de malade » : seul meuble présent dans la pièce, « au milieu » → prendra une grande importance dans les scènes suivantes. Ici, il trône comme un obstacle entre les deux fiancés.
-
« une glace » : symbole des illusions, du décalage entre apparence et réalité (le comte vu par Figaro, puis dévoilé par Suzanne par exemple)

B. Un renversement du statut des personnages

- Des valets plus complexes que dans la comédie classique
x Figaro = amoureux (apostrophes affectueuses « ma charmante », « belle fille », « amoureux », « mon amour » + gestuelle amoureuse « lui prend les mains »), cupide (intéressé par l'argent), aime échafauder des intrigues, joyeux, prompt à se mettre en colère ? / spontané (Suzanne le prépare : « il faudrait m'écouter tranquillement » + la réaction impatiente de Figaro qui lance une interjection et une injure « Eh ! Qu'est-ce qu'il y a ? bon Dieu ? »)
x Suzanne est franche et honnête (« je n'en veux point » répété + « elle me déplaît » + avoue franchement les vues du comte sur elle), intelligente (« prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort »), spirituelle (reprend les termes de Figaro « tinter », « zeste », « crac », pour lui faire comprendre le problème ; paradoxe, voire oxymore « que les gens d'esprit sont bêtes » ; antithèse « à mon amant d'aujourd'hui / demain mon mari »), vive et joyeuse (elle chantonne "Fi-Fi-Figaro", fait de l'humour (« s'il y venait un petit bouton », + didascalie « riant »)
= les valets ont de l'esprit, ils sont vifs

- Habituellement, le mariage termine les comédies (voir Le Barbier de Séville : dénouement sur le mariage du comte et de Rosine (la comtesse))
-
C'est le mariage des valets et non des maîtres comme c’est le cas dans la comédie classique.


C. Une critique des privilèges de la noblesse

- Les domestiques médisent sur le maître (désignation hyperbolique et péjorative « ce grand trompeur », comparaison du comte avec « mille sots coquins » et le désir de donner « cent coups de fouet » au comte « pour la peine » → d'habitude, c'est le maître qui puni le domestique !)
x Le comte : un autre visage est dévoilé par Suzanne : personnage immoral (trompe allègrement sa femme : « las de courtiser les beautés des environs » + polysémie « ce grande trompeur » + souhaite user du droit de cuissage sur Suzanne) et déloyal (il avait lui-même aboli cette pratique).
x La comtesse : délaissée par son mari (« épouses délaissées »), superstitieuse (« le berger dit que cela porte bonheur »).

- critique des lois de l'ancien régime (« droit honteux ») → renversement des valeurs : ce n'est plus le maître (ou la loi) qui incarne le Bien, ce sont les domestiques qui veulent faire reconnaître leurs droits.
- critique de la toute-puissance du comte qui fait et défait la loi comme bon lui semble : avait aboli le droit de cuissage, mais maintenant « s’en repent » et le rétablit.
= Une critique de cette toute-puissance se dessine en filigrane, et ce sont les valets qui remettent en cause cette toute-puissance, c’est-à-dire le Tiers Etats.





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